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37.

Bons effets de la joie

choquant, parce qu'ils font comme les indices d'un grand fond d'amour propre, que les hommes ne pardonnent guéres de manifefter au-dehors. La joie produit des effets admirapour la fanté,bles pour la fanté, elle anime & multiplie les efprits animaux; elle facilite la circulation du fang; elle contribue à la digeftion,& donne au chyle une bonne qualité. Elle rend le vifage plus coloré, & elle éclatte dans les yeux ap. pellés avec raison les miroirs de l'ame. La joie ouvre l'entrée de notre cœur aux paffions dangereufes [k], fi nous ue fommes pas en garde contre elle.

38.

Ufage de la haine.

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eft de ne fe rien permettre de toutes les chofes aux quelles elle nous porte,tandis que fon émotion dure.

Socrate dit à un efclave: Oh! que je te battrois bien, fi je n'étois pas en colére ! Le philofophe Athénodore confeilla à Augufte,de ne rien dire & de ne rien faire, quand il fe fentoit en colére, qu'il n'eût auparavant prononcé toutes les lettres de l'alphabet. Cette passion infpire des vengeances infenfées.Xerxés fit fouetter [9] l'Hellefpont, dont les flots lui parurent trop agités,lorfque fa flotte le traverfa. Le fleuve de Ġinde aïant emporté un des chevaux de Cy rus[r], ce monarque jura de le rendre fi petit & fi bas, que les femmes le traverseroient, fans fe mouiller les genoux: ce qu'il exécuta en le distribuant en 360. canaux. Les Nafamones par une délibération publique[s]réfolurent d'aller faire la guerre au vent de midi, dont ils étoient incommodés.

A l'égard de la haine, elle ne doit s'appliquer, qu'aux chofes nuifibles & vicieuses, & jamais aux perfonnes. Ne laiffons pas échapper l'avantage, qui nous peut revenir de la haine, que les autres ont pour nous, fuivant cette bel le maxime [] d'Antifthéne, qu'il eft utile d'avoir des amis & des ennemis; des amis pour nous avertir de nôtre devoir; & des ennemis pour nous obli-près un difcours violent qu'il avoit fait ger à le faire.

La colére eft une efpéce de haine
impétueuse, elle réfide principalement
dans le foie [m], ce vifcére contenant
la bile & la partie la plus ardente du
fang. Plutarque appelle la colére [n]
une maîtreffe hautaine & ingrate, qui
récompenfe mal les fervices qu'on lui
a rendus, & qui vend chérement les
confeils qu'elle donne. La colére ôte
la prudence [o], & expofe l'hommeà
toutes les embuches de fes ennemis. Un
excellent précepte contre la colére [p]

[k] Tunc cum triftis erat, defenfa eft
Illion armis,
Militibus gravidum læta recepit equum
Ovid.

[Plutarq. de l'utilité dès ennemis.
Em] Fervens difficili bile tumet jecur
Hor.

[n]Pintarg, dans la comparaifon de Thé
mistocle & de Camille

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L'empereur Valentinien mourut a

dans un tranfport de colére. Cette paffion qui l'avoit rendu redoutable aux autres, lui fut enfin fatale à lui-même. La colére fut le feul vice de Théodofe. S. Ambroise l'en reprit avec beaucoup ~ de liberté.

Cotys roi de Thrace aïant reçu en préfent plufieurs vafes trés beaux, mais fort fragiles, il les rompit touts lui-même: pour n'être pas en danger de fe mettre en colère à leur occafion.

Platon regarde la colére comme pro: [o] Gnarus præferocem, & infidiis magis opportunum. Tac.

[p]Ne fræna animo permitte calenti; Da fpatium, tenuemque moram;malè cuncta miniftrat.

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Impetus. Stat. Thebaid.lib. 10.
[a] Hérodot. Polymnic
[r] Hérodor. Clio.
Hérodor. Therpfychore.

Opinions

du magif.

trat.

41.

Refuta

eft la feule

pre à exciter le zéle de la juftice [t], & contraires il veut que le magiftrat foit un peu cofur la colére lére: mais cette colére ne doit avoir pour objet que le crime,& non le criminel;& c'est ainsi que nous devons entendre ce paffage de la fainte écriture.Mettez vous en colére, & ne péchez point. Sénéque [] eft d'une opinion contraire à Platon;Le juge dit-il,doit imiter la loi, qui eft fans paffion & fans colére. Sénéqué avance [x] que la colére eft la feule paffion, qui domine fur sion de cet- toute une multitude. L'expérience eft ion contraire à cette opinion. A la réferve de Sénéque, que la colére des paffions, qui ont pour objets des paffion qui avantages particuliers & l'interêt perdomine fur fonnel, telles que l'ambition & l'avatoute une rice, dont les impreffions fur tout un peuple font très rares & très foibles, toutes les autres paffions régnent fur Ja multitude, de même que la colére. On voit tout un peuple agité de l'en vie;témoin l'oftracifme d'Athénes, & de quelques autres états de la Gréce. Rien n'eft fi efficace pour l'émouvoir que la fuperftition: fa fureur eft redoutable [y] s'il n'eft lui-même fubjugué par la crainte. Les paffions de la haine, de la trifteffe, de la pitié, & toutes les autres exercent leur empire fur la multitude & l'inconftance les fait fucceder les

multitude.

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La colére

rougeur, eft

Defcartes dit que ceux qui rougif- 42. fent dans la colére font moins à crain- qui fe manidre, parce qu'ils n'ont qu'une colére fefte par la momentanée qui s'évapore au déhors moins à avec peu d'effet. Les prémiers mouve craindre. ments de cette paffion,comme de la plû- 43. part des autres font involontaires; le fa- La morale philofophigene peut s'exemter du trouble ma- que fort des chinal; & c'eft une chimére qu'Epicure a charactérisée,lorsqu'il dit[b]que le fage fera toujours égal, même en fonge.

borne de la

nature.

44. La feule morale

La morale Chrétienne plus fincere nous apprend qu'il y a des combats à livrer, & des mouvements qu'il faut chrétienne vaincre. L'homme vertueux les éprouve; la foibleffe n'eft pas d'être tenté, mais de fuccomber à la tentation.

eft vraie.

45.

Si vous ne foumettez pas vos paf- Excès des fions [c], elles vous auront bientôt paffions. fubjugué, & vous vous trouerez entraîné à des excès, que vous n'cuffiez pû ni prévoir ni imaginer. Myndiride Sybaritain [d] ne peut retenir fes plaintes du mal qui lui eft caufé par le plis d'une rofe. Hercule livré à Omphale laiffe l'univers en proïe aux montres, & paffe les jours entiers à filer. Alexandre dompté par la paffion du vin & par la colère, ternit fes victoires par la mort de Clitus, & par celle de Callifthéne..

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que fept ans, lorsqu'il protefta qu'il ne mangeroit point, qu'il n'eut vû pendre un jeune garçon qui l'avoit mis en colére:& il fallut pour lui faire prendre de la nourriture,attacher à une potence une représentation de ce jeune garçon. Les Aréopagites [e] condamnérent à mort un enfant, qui fe divertiffoit à crever les yeux à des cailles: & ils fe prefférent d'étouffer un monftre, qui donnoit des marques d'un fi méchant naturel,

Héliogabale faifoit attacher des hommes qu'il appelloit fes Ixions [f] à une de ces rouës, dont on fe fert pour élever de l'eau, & la faifant tourner en fa préfence avec beaucoup de rapidité, il prenoit plaifir à voir ces hommes tantôt en foncés dans l'eau, & tantôt fufpendus en l'air. Il en faifoit accabler d'autres[g] de fleurs, jusqu'à les étouffer quelque

fois.

On a toujours remarqué, que les perfonnes les plus lâches, & les plus foibles, étoient les plus fujettes à la cruauté. Ce fentiment ne peut être emploïé à aucun bon ufage; il doit être déraciné, en confidérant la honte de fon inhumanité: auffi la cruauté eft proprement un vice plûtôt qu'une paffion.

47.

Nous pouvons tirer beaucoup d'a Delaho vantages de la honte: cette paffion eft *. un contrepoifon excellent contre touts les vices, & elle eft un acheminement à la vertu, pour celui qui en fait un bon ufage.

La honte est une efpéce de trifteffe mêlée de crainte & de défiance de foimême. Elle eft ordinairement oppofée à l'orgueil; mais quelquefois elle est elle-même un orgueil fecret, irrité & affligé par les obstacles. Telle étoit la honte peinte fur le vifage [b], & ex• primée par le filence de ces foldats Ro

[e] Quintil. inftit. lib. 5. c. 9.

[f] Parafitos ad rotam aquariam ligabat & cum vertigine fub aquas mittebat, rurfumque in fummum revolvebat, eof que Ixonios amicos vocavit. Lamprid in Heliog ab.

[g]Oppreffit in tricliniis parafitos fuos violis & floribus, ficut animam aliqui efflaverint. Id. loc citat.

[h] Cette defcription dans Tite-Live eft d'un pathétique achevé: Neque illis fociorum comitas, vultufque benigni & alloquia non modò fermonem elicere, fed ne ut oculos quidem attollerent aut confolantesamicos contra intuerentur,efficere poterant. Adeò fuper moerorem pudor quidam effugere colloquia & cœtus hominum cogebat. Poftero die,cùm juvenes no biles miffi à Capuâ ut proficifcentes ad fi nem Campanum profequerentur,revertiffent,vocatique in curiam percunctantibus majoribus natu,multo fibi mæftioris & abjectioris animi vifos referrent, adeo filens ac prope mutum agmen inceffiffe: tacere indolem illam Romanam, ablatofque cum armis animos; non reddere falutem, non falutantibus dare refponfum, non hifcere

quemquam præ metu potuiffe, tamquam ferentibus adhuc cervicibus jugum, tub quod emiti effent; habere Samnites vitoriam non præclaram folùm, fed etiam perpetuam; cepifle enim non Romam fi cut ante Gallos, fed, quod multò bellicofius fuerit, Romanam virtutem ferociam. que. Cùmque hæc dicerentur, audirenturque, & deploratum prope Romanum nomen in concilio fociorum fidelium effet, dicitur Offilius Calavius Ovii filins, cla rus genere factifque, tum etiam æta te ve rendus, longe aliter fe habere rem dixiffe: filentium illud obftinatum, fixofque in terram oculos, & furdas ad omnia folatia aures, & pudorem intuendæ lucis, ingentem molem irarum ex alto animo cientis indicia effe, aut fe Romana ignorare ingenia, aut filentium illud Samnitibus flebiles brevi clamores gemitufque excitaturum,Caudinæque pacis aliquando Samniti bus quàm Romanis triftiorem memoriam fore: quippe fuos quemque eorum animos habiturum, ubicunque congreffuri fint: faltus Caudinos non ubique Samnitibus fore. T. Liv. lib.

9 1

48.

Réfuta

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ques fur la

mains, qui avoient été pallés fous le joug par les Samnites.

C'eft une honte mal entendue, & enfantée par l'orgueil, qui eft la caufe de l'opiniâtreté dans l'erreur, & de l'ob stination dans le crime. Fauffe & dan gereuse opinion, qui cache aux efprits prévenus, qu'il y a fouvent plus de magnanimité à fe corriger, quà n'avoir rien de répréhenfible; & plus de force à ferelever, qu'à ne point tomber.

Les Cyniques & les Stoïciens [] fe tion des opi- mocquoient de l'idée de honte, attachée tions cyni- aux paroles,on aux difcours. Les hombienféance. mes font-ils raifónnables, difoient-ils, de s'imaginer qu'ils prononcent avec bienséance les noms des plus grands crimes,comme le facrilége & le parricide,& de regarder comme obfcéne, ce qui n'a rien que de bon en foi, rien que de conforme aux intentions de la nature, & de nécessaire à la propagation de fon efpe." ce, par l'union des deux féxés? La malhonnêteté, ajoûtoient-ils, ne pour roit venir que de la chofe fignifiée, ou de l'expreffion qui la fignifie. Elle ne vient pas de la chofe même,puifque cette chose peut être fignifiée honnêtement par d'autres termes elle ne vient pas non plus de l'expreffion; qui en elle-même n'eft qu'une inflexion de l'air,un fon auquel l'honnêteté ou la malhonnêteté ne peuvent convenir. C'est ainsi que par de vains fophifmes ils attaquoient la pudeur.

Une même action peut être exprimée honnêtement par un fon, & des

[i] Nec verò audiendi funt Cynici, aut fi qui fuerunt Stoïci pænè Cynici, qui reprehendunt & irrident, quod ea, quæ turpia re non funt verbis flagitiofa dicamus; illa autem quæ turpia funt, nominibus appellemus fuis.Latrocinari,fraudare, adulterari re turpe eft,fed dicitur non obf cœnè: liberis dare operam, re honestum eft, nomine obfcænum. Pleraque in eam fententiam ab eifdem contra verecundiam

honnêtement par un autre, fi l'un de ces fons y joint quelque idée, qui condamne l'infamie de cette action, & li l'autre fon au contraire la préfente à l'efpris d'une maniére impudente & effrontée ; & l'expreffion feule eft honteufe, lorfqu'elle joint une idée criminelle ou qui blesse la pudeur, à une chofe naturelle & bonne en foi.

49.

De l'or

Touts les fentiments de l'orgueil, pour partir d'un même principe, ne gueil. font pas les mêmes. Un démenti eft regardé comme une injure atroce. Un Lacédémonien, par une idée de fierté très différente, répondit à un démenti [k], qu'étant homme libre, il pouvoit mentir quand bon fui fembloit.

L'orgueil eft ingénieux à prendre toute forte de formes: on s'eft aperçû fouvent qu'il empruntoit le mafque même de l'humilité & de la modeftie.

Diogène le Cynique difoit, qu'il ne trouvoit pas les Lacédémoniens moins orgueilleux avec leurs habits déchirés, que les Rhodiens avec leurs robbes brodées d'or.

Si les hommes refléchiffoient férieu fement fur la mort [1], cette pensée éteindroit bientôt en eux l'orgueil, & toutes les autres paffions. Le monde entier fut en guerre, parce que Céfar ne pouvoit fouffrir un fupérieur dans Rome, & que Pompée n'y vouloit point d'égal. Ils avoient bien peu de temps à vivre l'un & l'autre, quand l'orgueil excitoit entr'eux une fi importante quérelle.

difputantur. Nos autem naturam fequamur, & ab omni quod abhorret ab oculorum auriumque approbatione fugiamus. Cic. de offic lib. 1.

[k] Plutarch.apophth, Lacon.

[1] Heu cur ufque adeò, viliffima terra, fuperbis,

Cujus fœda brevi corrodent vifcera vermes? Marcell, Paling Zodiac. lib. 4.

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ST.

La jalousie n'agite pas moins les hommes pour les plus petites caufes,, que pour les plus grands intérêts. Le potier, dit Héliode [m], eft plein de jalousie contre le potier, le muficien eft jaloux du muficien, le mandiant du mandiant.

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La jalousie eft une crainte de perdre ou de partager quelque bien: elle, s'excite moins par de véritables fujets d'inquiétude, que par la grande eftime qu'on fait de ce bien. La jaloufie caufe une curiosité très déraisonnable, de vouloir s'éclaircir de fon mal. Si le fentiment de la jalousie demeure par la nature inféparablement attaché à l'amour, au moins cette paffion ne produit plus dans le fiécle où nous fommes, les emportements de vengance qu'elle faifoit naître autrefois. C'est un exemple fenfible, que les vices ont leurs modes, comme les vertus.

Le comte de Chateaubriant fit oude jaloufics.yrir les veines à fa femme, pendant la prifon de François I. & vengea par cette mort les foupçons qu'il s'étoit mis dans l'efprit d'une intrigue de la comteffe avec ce monarque. Le mari de la belle Ferroniére fe chargea luimême de la dofe la plus forte qu'il lui fut poffible, de poifon vénérien, pour le communiquer à fa femme, en infecter François I. & foulager par cette vengeance la phantaific de fon deshonneur, en devenant la premiére victime des trois qu'il immoloit. Le mari de la

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ducheffe d'Etampes [»] fit informer après la mort de François I. du commerce que ce mouarque avoit eu avec fa femme; & ce qui est très fingulier c'eft que le roi Henri II. fubit interrogatoire en faveur de ce jaloux.

Sentime

haine.

Sénéque dans fa tragédie d'Hercule 52. [o], donne à la haine un fentiment de de jalou jalousie,dont je ne crois pas qu'on trou-attaché à ve d'exemple ailleurs. Ce fentiment ne paroît pas s'accorder avec le charaetére de la haine. Mégare dit à Lycus: Tu m'as ravimon pére, mon frère, ma patrie,ma couronne:il ne me refte qu'un bien plus précieux que touts ceux, que tu m'as enlevés; c'eft la haine que j'ai pour toi. Je fuis jaloufe de la partager cette haine avec le peuple, & je me reproche de ne la pas renfermer toute entiére dans mon cœur.

L'envie, régne fur les ames baffes. C'eft par un fentiment de cette palfion, que nous haïffons un homme vertueux [p], tandis qu'il eft vivant, auquel nous païons après fa mort un tribut de regrets inutiles.

Lorfque Scipion alla prendre en Elpagne le commandement de l'armée romaine, après la mort de fon pére. & de fon oncle, qui avoient été tués par les Carthaginois, il y trouva Martius comblé de gloire, pour avoir foutenu les efforts de l'ennemi vainqueur, & avoir ranimé des troupes confter.. nées de la mort de leurs deux généraux. Scipion rendit des honneurs fi fincéres

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53.

De l'envie.

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