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Il femble que M. Hume ait fait fa comédie uniquement dans la vue de mettre fon Wafp fur la fcène, et moi j'ai retranché tout ce que j'ai pu de ce personnage ; j'ai auffi retranché quelque chofe de miladi Alton, pour m'éloigner moins de vos mœurs, et pour faire voir quel eft mon respect pour les dames.

M. F....., dans la vue de me nuire, dit dans fa feuille, page 114, qu'on l'appelle auffi Frélon, que plufieurs perfonnes de mérite l'ont fouvent nommé ainfi. Mais, Meffieurs, qu'est-ce que cela peut avoir de commun avec un perfonnage anglais dans la pièce de M. Hume? Vous voyez bien qu'il ne cherche que de vains prétextes pour me ravir la protection dont je vous supplie de m'honorer.

Voyez, je vous prie, jufqu'où va fa malice: il dit, page 115, que le bruit courut longtemps qu'il avait été condamné aux galères ; et il affirme qu'en effet, pour la condamnation, elle n'a jamais eu licu: mais, je vous en fupplie, que ce monfieur ait été aux galères quelque temps, ou qu'il y aille, quel rapport cette anecdote peut-elle avoir avec la traduction d'un drame anglais? Il parle des raisons qui pouvaient, dit-il, lui avoir attiré ce malheur. Je vous jure, Meffieurs, que je n'entre dans aucune de ces raisons; il peut y en avoir de

14 A MESSIEURS LES PARISIENS.

bonnes, fans que M. Hume doive s'en inquiéter : qu'il aille aux galères ou non, je n'en fuis pas moins le traducteur de l'Ecoffaife. Je vous demande, Meffieurs, votre protection contre lui. Recevez ce petit drame avec cette affabilité que vous témoignez aux étrangers.

J'ai l'honneur d'être avec un profond refpect,

MESSIEURS,

Votre très-humble et très-obéiffant ferviteur, JEROME CARRÉ,

natif de Montauban, demeurant dans l'impaffe de Saint-Thomas du Louvre; car j'appelle impaffe, Mesfieurs, ce que vous appelez cul-de-fac : je trouve qu'une rue ne reffemble ni à un cul ni à un fac: je vous prie de vous fervir du mot d'impasse, qui eft noble, fonore, intelligible, néceffaire, au lieu de celui de cul, en dépit du fieur F............. ci-devant j.....

СЕТТЕ

ETTE lettre de M. Jérôme Carré eut tout l'effet qu'elle méritait. La pièce fut repréfentée au commencement d'augufte 1760. On commença tard, et quelqu'un demandant pourquoi on attendait fi long-temps? C'est apparemment, répondit tout haut un homme d'efprit, que F.....eft monté à l'hôtel de ville. Comme ce F..... avait eu l'inadvertance de fe reconnaître dans la comédie de l'Ecoffaise, quoique M. Hume ne l'eût jamais eu en vue, le public le reconnut auffi. La comédie était fue de tout le monde par cœur avant qu'on la jouât, et cependant elle fut reçue avec un fuccès prodigieux. F..... fit encore la faute d'imprimer dans je ne fais quelles feuilles, intitulées l'Année littéraire, que l'Ecoffaise n'avait réuffi qu'à l'aide d'une cabale compofée de douze à quinze cents perfonnes, qui toutes, disait-il, le haïffaient et le méprifaient fouverainement. Mais M. Jérôme Carré était bien loin de faire des cabales: tout Paris fait affez qu'il n'eft pas à portée d'en faire ; d'ailleurs il n'avait jamais vu ce F..... et il ne pouvait comprendre pourquoi tous les fpectateurs s'obftinaient à voir F..... dans Frélon. Un avocat à la feconde repréfentation s'écria:

Courage, M. Carré, vengez le public; le parterre et les loges applaudirent à ces paroles par des battemens de mains qui ne finiffaient point. Carré, au sortir du spectacle fut embraffé par plus de cent perfonnes. Que vous êtes aimable, M. Carré, lui difait-on, d'avoir fait justice de cet homme, dont les mœurs font encore plus odieufes que la plume! Eh, Meffieurs, répondit Garré, vous me faites plus d'honneur que je ne mérite; je ne fuis qu'un pauvre traducteur d'une comédie pleine de morale et d'intérêt.

Comme il parlait ainfi fur l'efcalier, il fut barbouillé de deux baifers par la femme de F..... Que je vous fuis obligée, dit-elle, d'avoir puni mon mari! mais vous ne le corrigerez point. L'innocent Carré était tout confondu ; il ne comprenait pas comment un personnage anglais pouvait être pris pour un français nommé F..... et toute la France lui fefait compliment de l'avoir peint trait pour trait. Ce jeune homme apprit par cette aventure combien il faut avoir de circonfpection: il comprit en général que toutes les fois qu'on fait le portrait d'un homme ridicule, il fe trouve toujours quelqu'un qui lui reffemble.

Ce rôle de Frélon était très-peu important

dans

dans la pièce; il ne contribua en rien au vrai fuccès, car elle reçut dans plufieurs provinces les mêmes applaudiffemens qu'à Paris. On peut dire à cela que ce Frélon était autant eftimé dans les provinces que dans la capitale: mais il eft bien plus vraisemblable que le vif intérêt qui règne dans la pièce de M. Hume en a fait tout le fuccès. Peignez un faquin, vous ne réuffirez qu'auprès de quelques personnes; intéreffez, vous plairez à tout le monde.

Quoi qu'il en foit, voici la traduction d'une lettre de milord Boldthinker au prétendu Hume, au fujet de fa pièce de l'Ecoffaife.

"Je crois, mon cher Hume, que vous " avez encore quelque talent; vous en êtes ,, comptable à la nation : c'eft peu d'avoir ,, immolé ce vilain Frélon à la rifée publique, ,, fur tous les théâtres de l'Europe, où l'on ,, joue votre aimable et vertueuse Ecoffaife; ,, faites plus, mettez sur la scène tous ces ,, vils perfécuteurs de la littérature, tous ,, ces hypocrites noircis de vices, et calom,,niateurs dela vertu; traînez fur le théâtre, ,, devant le tribunal du public, ces fanati,, ques enragés, qui jettent leur écume fur ,, l'innocence, et ces hommes faux, qui vous ,, flattent d'un œil, et qui vous menacent Théâtre. Tome VIII.

* B

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