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il ne me refte que mon courage. Mon père eft errant de défert en défert en Ecoffe. Je ferais déjà partie de Londres pour m'unir à fa mauvaise fortune, fi je n'avais pas quelque espérance en milord Falbrige. J'ai fu qu'il avait été le meilleur ami de mon père. Perfonne n'abandonne fon ami. Falbrige eft revenu d'Espagne, il eft à Windfor; j'attends fon retour. Mais hélas ! Murrai ne revient point. Je t'ai ouvert mon cœur ; fonge que tu le perces du coup de la mort, fi tu laiffes jamais entrevoir l'état où je fuis.

POLLY.

Et à qui en parlerais-je ? je ne fors jamais d'auprès de vous; et puis, le monde eft fi indifférent fur les malheurs d'autrui !

LINDAN E.

Il eft indifférent, Polly, mais il eft curieux, mais il aime à déchirer les bleffures des infortunés; et fi les hommes font compatiffans avec les femmes, ils en abusent, ils veulent fe faire un droit de notre misère; et je veux rendre cette misère respectable. Mais hélas ! milord Murrai ne viendra point!

SCENE V I.

LINDANE, POLLY, FABRICE avec une fervielle.

FABRIC E.

PARDONNEZ.. ARDONNEZ... Madame... Mademoiselle... je ne fais comment vous nommer, ni comment vous parler vous m'impofez du refpect. Je fors de table pour vous demander vos volontés.... je ne sais comment m'y prendre.

LINDA NE.

Mon cher hôte, croyez que toutes vos attentions me pénètrent le cœur ; que voulez-vous de moi?

FABRICE.

C'est moi qui voudrais bien que vous vouluffiez avoir quelque volonté. Il me femble

que vous n'avez

point dîné hier.

LINDAN E.

J'étais malade.

FABRICE.

Vous êtes plus que malade, vous êtes trifte.... entre nous, pardonnez... il paraît que votre fortune n'eft pas comme votre perfonne.

LINDA NE.

Comment? quelle imagination! je ne me fuis jamais plainte de ma fortune.

FABRICE.

Non, vous dis-je, elle n'eft pas fi belle, fi bonne,

fi défirable que vous l'êtes.

LINDAN E.

Que voulez-vous dire ?

FABRICE.

Que vous touchez ici tout le monde, et que vous l'évitez trop. Ecoutez; je ne fuis qu'un homme fimple, qu'un homme du peuple; mais je vois tout votre mérite, comme fi j'étais un homme de la cour: ma chère Dame, un peu de bonne chère: nous avons là-haut un vieux gentilhomme avec qui vous devriez manger ?

LINDA NE.

Moi, me mettre à table avec un homme, avec un inconnu ?

FABRIC E.

C'eft un vieillard qui me paraît tout votre fait, Vous paraiffez bien affligée, il paraît bien trifte auffi : deux afflictions mises ensemble

peuvent

devenir une

confolation.

LINDAN E.

Je ne veux, je ne peux voir personne.

FABRICE.

Souffrez au moins que ma femme vous faffe fa cour; daignez permettre qu'elle mange avec vous pour vous tenir compagnie. Souffrez quelques foins....

LINDA NE.

Je vous rends grâce avec fenfibilité; mais je n'ai befoin de rien.

FABRICE.

Oh je n'y tiens pas; vous n'avez besoin de rien, et vous n'avez pas le néceffaire.

LINDA NE.

Qui vous en a pu imposer fi témérairement ?

Pardon !

FABRICE.

LINDA NE.

Ah! Polly, il eft deux heures, et milord Murrai ne viendra point!

FABRIC E.

Eh bien, Madame, ce Milord dont vous parlez, je fais que c'eft l'homme le plus vertueux de la cour: vous ne l'avez jamais reçu ici que devant témoins; pourquoi n'avoir pas fait avec lui honnêtement devant témoins, quelques petits repas que j'aurais fournis ? C'eft peut-être votre parent?

LINDA NE.

Vous extravaguez, mon cher hôte.

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FABRICE, en tirant Polly par la manche. Va, ma pauvre Polly, il y a un bon dîner tout prêt dans le cabinet qui donne dans la chambre de ta maîtreffe, je t'en avertis. Cette femme-là. eft incompréhenfible. Mais qui eft donc cette autre dame qui entre dans mon café comme fi c'était un homme? elle a l'air bien furibond.

POLL Y.

Ah! ma chère maîtreffe, c'est miladi Alton, celle qui voulait époufer Milord ; je l'ai vue une fois roder près d'ici c'eft elle.

:

LINDA NE.

Milord ne viendra point, c'en eft fait, je fuis perdue: pourquoi me fuis-je obstinée à vivre ?

(elle rentre.)

SCENE

VII.

Ladi ALTON, ayant traverse avec colère le théâtre et prenant Fabrice par le bras.

SUIVEZ-MOI, il faut que je vous parle.

FABRICE.

A moi, Madame ?

Ladi ALTO N.

A vous, malheureux.

FABRICE.

Quelle diableffe de femme !

Fin du premier acte.

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