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Objections

Pére Malle branche.

une modalité d'une substance finie; que cependant notre ame qui eft bornée a bidée de l'infini qui ne peut être qu'en Dieu. Il eft aifé de répondre que l'infini ne peut être une modalité d'une substan. cefinie, pour être compris, & embraffé par elle; mais qu'il ne faut pas le moin dre effort à l'entendement pour l'appercevoir fimplement. Il n'y a pas un grand myftére à penfer qu'une chofe a des bornes, ou n'en a point.Non feulement l'efprit a trés naturellement l'idée de l'infinijil l'a'même avant celle du fini,puifque dans l'ordre des perceptions les plus fimples, l'entendement imagine le temps ou l'étendue, avant de penfer à fes bornes. L'idée de l'infini eft celle qui fé préfente le plus naturellement à l'efprit, quoiqu'il ne puiffe pas la comprendre.

A

Ce fyftéme a été attaqué par beauContre le coup d'objections, dont voici les prinytéme du cipales. L'union étroite de nos ames avec Dieu, tandis qu'elles font engagées dans les liens du corps, répugne à la raifon & au fentiment intérieur. Il eft contradictoire que nous ne puiffions pas appercevoir l'effence de Dieu, & que nous puiffions pénétrer à touts moments dans ce que cette effence enferme & contient en elle. Si nous formes trompés par nos fens, pourvû que ce foit en multipliant ou en groffiffant les objets, ce feroit un fujet à l'amour pro pre de s'applaudir; ce feroit une preuve que nous appercevons une portion de cette fubftance intelligible qui eft en Dieu, plus grande que les autres ne la

voient.'

Le P. Mallebranche femble tirer lui même cette conféquence de fes principes, lorfqu'il obferve [g] que la préfence intime de l'être général, & l'union immédiate de l'entendement avec la fou veraine raison, aïant quelque chofe de

[g] Recherch. de la vérit. liv. 3. part. 2.

trop vague & de trop vafte pour notre portée, elle cft la caufe de toutes les ab. ftractions déréglées de l'efprit, & de lat plupart des chiméres de la philofophie; & qu'entr'autres erreurs qu'elle a produites, les Péripatéticiens en ont tiré ces termes généraux d'acte, de puissance, de formes fubftantielles', de qualités occultes, de fympathies; que touts ces mots, qui ne font capables que de réveiller l'idée de l'être & de la caufe en général;montrent affez l'origine d'où ils font fortis. Ainfi la philofophie Péripa téticienne, fuivant le P. Mallebranche, feroit plus défectueufe que la Cartéfienne, en ce que la prémiere tiendroit davantage de la fource divine, d'où toutes nos idées émanent.Enfin eft-il concevable que l'entendement humain puife dans la fubftance de l'être infiniment parfait, les idées de touts les crimes?

On ne peut pas dire que raifonner ainfi, c'eft ne pas entendre le P. Mallebranche; & que lorsqu'il foutient que nous voions toutes chofes en Dieu, & que toutes les idées font des portions de la fubftance divine, fon fentiment eft que nous voïons en Dieuce qui a rapport à ces choles. Cette explication renverferoit tout le fyfteme; car nous fentons bien que l'idée du péché n'est pas moins directe, moins immédiate & moins fimple dans notre entendement, que l'idée de la vertu ainfi lorfque notre ame verroit le péché en Dieu, elle ne verroit pas la justice ou la miféricor de de Dieu par rapport au péché; of'ff l'ame ne trouvoit en Dieu qu'une idée de juftice ou de miféricorde, on demande au P. Mallebranche qu'il avoue prémiérement, que l'ame ne voit pas tout en Dieu, & qu'il explique enfuite où l'ame prend l'idée du péché.

Defcartes diftingue trois fortes d'i

ch.8.

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13.

Sentiment

dées; la prémiére purement extérieure, comme celle d'un cheval ou d'un oifeau, que l'on avû; la feconde formée en nous-mêmes, & compofée des idées extérieures, comme celle de Pégafe, compofée d'un cheval & d'un grand oifeau; la troifiéme née avec nous, comme l'idée de Dieu, & les axiomes d'une vérité immuable & éternelle.

Il s'en faut beaucoup que touts les philofophes modernes ne convienent avec Defcartes de ces idées innées. Plufieurs prétendent que puifque les hommes ne font pas généralement convaincus des idées innées, c'eft une preuve qu'ils n'apportent point en naiffant de pareilles idées. Ils avouent qu'il y a des vérités éternelles & immuables, perfuadés qu'il n'y eut jamais de Pyrrhonien de bonne foi; mais ils foutiennent que ces vérités font fi peu nées avec nous,que nous ne les apprenons que par des enfeignements ou par des réfléxions; & que ces vérités primordiales & éternelles entrent dans l'entendement par la voie des fens, comme toutes les autres idées.

Ariftote [b] n'admet rien dans l'end'Ariftote. tendement, qui n'y foit entré par la voie des fens [i]; & les rapports des cinq fens fes réuniffent fuivant Avicenne [k], au fens commun, qui a la faculté de les comparer. Parmi les Péripatéticiens, ou ceux qui fuivent ce fentiment d'Ariftote, les uns mettent l'origine de tou tes les idées dans les fens, & foutiennent que la connoiffance imparfaite que nous avons de la penfée & des autres opérations de l'entendement, vient auffi des fens; que ce font des retours de l'efprit fur lui-même, & des réfléxions par lef

[h] Ariftot. metaphyf. lib. 7. c. 4. [i] Suivant l'axiome reçû prefque généralement dans l'échole, Nihil eft in intelleAu quod non prius fuerit in fenfu. Aver

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quelles il fe retrace les impreffions agréables ou triftes qu'il a reçûës des fens; les autres affignent deux origines aux idées, l'une dans les fens, l'autre dans les réfléxions de l'entendement sur les propres opérations. Ces deux opinions font peu éloignées l'une de l'autre, & fe rapportent à celle d'Ariftote.

24.

En quelle

re

jetter les

nées.

Mais ces mêmes Philofophes qui nient que nous apportions en naifant aucune idée, ne laiffent pas de donner tion on ne le nom d'idées innées au fentiment inté- doit paste neur qui fe trouve par la réfléxion dans idées intout homme capable de raifonnement; à une induction qui fe tire de toutes les preuves qui nous environnent, & aux quelles notre efprit ne peut ne peut le refufer;: à une conviction, qui réfulte de tout ce qui eft au-dedans & au dehors de nous; à une lumière dont nous fommes éclairés malgré nous-mêmes; à u ne voix qui fe fait entendre au milieu du tumulte des paffions; à un témoignage fecret, plus fort que le torrent des inclinations & des habitudes: en ce cas là, on ne peut pas nier que nous n'aïons dans notre entendement, les idées innées de Dieu & d'une juftice naturelle. Ces philofophes croient feulement que les idées innées, même celles de Dicu & d'une juftice naturelle, ne font pas nées avec nous, fuivant le fens étroit & littéral de ces paroles, mais que quoiqu'elles foient communes à touts les hommes; elles font entrées dans l'entendement comme les autres, par la voie des fens. L'idée d'une juftice naturelle eft une idée très complexe,qui renferme des préceptes & des défenfes, & des réfléxions fur les bonnes & les mauvaises

actions

roës, in Ariftot. pofterior. Analytic, lib. 1. c 13. Huet. cenfur. philofoph. Cartefian. c. 3. §. 9.

[k] Avicenn. ap. Albert. Magn. Ifagoge in librum de animâ, c 14.

des idées

des lens

actions. Tout homme qui parlera de bonne foi, après avoir écouté le témoignage de fa confcience, avouera qu'il eft convaincu intérieurement qu'il y a une justice naturelle; mais cette idée eft entrée dans fon entendement, par les fens & par les réflexions, qui font en même temps les fources du témoignage intérieur de la confcience.

Si l'on demande à ces philofophes par Exemples quel fens peut entrer l'idée de l'ame & abitraites, de la penfée? Ils répondent que nous qui viennentavons une incertitude & une conviction entiére, auffi-bien qu'une expérience prefque continuelle des chofes dont nous n'avons pas l'idée qu'ainfi nous n'avons pas l'idée de notre ame ni de notre penfée que nous connoiffons par la confcience [, ni des autres substances fpirituelles,que nous connoiffons par la comparaifon. Si on leur demande d'où leur cft venue l'idée de la vérité ? Ils répondent qu'elle leur eft venuë de la confidération des chofes dans lesquelles ils la contemplent.Si ou leur demande d'où leur eft venue l'idée d'un nombre, comme de quatre?lls répondent qu'elle leur eft venue de plufieurs chofes qu'ils ont vûës, qui étoient au nombre de quatre, ou même que leur entendement a pû fe la former,ajoutant aifément à deux chofes qu'ils avoient vûës fouvent, deux autres chofes, ou ajoutant à trois objets qu'ils avoient vûs, un quatrième objet; & qu'en conféquence des chofes fenfibles nombrées, leur entendement en a détaché le nombre, pour le confidérer à part, & d'une manière abftraite. Si on leur demande d'où leur eft venue l'idée du mouvement? Ils répondent qu'elle Jeur eft venue de plufieurs corps qu'ils ont vû fe mouvoir, d'où il eft arrivé Tom. II.

[1]Il faut entendre ici ce mot de conscience métaphyfiquement,comme une expérience intérieure, non pas moralement, comme une fa

que leur entendement féparant le mouvement & la chofe mobile, s'eft formé une certaine idée abftraite du mouvement, non pas une idée claire & expreffe, mais informe & confufe. Si on leur demande d'où leur eft venuë cette notion, que deux chofes égales à une troisième, font égales entr'elles? Ils répondent qu'elle leur eft venuë de plufieurs obfervations qu'ils ont faites, de chofes qui aïant été mesurées à la même mefure, fe font trouvées égales; & même que l'entendement par fa force naturelle a bien pû se la former, en fe figurant quelque mefure imaginaire fur le modéle des mesures qui lui font présentées par les fens, & à laquelle il applique deux chofes mentalement; & les trouvant égales à cette mefure imaginaire, il en conclud qu'elles font égales entr'elles; que de là s'eft formée cette notion générale & vague, détachée de toute forte d'objets extérieurs, & dont l'entendement reconnoît que la vérité eft immuable & éternelle; que deux choses qui font égales à une troifiéme,font égales entr'elles. Si on leur demande d'où leur eft venuë l'idée de Dieu ? Ils répondent, fuivant le fentiment de S. Denys & de S. Thomas[m],que nous connoillons Dieu comme la caufe fupréme & générale de touts les objets fenfibles, & comme l'auteur de notre exiftence; que nous connoiffons touts fes divins attributs, pour parler le langage de l'échole, par excès & retranchement;& qu'enfin tant que nous fommes attachés à ce corps mortel, nous ne pouvons avoir aucune forte d'idée, qui n'entre dans l'entendement par la voie des fens.

Mais il s'en faut beaucoup que tout

N tisfaction, ou un repentir des bonnes ou mauvaises actions.

[m] S.Thom fumm,1.9.84.

16.

Nos fenfa

entendeancnt.

ce qui eft du reffort des fens, ne foit à tions font la portée de notre entendement. Nous beaucoup avons déja observé que la plus petite plus étendues que notre parcelle de matière eft un abime où l'efprit fe perd. Nos fenfations font pour nous un mystére impénétrable, & nous ne pouvons concevoir de quelle maniére une puiffance fpirituelle peut être affectée par un objet corporel. Nous ne connoiffons ni la forme, ni le mélange des éléments, ni les propriétés de la lumiére dont nous fommes environnés, & dont nos fens font un continuel ufage. Prefque toutes les opérations de la nature, celles-mêmes qui fe paffent au dedans de nous, par lefquelles nous vivons & nous agiffons,échapent encore à nos recherches;& malgré ce defir de fçavoir, qui nous dévore, nous ne fça

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18.

tion qu'ils

de fuivre la trace des criminels, en tenant une baguette; & plufieurs autres exemples, qui nous obligent d'avouer que la plupart des chofes qui tombent fous nos fens, même les actions extérieures des autres hommes, font incompréhensibles, & furpaffent les forces de notre entendement.

Ce que l'ame apperçoit immédiateL'ame ne re ment par les fens, la touche & l'appliçoit de vives que fort vivement; ce qu'elle connoît impreffions des objets, par l'imagination, l'émcut beaucoup qu'à propor-moinsice que l'entendement lui repréagiflent fur fente, ce qu'elle apperçoit par un retour les feas. fur les propres opérations, ne la réveille prefque pas. C'eft que les fens repréfentent les objets comme préfents,l'imagination ne les repréfente que comme abfents, & l'entendement ne repréfente

que des chofes qui n'ont aucun rapport, ou un rapport fort éloigné avec cette union intime de l'ame au corps, dont elle eft prefque entiérement occupée. Nous ne devons donc pas juger de la grandeur ou de l'importance de nos idées par les modifications qu'elles produifent en nous. Quand je me pique, par exemple, ou que je me brûle, j'ai une perception très vive & très gran de d'une idée, pour ainfi dire, fort petite; & quand j'imagine les cieux, ou que je pense à l'immenfité des efpaces, j'ai une perception très petite & très foible d'une très vafte idée. Si je raifonne fur les opérations de l'entendement,d'appercevoir,de juger,de comparer,de tirer des conféquences; fi j'examine les fources des erreurs, ou fi j'apprends les régles de la méthode prefcrites par la dialectique ou par la rhétorique, je trouve mon éfprit encore moins difpofé à s'y appliquer,qu'à des fpéculations phyfiques,à moins que mon attention ne foit réveillée par des exemples intéreffants. Si je fimplifie mes idées au point de les détacher de tout objet corporel, comme dans l'algébre, où je confidére les grandeurs & les quantités en

elles-mêmes, & féparées de toutes relations aux corps, loin de faciliter ces idées, mon entendement ne trouve prefque plus de prife fur elles: enfin les vérités & les preuves métaphyfi. ques n'aïant avec les fens que des rapports extrémément éloignés, & étant d'une nature, pour ainfi dire, hété rogéne aux fenfations, font celles de toutes qui font le moins d'impression; & l'efprit, s'il n'y eft accoutumé, a peine à les faifir. Cependant les idées abftraites font les plus diftinctes, & les vérités les moins dépendantes des fens font celles qui ont le plus de clarté, d'évidence & de certitude; mais

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20.

cafés dans les fenfa

tions.

Plufieurs caufes fortuites jettent fouDéfordre vent bien du défordre dans les fenfa tions. Quand les efprits animaux font agités par quelque fiévre chaude, ou par quelque paffion violente, ils remuënt les fibres du cerveau avec autant de force, que fi la préfence même de l'objet caufoit la fenfation, de forte que ces perfonnes fentent ce qu'elles ne devroient qu'imaginer, & croient voir devant leurs yeux des objets qui ne font que dans leur imagination:ce qui prouve que les fens & l'imagination ne différent que du plus au moins.

21.

Errears des

Nous avons coutume d'attribuer nos fenfations fenfations aux objets toutes les fois qu'ils agiffent fur nous par le mouvement de quelques parties invisibles,& c'est pour cette raison qu'on croit ordinairement que la chaleur,la lumière, les odeurs, les fens, & quelques autres fenfations font dans les objets extérieurs qui les caufent. On fent du mal à des membres que l'on n'a plus;& un aveugle difcerne

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avec fon bâton la figure & les qualités de plufieurs objets.Il connoît fi c'eft de l'eau,de la terre, de la pierre ou de l'herbe qu'il touche ; fi le plancher eft uni ou raboteux. Il eft certain que l'ame n'eft pas dans ce bâton, ni dans ce membre qui a été coupé. Defcartes montre par ces deux expériences, que la fenfation répandue dans toutes les parties du corps, ne prouve pas que l'ame y foit auffi repanduë;& que comme l'ébranlement du corps poli ou raboteux fe communique à la main par le moien du bâton, de même l'impreffion reçûë par les fibres & par les nerfs, fe communique à l'endroit où l'ame fait fa réfidence.

22.

veilleux de

Soit que nos fenfations fe faffent par Le cerveau ces meflagers fubtils répandus dans les plus merfibres [], que les philofophes ont appel- touts les lalés efprits animaux, qui portent au cer, boratoires. veau les nouvelles de ce qui fe paffe aux extrémités des fibres, & qui font envoïés du cerveau,pour mouvoir les mufcles, en exécution des volontés de l'ame, foit que tout cela fe paffe en nous de quelqu'autre maniére,il faut toujours con venir que le cerveau,comme le dit M.de Fontenelle [o],eft le plus merveilleux de touts les laboratoires. Mais Sténon [p] célébre anatomifte prouve que cet admirable laboratoire n'est point du tout connu; qu'on ignore les qualités de la fubftance qui s'y trouve; qu'il eft impoffible d'y démêler de quelle maniére les nerfs s'y joignent quelle eft leur communication & leur fuite, & jus N 2

Corporeis, animæ præftò eft, anima que miniftrat Cum vult ipfa aliquid fieri, corpusque

moveri. Marcel. Paling.Zodiac.l.z. [o] Hift de l'acad. des fcienc.ann. 1707.p. 16. [p] Difcours de Stenon fur l'anatomie d'u cerveau, & expofition anatomiq. de la firuEure du corps humain par M. VVinftlerv.

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