prunter! Pour ma part, je n'y ai fait faute. Le Génie du Christianisme est un tissu de citations avouées au grand jour. Dans les Martyrs, c'est un fleuve de citations déguisées et fondues. Dans l'Itinéraire, elles devaient régner par la nature même du sujet. Je les admets volontiers partout... Socrate a dit quelque part chez Platon, qu'il était lui-même comme une coupe s'emplissant des eaux de sources étrangères au profit de son auditoire. » Après nous avoir donné ce curieux débris de conversation, M. de Marcellus ajoute: « J'ai eu la curiosité de chercher les paroles de Socrate, demeurées dans la mémoire de M. de Chateaubriand; car « l'exactitude de citer, a dit Bayle (art. SANCHEZ, Remarques), « est un talent plus rare qu'on ne pense. » Elles se trouvent textuellement dans le Phaidros. » Bayle, qu'on ne saurait trop citer à propos de citations, puisqu'elles sont le principal fonds de ses livres, nous disait tout à l'heure « que «l'application heureuse d'un vers de Virgile était digne d'un talent. » Je veux donner un exemple de ce genre de mérite, qui permet à celui qui emprunte de briller à l'égal de celui qui prête. Il ne s'agit pas de Virgile, mais de Corneille, à propos d'un vers de sa Rodogune (acte I, sc. v). ་ C'était sous la Restauration. Une des reines de ce temps aimable, la marquise de Prie quittait Paris pour Turin et tous les fidèles de sa société déposaient sur un album le tribut d'un regret qui tâchait d'être spirituel. Charles Brifaut était du nombre, et c'est lui maintenant qui va parler: « Figurez-vous, dit-il dans ses Récits d'un vieux parrain, que le jeune de Crussol, écolier de quatorze ans, charmant lutin, espiègle comme on l'est à son âge, avait été sommé d'apporter sa contribution, qui n'était pas une contribution de guerre. Insouciant et léger, il n'avait pas envie de rêver à des rimes, au lieu d'aller à la chasse; il vint donc à moi pour me prier de mettre mon esprit, si j'en avais un, au service de sa paresse. Je réfléchis, et je lui dis: « Tenez, il y a quelqu'un qui s'entendra mieux que moi à vous tirer d'affaire; et je lui dictai ce vers de Rodogune : Elle fuit, mais en Parthe, en lui perçant le cœur. « On n'a pas d'idée du succès de cet à-propos, lequel fit beaucoup d'honneur à son auteur putatif, qui, depuis, s'est fort facilement passé de moi, ou plutôt de ma mémoire, pour faire. ses preuves d'esprit. » J'ai dit que Virgile n'aurait rien à faire ici; je me trompais, le vers de Rodogune n'est qu'une allusion à l'un des siens (Georg., liv. III, v. 31): ༥ Fidentemque fugâ Parthum, versisque sagittis. « Et, dit Rabelais (liv. IV, ch. xxxXIV), vous faictes pareillement narré des Parthes qui par derrière tiroient plus ingénieusement que ne faisoient les autres nations en face. » II Dans les citations, comme en toute chose, il faut de la conscience, et c'est même en cela qu'elles peuvent soulever plus d'une question de littérature légale. Citez, c'est fort bien fait; mais avouez-le, et ne laissez pas mettre sur le compte de votre esprit ce que vous prête l'esprit des autres. D'un autre côté, n'annoncez jamais comme une citation ce qui n'est qu'une saillie de votre imaginative en travail. De quelque valeur que soit votre pensée, quelque bon que soit son aloi, n'allez pas lui donner pour contrôle et pour étiquette le nom de Bossuet, de Fénelon ou de Voltaire. C'est le pavillon qui couvre la marchandise, dit-on soit! Mais il y a toujours dignité et modestie à ne pas arborer sur son esprit, fût il des meilleurs, le pavillon d'un grand nom. Dans le premier cas, c'est-à-dire quand on sous-entend à son profit le nom de l'auteur dont on cite une pensée, il y a plagiat, il y a vol dans l'autre, il y a faux en écriture littéraire. Ce dernier cas, je l'avoue, est de beaucoup le plus rare. Il ne faut pas être en effet un homme de peu de valeur pour se substituer ainsi aux bons esprits et pour leur faire endosser sa pensée, sans encombres, sans dire gare, et sans aussitôt faire crier au faussaire ! C'est un genre de mystification qui n'est bon à exercer que par les habiles, encore ne leur réussit-il pas toujours. Après le cardinal de Retz, qui, dans une séance au Parlement, où sa parole avait peu de succès, ne se tira d'embarras qu'en improvisant, sous le nom de Cicéron, un apophthegme latin des plus triomphants, je ne connais que... Rougemont, qui ait ainsi abusé avec succès de la citation fausse. Ce qu'il prêta de phrases à Bossuet et à Voltaire, ce qu'il inventa de vers de Boileau, de Corneille, etc., est vraiment incroyable. Il y aurait tout un supplément à faire à leurs œuvres. On croyait Rougemont sur parole. |