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Dieu veuille qu'il y ait de la matière, afin que non-seulement elle existe, mais aussi afin qu'elle existe en repos.

« Il n'en est pas de même du mouvement, parce que l'idée d'une matière mue renferme certainement deux puissances ou efficaces auxquelles elle a rapport, savoir celle qui l'a créée et de plus celle qui l'a agitée. Mais l'idée d'une matière en repos ne renferme que l'idée de la puissance qui l'a créée, sans qu'il soit nécessaire d'une autre puissance pour la mettre en repos, puisque si on conçoit simplement de la matière, sans songer à aucune puissance, on la concevra nécessairement en repos. C'est ainsi que je conçois les choses; j'en dois juger selon mes idées, et selon mes idées, le repos n'est que la privation du mouvement; je veux dire que la force prétendue qui fait le repos n'est que la privation de celle qui fait le mouvement, car il suffit, ce me semble, que Dieu cesse de vouloir qu'un corps soit mu, afin qu'il cesse de l'être et qu'il soit en repos, »

En effet, la raison et mille et mille expériences m'apprennent que si de deux corps égaux en masse, l'un se meut avec un degré de vitesse et l'autre avec un demi-degré, la force du premier sera double de la force du second. Si la vitesse du second n'est que le quart, la centième, la millionième partie de celle du premier, le second n'aura que le quart,

la centième, la millionième partie de la force du premier. D'où il est aisé de conclure que si la vitesse du second est infiniment petite, ou enfin nulle, comme dans le repos, la force du second sera infiniment petite, ou enfin nulle, s'il est en repos. Ainsi il me paraît évident que le repos n'a nulle force pour résister à celle du mouvement. »

D'après Montucla, l'extrait suivant d'une lettre de Descartes, de 1638 (1), prouverait que telle avait été autrefois son opinion. « Je ne reconnais, dit-il, aucune inertie ou tardivité naturelle dans les corps, et crois que lors seulement qu'un homme se promène, il fait tant soit peu mouvoir toute la masse de la terre, à cause qu'il en charge maintenant un endroit, et après un autre. Mais je ne laisse pas d'accorder que les plus grands corps, étant poussés par une même force, comme les plus grands bateaux par un même vent, se meuvent toujours plus lentement que les autres, ce qui serait peut-être assez, sans avoir recours à cette inertie naturelle, qui ne peut aucunement être prouvée (2). » On désirerait que ces lignes eussent le sens que leur prête Montucla, car il vaut mieux se contredire et sortir de l'erreur qu'être conséquent et y rester. Mais cette tardivité que des corps, est une tardivité qui

Descartes repousse

(1) OEuv., t. VIII, p. 37.

(2) Hist. des math., t. II, p. 211.

serait inhérente à leur constitution, et que pour cela il appelle naturelle, et nullement la tardivité qui résulterait de la volonté immédiate de Dieu sur eux. Quant à l'ébranlement de la terre, causé par les pas d'un homme moindre qu'elle, il est clair que Descartes l'entend de l'agitation intérieure des parties ou molécules plus petites que l'homme, et il reste fidèle au principe que le repos résiste par lui-même.

«Képler, et après lui Descartes dans ses lettres, ont parlé, dit Leibnitz, de l'inertie naturelle des corps; et c'est quelque chose qu'on peut considérer comme une parfaite image et même un échantillon de la limitation originale des créatures, pour faire voir que la privation fait le formel des imperfections et des inconvénients qui se trouvent dans la substance... La matière est portée originairement à la tardivité ou à la privation de vitesse, non pour la diminuer par soi-même, quand elle a déjà reçu cette vitesse, car ce serait agir; mais pour modérer par sa réceptivité l'effet de l'impression, quand elle le doit recevoir (1). › Pour comprendre qu'aux yeux de Leibnitz la matière n'agit pas, il faut se souvenir qu'en rétablissant l'activité dans les créatures, il l'a exclue de la partie de leur existence, qui tòmbe sous les sens, c'est-à-dire de la matière. Ainsi c'est à

(1) Theod., art. 30.

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l'imperfection des corps qu'il attribue la puissance de résister! Au moins Descartes remontait à la volonté de Dieu ou à une chose réelle pour investir le repos du pouvoir de résistance; Leibnitz le dérive du néant. Est-il besoin de dire que le repos est un état d'équilibre entre des forces égales qui agissent en sens contraires, et par conséquent que la moindre force qui survient doit le rompre? Mais les corps se composent d'activité et d'étendue; plus ils ont d'étendue ou de masse, plus ils renferment d'activité intérieure, plus donc il faut de force extérieure afin de les mouvoir. C'est pourquoi, bien qu'à la rigueur la plus petite force meuve les plus grands corps, elle communiquera deux fois, trois fois plus de vitesse à un corps deux fois, trois fois moindre.

Descartes fonde encore ses lois sur ce principe, que la ́même quantité de mouvement se conserve dans l'univers. Principe erroné sans doute, mais qui regorge de vérité, si j'ose le dire; principe contre lequel se sont élevés tant de cris, mais devant lequel tombe d'admiration quiconque sait le comprendre.

« Il faut que nous considérions la cause du mouvement; et parce qu'elle peut être prise en deux façons, nous commencerons par la première et plus universelle, qui produit généralement tous les mouvements qui sont au monde; nous consi

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dérerons par après l'autre, qui fait que chaque partie de la matière en acquiert, qu'elle n'avait pas auparavant.

« Pour ce qui est de la première, il me semble qu'il est très-évident qu'il n'y en a point d'autre que Dieu qui, par sa toute-puissance, a créé la matière avec le mouvement et le repos de ses parties, et qui conserve maintenant en l'univers, par son concours ordinaire, autant de mouvements et de repos qu'il y en a mis en le créant. Car bien que le mouvement ne soit qu'une façon en la matière qui est mue, elle en a pourtant une certaine quantité qui n'augmente et ne diminue jamais, encore qu'il y en ait tantôt plus et tantôt moins en chacune de ses parties. C'est pourquoi, lorsqu'une partie se meut deux fois plus vite qu'une autre, et que cette autre est deux fois plus grande que la première, nous devons penser qu'il y a tout autant de mouvement dans la plus petite que dans la plus grande; et que toutes fois et quantes que le mouvement d'une partie diminue, celui de quelque autre partie augmente à proportion. Nous connaissons aussi que c'est une perfection en Dieu, non-seulement de ce qu'il est immuable en sa nature, mais encore de ce qu'il agit d'une façon qu'il ne change jamais : tellement qu'outre les changements que nous voyons dans le monde, et ceux que nous croyons, parce que Dieu les a révélés, et que nous savons

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