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chez de voir où ce premier pas conduit. Prenez garde qu'un grain de matière, poussé d'abord à droite au lieu de l'être à gauche, poussé avec un degré de force plus ou moins grand, pouvait tout changer dans le physique, de là dans le moral, que dis-je? dans même le surnaturel. Pensez donc à la sagesse infinie de celui qui a si bien comparé et réglé toutes choses, que dès le premier pas qu'il fait, il ordonne tout à sa fin, et va majestueusement, invariablement, toujours divinement, sans jamais se démentir, jusqu'à ce qu'il prenne possession de ce temple spirituel qu'il a construit par Jésus-Christ, et auquel il rapporte toutes les démarches de sa conduite (1). » Avec un style qui rappelle Platon, Malebranche emploie les 10°, 11e, 12 Entretiens à dévoiler cette sagesse dans l'infiniment grand et l'infiniment petit qu'enferme l'univers matériel, dans les merveilles des cieux, des animaux, des plantes, dans les merveilles de l'union de l'âme avec le corps, de son union naturelle et surnaturelle avec la raison souveraine, dans les merveilles de l'efficacité de la cause efficiente ou volonté divine, déterminée par les causes occasionnelles, telles que le choc des corps, les désirs des créatures pensantes, ceux de l'âme humaine de Jésus-Christ; et transporté d'admiration, il s'é

(1) Ibid., X, 17.

crie: «Que Dieu est admirable dans ses œuvres! que de profondeurs dans ses desseins! que de rapports, que de combinaisons de rapports il a fallu comparer, pour donner à la matière cette première impression qui a formé l'univers avec toutes ses parties, non pour un moment, mais pour tous les siècles! que de sagesse dans la subordination des causes, dans l'enchaînement des effets, dans l'union de tous les corps dont le monde est composé, dans les combinaisons infinies, non-seulement du physique avec le physique, mais du physique avec le moral, et de l'un et de l'autre avec le surnaturel.

« Si le seul arrangement de la matière, si les effets nécessaires de certaines lois de mouvement très-simples et très-générales, nous paraissent quelque chose de si merveilleux, que devons-nous penser des diverses sociétés qui s'établissent et se conservent en conséquence des lois de l'union de l'âme et du corps? que jugerons-nous du peuple juif et de sa religion, et enfin de l'Église de JésusChrist? que penserions-nous de la céleste Jérusalem, si nous avions une idée claire de la nature des matériaux dont sera construite cette sainte cité, et que nous puissions juger de l'ordre et du concert de toutes les parties qui la composeront? Car enfin, si avec la plus vile des créatures, avec la matière, Dieu a fait un monde si magnifique, quel

ouvrage sera-ce que le temple du vrai Salomon, qui ne sera construit qu'avec des intelligences? C'est le choc des corps qui détermine l'efficace des lois naturelles; et cette cause occasionnelle, tout aveugle et simple qu'elle est, produit, par la sagesse de la providence du Créateur, une infinité d'ouvrages admirables. Quelle sera donc la beauté de la maison de Dieu, puisque c'est une nature intelligente, éclairée de la sagesse éternelle et subsistant dans cette même sagesse, puisque c'est JésusChrist qui détermine l'efficace des lois surnaturelles par lesquelles Dieu exécute ce grand ouvrage ? Que ce temple du vrai Salomon sera magnifique! Ne serait-il point d'autant plus parfait que cet univers, que les esprits sont plus nobles que les corps, et que la cause occasionnelle de l'ordre de la grâce est plus excellente que celle qui détermine l'efficace des lois naturelles? Assurément, Dieu est toujours semblable à lui-même. Sa sagesse n'est point épuisée par les merveilles qu'il a faites. Il tirera sans doute de la nature spirituelle des beautés qui surpasseront infiniment tout ce qu'il a fait de la matière (1). »

Toutes les fois que l'occasion se présente, Malebranche insiste sur l'impossibilité que les corps organisés, et même les autres, résultent des lois seules

(1) Ibid., XII, introd.

du mouvement. « On ne comprend pas, selon lui, qu'une machine composée d'une infinité d'organes différents, parfaitement bien accordés ensemble et ordonnés à diverses fins, ne soit qu'un effet de cette loi si simple et si naturelle, que tout corps doit se mouvoir du côté qu'il est le plus poussé; car cette loi est bien plus propre à détruire cette machine qu'à la former... On ne comprendra jamais que les lois du mouvement puissent construire des corps composés d'une infinité d'organes. On a assez de peine à concevoir que ces lois puissent peu à peu les faire croître. Ce que l'on conçoit bien, c'est qu'elles peuvent les détruire en mille manières... On dit que M. Descartes avait commencé un Traité de la formation du foetus, dans lequel il prétendait expliquer comment un animal se peut former du mélange des particules de la matière... Cette ébauche peut nous aider à comprendre comment les lois du mouvement suffisent pour faire croître peu à peu les parties de l'animal. Mais que ces lois puissent les former et les lier toutes ensemble, c'est ce que personne ne prouvera jamais. Apparemment M. Descartes l'a bien reconnu ̄luimême, car il n'a pas poussé fort avant ses conjectures ingénieuses. L'entreprise d'expliquer la génération des plantes ne lui aurait pas été moins impossible que celle des animaux (1). » Cette dou

(1) Entret., XI, 8.

ble impossibilité, Malebranche l'a développée par de longues considérations. « Mais, suivant lui, tout le reste de ce monde visible aurait pu se former précisément tel qu'il est par les lois générales de la communication des mouvements; supposé que les premières impressions du mouvement eussent eu certaines déterminations et certaine quantité de force que Dieu seul connaît (1). »

Comme pour Malebranche, ce fut pour Leibnitz une des grandes affaires de sa vie de combattre cette doctrine de Descartes, et de relever la sagesse de Dieu dans l'univers. « Il faut que la cause du monde, dit-il, soit intelligente; car ce monde qui existe étant contingent, et une infinité d'autres mondes étant également possibles et également prétendants à l'existence, pour ainsi dire, aussi bien que lui, lui, il faut que la cause du monde ait eu égard ou relation à tous ces mondes possibles pour en déterminer un. Et cet égard ou rapport d'une substance existante à de simples possibilités, ne peut être autre chose que l'entendement qui en a les idées; et en déterminer une, ne peut être autre chose que l'acte de la volonté qui choisit. Et c'est la puissance de cette substance, qui en rend la volonté efficace. La puissance va à l'être, la sagesse ou l'entendement au vrai, et la volonté au

(1) Méd., VII, 9.

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