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et en 1705, par Keill à Leibnitz, de piller Newton, après avoir prouvé, pièces en main, que si Leibnitz a eu connaissance des résultats que Newton devait à sa méthode, il n'a point connu la méthode elle-même, M. Biot ajoute: «Si la méthode des fluxious existait seule aujourd'hui même, l'invention du calcul différentiel, avec sa notation et ses idées de décomposition en éléments infiniment petits, qui en sont l'essence, serait une découverte admirable qui ferait aussitôt éclore une multitude d'applications que nous possédons, mais qu'on n'aurait probablement pas obtenues sans son secours (1)... C'est d'elle que dépend l'application plus facile du calcul différentiel, la réduction de ses opérations compliquées à des règles générales trèssimples, enfin la possibilité de découvrir et de suivre les analogies indiquées par l'algorithme même, analogies si utiles à une science qui exprime les raisonnements par des signes. En résolvant les lignes, les surfaces, les solides, en un mot, toutes les quantités physiques ou numériques en éléments infiniment petits, on peut, avec la faculté la plus entière et la netteté la plus parfaite, suivre tous les effets, toutes les conséquences qui résultent des caractères même les plus variables de ces éléments; on peut apprécier ces résultats

(1) Biog. univ., art. Newton, 1 XXXI, p. 176.

avec tel degré d'approximation que l'on désire, sans perdre un instant de vue les principes qui les produisent, et qui se présentent toujours parfaitement dégagés les uns des autres. Et lorsqu'on les a ainsi évalués isolément avec sûreté et exactitude, il ne reste plus qu'à les rassembler. Mais en employant la considération des fluxions dans la génération des quantités, on la complique d'un élément étranger qui est le mouvement. Cette considération même introduit dans les applications une complication inévitable qui les rend beaucoup plus difficiles à établir, et surtout à suivre dans leurs détails variables. Quels efforts d'esprit n'aurait-il pas fallu, par exemple, pour concevoir nettement et calculer par cette méthode les attractions des sphéroïdes, les lois de leur équilibre, lorsqu'on les suppose en tout ou en partie fluides, et celle de l'équilibre et du mouvement des fluides élastiques, dont la disposition, produite par l'action mutuelle de toutes leurs parties, est encore modifiée par la forme des vases où ils sont contenus! Ces problèmes et une infinité d'autres, parmi lesquels il faut compter presque toutes les questions de physique, ne sont pour ainsi dire accessibles que par les considérations tirées des infiniment petits. Tellement que si la méthode des fluxions eût été seule connue, la découverte, je le répète, de cette heureuse simplification eût encore été une

chose admirable, et aussitôt universellement étudiée et accueillie. Ainsi, dans cette supposition mème, assurément la plus favorable aux partisans exagérés de la méthode newtonienne, celle de Leibnitz eût été encore une amélioration capitale qu'il leur eût fallu nécessairement apprendre. Cette réflexion, qui réduit la question à un point dont tout le monde peut être aujourd'hui juge, puisqu'il est indépendant de toute controverse fondée sur des titres littéraires, anéantit complétement la question de priorité élevée entre Newton et Leibnitz, puisqu'il en résulte une différence entière et capitale dans le résultat de leurs découvertes (1)... Barrow, le maître de Newton, avait déjà donné depuis longtemps l'exemple de considérer la génération des lignes et des surfaces par le mouvement, et même par des mouvements composés de différentes vitesses, ce que l'on conçoit bien avoir pu naturellement porter Newton à considérer aussi en général les accroissements infiniment petits des quantités dans leurs rapports avec le mouvement; tandis que, par une succession d'idées également continue, mais tout à fait distincte, et peut-être plus philosophique, parce qu'elle était plus abstraite, et comme telle d'une application plus facile, Leibnitz a toujours été porté à considérer des diffé

(1) Ibid., art. Leibnitz, t. XXIII, p. 638.

rences, dans la génération desquelles il a ensuite découvert le véritable type qui distingue entre eux les résultats finis. Cette série d'idées séparément propres à chacun de ces grands génies, et suivie par chacun d'eux depuis ses premiers pas jusqu'au terme de ses découvertes, nous semble offrir un caractère d'individualité qui suffirait pour qu'on dût attribuer à l'un comme à l'autre l'honneur d'être arrivé au calcul infinitésimal par ses propres vues et par une route indépendante, si les preuves matérielles qui peuvent établir ce fait littéraire étaient perdues; mais il n'y a plus lieu de douter, lorsque la discussion des titres authentiques, c'est-à-dire de ceux que la publicité donne, conduit à la même conséquence (1). » Nous renvoyons à cette discussion faite par Montucla (2), par Bossut (3) et par M. Biot, discussion trop étendue pour être rapportée ici, et assez bien présentée pour que nous ne songions point à en faire une autre. A ces considérations de M. Biot nous joindrons une remarque de M. Lacroix, qui les confirme.

« Les géomètres du continent ne négligèrent point non plus l'emploi des suites; mais ils n'allèrent pas jusqu'à en abuser, comme firent les géo

(1) Ibid., art., Leibnitz. t. XXIII, p. 631.

(2) Hist. des math., t. III, p. 102.

(3) Hist. des math., t. II, p. 62.

mètres anglais du second ordre, qui les appliquèrent souvent à des problèmes dont on pouvait avoir la solution par des équations finies, ainsi que le leur fit voir Jean Bernoulli; il eut même à cet égard un reproche fondé à faire à Newton, qui parut méconnaître la vraie difficulté d'un problème (celui des trajections orthogonales) proposé par Leibnitz aux géomètres anglais, après qu'ils lui eurent contesté ses droits à la découverte du calcul différentiel. Ce n'était point dans la recherche de l'équation différentielle de laquelle dépendait ce problème, mais dans son intégration générale que consistait le mérite de la solution. Newton, possédant des méthodes pour résoudre par les séries, soit les équations algébriques, soit les équations contenant des fluxions, c'est-à-dire des équations différentielles, crut en avoir fait assez en indiquant la manière de trouver celle qui résultait du problème de Leibnitz; et c'est sur quoi Jean Bernoulli, profondément affecté de l'injustice des Anglais envers ce dernier, se récria beaucoup.

« L'école de Newton proposa à son tour un problème à résoudre aux disciples de Leibnitz le choix de la question donne lieu à des remarques qui semblent avoir échappé aux historiens des nouveaux calculs, et qui jettent cependant quelque lumière sur le point qu'ils ont eu à débattre. Quand on fait attention au soin que Newton avait mis dans

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