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maximum du bien dans l'univers, qu'ils prétendent imposer à Dieu et qui l'anéantirait, n'est qu'une illusion.

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Représentons nous, selon la belle image de saint Augustin (1), tout l'ouvrage de Dieu comme étant dans une espèce de milieu entre l'Étre-Suprême et le néant, qui sont comme ses deux extrémités. De quelque côté que la créature se tourne elle aperçoit un espace infini : l'être borné, en tant que borné, est infiniment distant de l'être infini; en tant qu'être, quoique borné, il est infiniment distant du néant; la distance infinie qui est entre la créature et le néant, est en elle la marque de la perfection infinie de celui qui l'a fait passer du néant à l'être. Par là tout degré d'être est bon et digne de Dieu par là le moindre degré d'être porte en lui le carctère de l'infinie perfection du Créateur.

et

« Il faut donc se représenter toutes les perfections que Dieu peut donner à son ouvrage, comme une suite de degrés d'une hauteur et d'une profondeur sans bornes. Ces degrés, d'un côté montent, de l'autre, descendent toujours à l'infini. Dieu voit tous ces degrés; mais, comme ils sont infinis, il n'en voit aucun de déterminé, au-dessus duquel li n'en voie encore d'autres qui sont possibles; il

(1) Contra epistol. Manich. quam vocant fundamentum.

n'en voit même aucun de déterminé qui ne soit fini et qui par conséquent n'en ait encore d'infinis audessous de lui.

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« Dieu n'a point de liberté par rapport à luimême. La liberté est une puissance de choisir.

Qui dit choisir, dit prendre une chose plutôt qu'une autre. Celui donc qui trouve tout dans un seul objet indivisible, et qui ne peut jamais s'empêcher de le vouloir, n'a rien à choisir de ce côté-là. Mais du côté de ses ouvrages tout s'offre à Dieu, et tout est digne de son choix. Il ne peut rien faire que de bon; par conséquent tout ce qui est possible, s'il est vraiment possible, et si ce n'est point un jeu de mots que de lui donner ce nom de possible, est bon et conforme à l'ordre. Si on prend pour l'ordre la sagesse immuable de Dieu, qui est son essence même, il faut donc que l'ordre, qui dans ce sens est la nature divine, s'accommode de tous les divers degrés de perfection auxquels Dieu peut borner son ouvrage.

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Ajoutons que Dieu ne peut faire une créature qui rassemble en elle tous les degrés de perfection possibles. Car cette créature, ou serait infiniment parfaite, auquel cas elle serait Dieu même, ou n'aurait qu'un degré fini de perfection, et par conséquent il y aurait encore d'autres degrés de perfection possibles au-dessus de ceux qu'elle posséderait. Il ne faut donc pas s'imaginer que la puissance

de Dieu soit infinie, en ce qu'elle peut produire une créature infiniment parfaite. En produisant cet être, il se produirait lui-même; il produirait son verbe, comme dit souvent saint Augustin, et non une créature. Ainsi, à force de vouloir étendre sa fécondité et sa puissance, on la détruirait; car on la mettrait par là dans une vraie impuissance de produire quelque chose hors de lui.

<< En quoi la puissance de Dieu sera-t-elle donc infinie? ou ce sera en ce que Dieu peut produire un certain degré de perfection finie, au delà duquel il ne peut plus rien; ou ce sera en ce qu'il peut choisir librement dans cette étendue de degrés de perfection finie, qui montent et qui descendent toujours à l'infini. Mais oserait-on dire qu'il y a un degré précis et fixe de perfection finie au-dessus duquel Dieu ne puisse rien faire?..... S'il y a un degré précis et fixe de perfection finie, au delà duquel Dieu ne puisse rien produire, selon l'ordre, il s'ensuit clairement que sa puissance est absolument bornée à ce degré; qu'il n'en a aucune au delà; et par conséquent que cette puissance ne peut en aucun sens être nommée infinie.

« Que si on a horreur de cette impiété, et qu'on reconnaisse en Dieu la puissance d'ajouter toujours, en montant vers l'infini, de nouveaux degrés de perfection à tout degré déterminé qu'il aura mis dans son ouvrage; voilà la puissance infinie de Dieu

sauvée; mais voilà aussi le principe fondamental de Malebranche miné sans ressource. Car, bien loin que Dieu ne puisse produire que le plus parfait, il s'ensuit qu'il ne peut jamais produire le plus parfait, puisqu'il peut toujours ajouter quelque nouveau degré de perfection à toute perfection déterminée...

<< Dans tous les choix que Dieu fait pour agir au dehors ou pour n'agir pas, pour produire le plus ou le moins parfait, il ne faut point chercher d'autre raison que sa supériorité infinie et son domaine souverain sur tout ce qu'il peut faire. Il est si grand qu'une créature ne peut avoir en elle de quoi le déterminer à la préférer à une autre, Elles sont toutes deux bonnes et dignes de lui, mais toutes deux infiniment au-dessous de sa perfection. Voilà sá pure liberté, qui consiste dans la pleine puissance de se déterminer par lui seul, et de choisir sans autre cause de détermination que sa volonté suprême, qui fait bon tout ce qu'il veut. Voilà ce que l'Écriture appelle son bon plaisir, et le décret de sa volonté. Si nous le méditons bien, nous trouverons que la plus haute idée de perfection est celle d'un être qui, dans son élévation infinie au-dessus de tout, ne peut jamais trouver de règle hors de lui, ni être déterminé par l'inégalité des objets qu'il voit; mais qui voit les choses les plus inégales, égalées en quelque façon, c'est-à

dire également rien, en les comparant à sa hauteur souveraine; et qui trouve dans sa propre volonté la dernière raison de tout ce qu'il a fait. Cette idée est la plus haute et la plus parfaite que nous ayions, et par conséquent c'est celle que Dieu nous a donnée de sa nature. Après cela, dites que Dieu étant infiniment sage, il ne peut rien faire qu'avec une sagesse qui préfère toujours le meilleur.

<«< La sagesse infinie de Dieu ne peut le déterminer à choisir le meilleur, quand il n'y a aucun objet déterminé qui soit effectivement le meilleur par rapport à sa perfection souveraine, dont les choses les plus parfaites sont toujours infiniment éloignées.

« Il est pourtant vrai que dans ce choix pleinement libre, où Dieu n'a d'autre raison de se dé terminer que son bon plaisir, sa parfaite sagesse ne l'abandonne jamais. Pour être souverainement indépendant de l'inégalité des objets finis entre eux, il n'en est pas moins sage; il voit cette inégalité de tous les objets entre eux ; il voit leur égalilé par rapport à sa perfection infinie; il voit leur éloignement infini du néant; il voit tous les rapports que chacun d'eux peut avoir à sa gloire, et toutes les raisons de le produire; il voit une raison générale et supérieure à toutes les autres, qui est celle de son indépendance et de l'imperfection de toute créature par rapport à lui; il y trouve son

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