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arriver ou être arrivés en la nature, sans aucun changement de la part du Créateur, nous ne devons point en supposer d'autres en ses ouvrages, de peur de lui attribuer de l'inconstance; d'où il suit que puisqu'il a mu en plusieurs façons différentes les parties de la matière lorsqu'il les a créées, et qu'il les maintient toutes en la même façon et avec les mêmes lois qu'il leur a fait observer en leur création, il conserve incessamment en cette matière une égale quantité de mouvement.

<< De cela aussi, que Dieu n'est point sujet à changer et qu'il agit toujours de la même sorte, nous pouvons parvenir à la connaissance de certaines règles, que je nomme les lois de la nature, et qui sont les causes secondes des divers mouvements en tous les corps (1).

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Ces lois, que Descartes appelle les causes secondes de la nature, sont la loi d'inertie, la loi en ligne droite, la loi de la composition du mouvement courbe, et les sept lois de la communication du mouvement, que nous avons examinées. Or, elles ne contribuent point à produire le mouvement, elles ne sont que les manières dont il est produit, que les occasions suivant lesquelles il paraît et se distribue. Les esprits créés n'y contribuent pas davantage, étant seulement ca

1) Princ., part. 11, art. 36 et 37.

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pables de changer la direction (1). Il en résulte que, hors les miracles, la quantité de mouvement que Dieu a mise dans l'univers ne doit ni diminuer ni augmenter; car il répugne ou que Dieu n'en ait pas d'abord su la mesure convenable, ou qu'il n'ait pu la fournir, et qu'il soit obligé de venir, après coup, ajouter ou retrancher. Descartes est d'accord avec ses idées sur la cause première, sur les causes secondes et le pouvoir de l'âme sur le corps, précédemment exposées, ou, pour mieux dire, ce sont ces idées mêmes appliquées à la question présente.

En dernier terme, la conservation de la même quantité de mouvement implique la passivité des corps et l'impuissance des esprits créés à les mouvoir. Aussi est-elle rejetée par Leibnitz, qui supposant les corps actifs, lui substitue la conservation de la même quantité de forces (2). La force, qui ne produit point toujours son effet entier, peut ne pas changer, et, selon les circonstances, donner plus ou moins de mouvements. Cependant, pour qu'elle soit constante, il faut que tous les corps et même tous les esprits, si on l'entend de l'univers moral comme de l'univers physique, ainsi que Leibnitz paraît le faire, aient été créés à la fois, et qu'aucun

(1) OEuv., t. X, p. 540. (2) Oper., t. III, p. 180.

ne périsse. Savoir si tous les esprits et tous les corps reçurent l'être à l'origine, et si les corps subsistent indestructibles, comme il le prétend, c'est une question insoluble à la philosophie, et que nous ne perdrons pas le temps à discuter. Disons seulement que le contraire est plus vraisemblable et généralement admis.

Que Descartes toutefois n'ait point l'idée de l'égale quantité de mouvement, il n'ira jamais à concevoir que le mouvement se communique dans des proportions déterminées. Cette seconde idée est manifestement la suite de la première, qui préside même au calcul des lois du choc, où le mouvement est censé passer, en totalité ou en partie, d'un corps à l'autre, sans éprouver dans le résultat ni augmentation ni perte. Deux corps égaux se choquant avec des vitesses égales, rejaillissent chacun avec sa vitesse; inégaux et les vitesses égales, le moindre seul se réfléchit, et ils vont ensemble du même côté, avec la vitesse qu'ils avaient avant le choc; égaux et les vitesses inégales, le plus lent seul rebrousse chemin, et ils vont ensemble du même côté, avec une vitesse commune, moitié de celle qu'ils avaient avant le choc; inégaux et le plus grand en repos, l'autre rejaillit sans lui imprimer aucun mouvement. Il est inutile de répéter ici toutes ces lois; on voit qu'après la percussion, la quantité de mouvement reparaît toujours

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égale à ce qu'elle était avant. Nul doute que ce n'est point vrai dans tous les cas. Deux corps durs ou deux corps mous, qui vont à l'encontre l'un de l'autre, peuvent être réduits au repos par le choc. Mais combien il importe peu que Descartes soit induit en quelques erreurs, pour une idée à laquelle il doit de comprendre qu'il existe de semblables lois et d'en saisir plusieurs !

L'exemple de deux corps qui s'immobilisent dans le choc ne prouve point que le mouvement diminue; il se décompose et passe du tout aux parties qui sont agitées à l'intérieur par la secousse. C'est ce que veut dire Descartes lorsqu'il parle d'un homme qui, en se promenant, fait tant soit peu mouvoir toute la masse de la terre (1), et d'une pierre qui, en tombant, si elle ne rejaillit point, ébranle la terre qu'elle a frappée et lui transfère son mouvement (2).

Leibnitz explique aussi de cette façon, contre Clarke, la conservation de la même quantité de force (3). Clarke nie le fait, « parce que les parties des corps tout à fait durs et non élastiques ne sont susceptibles d'aucun trémoussement, faute de ressort (4). » Mais où Clarke a-t-il pris dans la nature

(1) OEuv., t. VIII, p. 37.

(2) T. X, p. 129.

(3) Op., t. II, p. 164.

(4) Ibid., p. 186.

des corps parfaitement durs et sans élasticité?

En général, Newton et ses partisans, Clarke et Maclaurin, ne rejettent ces mouvements intestins que parce qu'ils nient la subdivision des parties. dans les corps (1), et qu'ils les supposent composés d'éléments indivisibles et privés de tous pores (2). << Il me semble très-probable, dit Newton, qu'au commencement Dieu forma la matière en particules solides, massives, dures, impénétrables, mobiles, de telles grandeurs et figures, avec telles autres propriétés, en tel nombre, en telle quantité, et en telle proportion à l'espace, qui convenaient le mieux à la fin pour laquelle il les formait; et que par cela même que ces particules primitives sont solides, elles sont incomparablement plus dures qu'aucun des corps poreux qui en sont composés; et si dures, qu'elles ne s'usent ni ne se rompent jamais, rien n'étant capable, selon le cours ordinaire de la nature, de diviser en plusieurs parties ce qui a été fait originairement un par la disposition de Dieu lui-même. Tandis que ces particules continuent dans leur entier, elles peuvent constituer dans tous les siècles des corps d'une même nature et contexture; mais si elles venaient à s'user ou à être mises en pièces, la na

(1) Exposit. des découv. phil. de Newton, par Maclaurin, liv. I, ch. IV, art. 5, trad. de Lavirotte.

(2) Ibid, liv. II, ch. 11, art. 5.

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