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SCENE I I I.

FRELON, Je remettant à fa table. Plufieurs perfonnes paraissent dans l'intérieur du café. MONROSE avance fur le bord du théâtre.

MONROSE.

MEs infortunes font-elles affez longues, affez

affreufes? Errant, profcrit, condamné à perdre la tête dans l'Ecoffe ma patrie, j'ai perdu mes honneurs, ma femme, mon fils, ma famille entière; une fille me reste, errante comme moi, miférable et peut-être déshonorée; et je mourrai donc fans être vengé de cette barbare famille de Murrai qui m'a perfécuté, qui m'a tout ôté, qui m'a rayé du nombre des vivans ! car enfin, je n'exifte plus ; j'ai perdu jusqu'à mon nom, par l'arrêt qui me condamne en Ecoffe; je ne fuis qu'une ombre qui vient errer autour de fon tombeau.

(un de ceux qui font entrés dans le café frappant fur l'épaule de Frélon qui écrit.)`

Eh bien, tu étais hier à la pièce nouvelle; l'auteur fut bien applaudi; c'est un jeune homme de mérite, et fans fortune, que la nation doit encourager.

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Je me foucie bien d'une pièce nouvelle. Les affaires publiques me défefpèrent; toutes les denrées font à

bon marché; on nage dans une abondance pernicieufe; je fuis perdu, je fuis ruiné.

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Cela n'eft pas vrai, la pièce ne vaut rien, l'auteur eft un fot, et fes protecteurs auffi; les affaires publiques n'ont jamais été plus mauvaises; tout renchérit; l'Etat eft anéanti, et je le prouve par mes feuilles.

UN

MONROSE,

SECOND.

Tes feuilles font des feuilles de chêne; la vérité eft que la philofophie eft bien dangereufe, et que c'eft elle qui nous a fait perdre l'île de Minorque (a). toujours fur le devant du théâtre. Le fils de milord Murrai me payera tous mes malheurs. Que ne puis-je au moins, avant de périr, punir par le fang du fils toutes les barbaries du père ! UN TROISIEME INTERLOCUTEUR, dans le fond. La pièce d'hier m'a paru très-bonne.

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Le mauvais goût gagne; elle est déteftable.

LE TROISIEME INTERLOCUTEUR.

Il n'y a de déteftable que tes critiques.

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(b) Et moi je vous dis que les philofophes font baiffer les fonds publics, et qu'il faut envoyer un autre ambaffadeur à la Porte.

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Il faut fiffler la pièce qui réuffit, et ne pas fouffrir qu'il fe faffe rien de bon.

(ils parlent tous quatre en même temps.)

UN

INTERLOCUTEUR.

Va, s'il n'y avait rien de bon, tu perdrais le plus grand plaifir de la fatire. Le cinquième acte furtout a de très-grandes beautés.

LE SECOND INTERLOCUTEUR.

Je n'ai pu me défaire d'aucune de mes marchandises.

L E TROISIE ME.

Il y a beaucoup à craindre cette année pour la Jamaïque; ces philofophes la feront prendre.

FREL ON.

Le quatrième et le cinquième actes font pitoyables. MONROSE, fe tournant.

Quel fabbat!

LE PREMIER INTERLOCUTEUR.

Le gouvernement ne peut pas fubfifter tel qu'il eft.

LE TROISIEME INTERLOCUTEUR.

Si le prix de l'eau des Barbades ne baisse pas, la patrie eft perdue.

MONROSE.

Se peut-il que toujours, et en tout pays, dès que les hommes font raffemblés, ils parlent tous à la fois! quelle rage de parler avec la certitude de n'être point entendu !

1

FABRICE, arrivant avec une ferviette.

Meffieurs, on a fervi; furtout ne vous querellez point à table, ou je ne vous reçois plus chez moi. (à Monrofe.) Monfieur veut-il nous faire l'honneur de venir dîner avec nous ?

MONROSE.

Avec cette cohue? non, mon ami; faites-moi apporter à manger dans ma chambre. (il fe retire à part et dit à Fabrice :) Ecoutez, un mot: milord Falbrige eft-il à Londres?

FABRICE.

Non, mais il revient bientôt.

MONROSE.

Eft-il vrai qu'il vient ici quelquefois!

FABRIC E.

Il m'a fait cet honneur.

MONROSE.

Cela fuffit bonjour. Que la vie m'eft odieufe!

FABRIC E.

(il fort.)

Cet homme-là me paraît accablé de chagrins et d'idées. Je ne ferais point furpris qu'il allât fe tuer là-haut; ce ferait dommage, il a l'air d'un honnête homme.

(les furvenans fortent pour dîner. Frélon eft toujours à la table où il écrit. Enfuite Fabrice frappe à la porte de l'appartement de Lindane.)

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Eh bien, qu'y a-t-il, notre cher hôte?

FABRIC E.

Seriez-vous affez complaifante pour venir dîner en compagnie ?

POLLY.

Hélas! je n'ofe, car ma maîtreffe ne mange point: comment voulez-vous que je mange? Nous fommesfi triftes!

FABRICE.

Cela vous égayera.

POLL Y.

Je ne puis être gaie : quand ma maîtreffe fouffre, il faut que je fouffre avec elle.

FABRIC E.

Je vous enverrai donc fecrétement ce qu'il vous faudra.

(il fort.)

FRELON, fe levant de fa table.

Je vous fuis, M. Fabrice. Ma chère Polly, vous ne voulez donc jamais m'introduire chez votre maîtreffe? vous rebutez toutes mes prières.

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