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que lui a value le couplet et que ne lui avait pas donnée l'épigramme, il ne serait pas un proverbe.

La chanson a rendu le même service à certain dicton sur le bonheur bourgeois qui consiste à être

en sa maison

Le dos au feu, le ventre à table.

Il existait depuis le moyen âge, puisqu'il se trouve dans le vieux livre gothique la Prenostication de maistre Albert Songe-creux biscain, sous cette forme :

En cette saison faict bon estre

Sortis de viande notable,

En sa maison assis en l'estre (âtre),

Doz au feu, le ventre à la table;

il fallut le couplet populaire pour en populariser l'expression.

Ces deux vers du chevalier Bonnard :

Le silence est l'esprit des sots

Et l'une des vertus du sage,

n'ont pas u besoin du même secours, non plus que ceux-ci de Chaulieu à la fin de l'ode. sur sa première attaque de goutte:

Bonne ou mauvaise santé

Fait notre philosophie.

Ils étaient vrais. Ils n'ont eu qu'à naître pour toujours vivre.

XXXIV

Toute chose chantée a cela de bon qu'elle se popularise, fût-elle banale et sotte, beaucoup mieux que seulement dite. Le mot de Figaro « Ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante, » est ainsi justifié et étendu. L'air ne fait pas toujours la chanson, mais il en propage la vérité et en fait le succès. Le nombre des adages fredonnés, des proverbes en flons-flons qui nous viennent de l'opéracomique ou du vaudeville, est incalculable.

Depuis le mois de janvier 1769, époque de la première représentation de l'opéra de Lucile, il ne s'est pas donné peut-être une seule fête d'intimité bourgeoise sans qu'on n'y ré

pétât, avec ou sans musique, en solo ou en chœur, la phrase du fameux quatuor :

Où. peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?

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C'est peut-être le seul vers de Marmontel qui soit resté populaire. A quoi le doit-il? à la musique de Grétry.

Quand je dis le seul vers, je me trompe : il est encore quelques bribes des opéras de l'auteur des Contes moraux, à qui elle a valu le même honneur. Grâce à Grétry, ne roucoule-t-on pas toujours, en façon de proverbe tendre, la fameuse phrase de Zémire et Azor:

Du moment qu'on aime,
On devient si doux.

Grâce à lui encore, lorsqu'on regrette le temps passé, l'on se désole sur ce vers d'Anseaume dans le Tableau parlant :

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Ils sont passés ces jours de fète.

Méhul de même a, par une gracieuse mélodie, fait la fortune de ce vers d'Hoffmann, dans Ariodant:

Femme sensible, entends-tu le ramage.....

Della-Maria, par son aimable musique, a

popularisé ces pauvres vers du Prisonnier d'Alexandre Duval :

Il faut des époux assortis

Dans les liens du mariage.

Depuis les Deux Journées du sentimental Bouilly, l'on chantonne toujours, plus ou moins sur l'air noté par Cherubini :

Guide mes pas, ô Providence.

Dans le petit opéra d'Une Folie, la musique de Méhul a fait la fortune de ce vers du même rimeur bonhomme :

Je suis encor dans mon printemps.

Chaque fois qu'on veut se donner du caractère, on se fredonne in petto, comme le farouche Altinkirckoff d'Adolphe et Clara:

Prenons d'abord l'air bien méchant;

et il n'est personne qui, grâce à l'air de Solié, ne connaisse et ne fredonne ce vers d'Hoffmann dans le Secret :

Femmes, voulez-vous éprouver.....

Sans la musique de Meyerbeer, aurait-on jamais retenu ce piètre vers de la Ire scène de Robert le Diable qui, par son allure, rappelle le

temps où ce grand opéra n'était qu'un opéracomique :

Oui, l'or est une chimère.

Il est plat et il est faux surtout à notre époque, qui a si bien pris à cœur d'ajouter encore à cette vérité de Racine dans les Plaideurs (act. I, sc. 1):

Mais l'honneur sans argent n'est qu'une maladie,

et à celle-ci de l'Epitre V de Boileau, qui n'est qu'un reflet affaibli de l'autre :

La vertu sans argent n'est qu'un meuble inutile.

Les vers les plus sots ne sont pas ceux qu'on répète le moins, lorsqu'une bonne musique les patronne. Pendant combien de temps n'at-on pas chanté, sans rire, les fameux vers de Dejaure dans Montano et Stéphanie :

Quand on fut toujours vertueux,

On aime à voir lever l'aurore.

La musique de Berton empêchait d'en apercevoir la niaiserie, comme celle de Monsigny, dans le Déserteur, permet à peine de remarquer ce vers digne de M. de la Palisse :

Mourir n'est rien, c'est notre dernière heure.

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