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FRELO N.

Oui, j'ai fuppofé qu'elle eft mal intentionnée contre le gouvernement.

Ladi ALTO N.

Ce n'eft point fuppofer, rien n'eft pofé plus vrai : elle est très - mal intentionnée, puifqu'elle veut m'enlever mon amant.

FREL ON.

Vous voyez bien

que

dans un temps

de trouble,

une écoffaife qui se cache est une ennemie de l'Etat.

Ladi AL TON.

Je ne le vois pas; mais je voudrais

FRELON.

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Je ne le parierais pas, mais j'en jurerais.

Ladi AL TO N.

Et tu ferais capable de l'affirmer devant des

gens

de conféquence?

FREL ON.

Je fuis en relation avec des perfonnes de conféquence. Je connais fort la maîtreffe du valet de chambre d'un premier commis du miniftre; je pourrais même parler aux laquais de Milord votre amant, et dire que le père de cette fille, en qualité de mal intentionné, l'a envoyée à Londres comme mal intentionnée ; je fuppoferais même que le père eft ici. Voyez-vous; cela pourrait avoir des fuites, et on mettrait votre rivale, pour ses mauvaises intentions, dans la prifon où j'ai déjà été pour mes feuilles.

Ladi ALTON.

Ah! je refpire; les grandes paffions veulent être fervies par des gens fans fcrupule (c) ; je veux que le vaiffeau aille à pleines voiles, ou qu'il se brife. Tu as raison; une écoffaife qui fe cache, dans un temps où tous les gens de fon pays font fufpects, est furement une ennemie de l'Etat; tu n'es pas un imbécille, comme on le dit. Je croyais que tu n'étais qu'un barbouilleur de papier, mais je vois que tu as en effet des talens. Je t'ai déjà récompenfé; je te récompenserai encore. Il faudra m'inftruire de tout ce qui fe paffe ici.

FREL O N.

Madame, je vous confeille de faire usage de tout ce que vous faurez, et même de ce que vous ne faurez pas. La vérité a besoin de quelques ornemens ; le menfonge peut être vilain, mais la fiction eft belle ; qu'eft-ce, après tout, que la vérité ? la conformité à nos idées: or ce qu'on dit eft toujours conforme à l'idée qu'on a quand on parle ; ainfi il n'y a point proprement de menfonge.

Ladi ALTON.

Tu me parais fubtil : il semble que

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à Saint-Omer (*). Va, dis-moi seulement ce que tu découvriras, je ne t'en demande pas davantage.

(*) Il y avait à Saint-Omer un collége de jéfuites anglais très-renommé dans toute la Grande-Bretagne.

SCENE IV.

Ladi ALT ON, FABRICE.

Ladi ALTO N.

VOILA, je l'avoue, le plus impudent et le plus

lâche coquin qui foit dans les trois royaumes. Nos dogues mordent par inftinct de courage, et lui par inftinct de baffeffe. A préfent que je fuis un peu plus de fang froid, je pense qu'il me ferait haïr la vengeance; je fens que je prendrais contre lui le parti de ma rivale. Elle a dans fon état humble une fierté qui me plaît: elle est décente; on la dit fage; mais elle m'enlève mon amant, il n'y a pas moyen de pardonner. (à Fabrice qu'elle aperçoit agissant dans le café.) Adieu, mon maître, fesons la paix ; vous êtes un honnête homme, vous; mais vous avez dans votre maison un vilain griffonneur.

FABRICE.

Bien des gens m'ont déjà dit, Madame, qu'il eft auffi méchant que Lindane eft vertueuse et aimable. Ladi ALTO N.

Aimable! tu me perces le cœur.

SCENE V.

FREEPORT vêtu fimplement, mais proprement, aves un large chapeau, FABRICE.

FABRIC E.

AH! Dieu foit béni, vous voilà de retour,

M. Freeport; comment vous trouvez-vous de votre voyage à la Jamaïque ?

FREE PORT.

Fort bien, M. Fabrice. J'ai gagné beaucoup, mais je m'ennuie. (au garçon du café.) Hé, du chocolat, les papiers publics; on a plus de peine à s'amufer qu'à s'enrichir.

FABRIC E.

Voulez-vous les feuilles de Frélon ?

FREE POR T.

Non, que m'importe ce fatras ? Je me foucie bien qu'une araignée dans le coin d'un mur marche fur fa toile pour fucer le fang des mouches. Donnez les gazettes ordinaires. Qu'y a-t-il de nouveau dans l'Etat ?

FABRICE.

Rien pour le préfent.

FREE POR T.

Tant mieux ; moins de nouvelles, moins de fottifes. Comment vont vos affaires, mon ami? Avez-vous beaucoup de monde chez yous? qui logez-vous à préfent?

FABRIC E.

Il eft venu ce matin un vieux gentilhomme qui ne

veut voir perfonne.

FREE PORT.

Il a raifon : les hommes ne font

pas bons à grand

chofe, fripons ou fots: voilà pour les trois & pour l'autre quart, il fe tient chez foi.

FABRICE.

quarts;

Cet homme n'a pas même la curiofité de voir une femme charmante que nous avons dans la maison.

FREE POR T.

Il a tort. Et quelle eft cette femme charmante ?

FABRICE.

Elle eft encore plus fingulière que lui; il y a quatre mois qu'elle eft chez moi, et qu'elle n'est pas fortie de fon appartement; elle s'appelle Lindane, mais je ne crois pas que ce foit fon véritable nom.

FREE POR T.

C'eft fans doute une honnête femme, puifqu'elle loge ici.

FABRIC E.

Oh! elle est bien plus qu'honnête; elle est belle, pauvre et vertueufe: entre nous, elle eft dans la dernière misère, et elle eft fière à l'excès.

FREE PORT.

Si cela eft, elle a bien plus tort que votre vieux gentilhomme.

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