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Alexandre;mais Hephæftion s'étant retiré, & Sifygambis s'étant apperçuë de de fa méprise, Alexandre luidit: Reine,vous ne vous êtes point trompée, Hephæftion eft un autre Aléxandre. Jonathas fils du roi Saül, & héritier préfomptif de fa couronne, eut l'amitié la plus parfaite pour David:la jaloufie des victoirefque ce jeune héros remporta, & de fes hautes destinées,qui l'é levoient au throne, ne put rompre un nœud fi fort, & n'empêcha point Jonathas de l'aimer comme un autre luimême,

Louis le grand aïant nommé le duc de la Rochefoucault à la charge de grand-maître de la garderobbe, lui écrivit ces mots : Je me réjouis avec vous, comme votre ami, de la charge que je viens de vous donner comme votre maître.

L'empereur Marc-Antonin dit [s]dans fes réfléxions: Sextus m'a enfeigné à tâcher de deviner & de prévenir les fouhaits & les befoins de mes amis.

Agéfilas étant allé voir Apelles de Chio qui étoit malade, & aïant connu le befoin où fe trouvoit cet ami, il gliffa en cachette une bourfe fous le chevet de fon lit; une fervante qui venoit de temps en temps dans la chambre du malade, aïant trouvé cette bourfe, & lui aïant appris cette bonne nouvelle [t]: Voilà, dit Apelles en riant, une fupercherie d'Agéfilas.

Les anciens avoient une vénération

[] Anima Jonathæ conglutinata eft animæ David, & dilexit eum Jonathas quafi animam fuam. Reg.l.1.c.18.0.1.

[s] Refléx. de M Anton. liv.r.§.9. [] Ridens: Agefilaï, inquit,hoc furtum eft. Auguftin, Niphus de viro aulico, lib.

1. c. 29.

[u] Xenoph, retraite des dix mil, liv.3. [x] Val. Max. lib.4.6.7,Cic. de off.lib.3. [y] Euripid. Iphigénie en Taurid,act.3.6

fingulière pour l'amitié. Xénophon faifant l'éloge des capitaines Grecs tués par les Perfes [], ils moururent, dit il,fans s'être attiré aucun reproche foit dans la guerre, foit dans l'amitié.

tié.

91.

Cléanthés,qui n'avoit pû être détour- Vénération né du deffein de mourir, interrompit des anciens Fabftinence par laquelle il fe donnoit la pour l'ami mort, pour rendre fervice à unami, & reprit enfuite l'abstinence qui termina fes jours.

Denys aïant condamné à mort[x]Damon philofophe Pythagoricien, Pythias ami de Damon, & philofophe de la même fecte,s'offrit pour caution, & fe init en la puiffance du tyran,pour qu'il permit à Damon d'aller dans la maifon avant fa mort,&d'y mettre ordre à quelques affaires domeftiques, Damon revint précisément à l'heure marquée par Denys, lequel admirant la fidélité de ces deux amis, révoqua la condamnation injufte, qu'il avoit prononcée contre Damon, & pria ce couple illustre d'amis de le recevoir en tiers.

Euripide[y] décrit les combats d'a-` mitié entre Orefte & Pylade, dont chacun vouloit mourir, pour fauver la vie à fon ami.

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91.

Opinion de

l'ami intime & le principal confident de Gracchus, il lui demanda jufqu'où fon attachement pour Gracchus eût été capable de le porter? A tout entreprendre & à tout faire, répondit Blofius:Eh quoi, pourfuivit Lælius, s'il t'eût commandé de mettre le feu à nos temples? Il ne me l'eût jamais commandé, repliqua Blofius; mais s'il te l'eût commandé, ajoûta Lælius? J'y euffe mis le feu, dit Blofius.

Cette réponse, que Montagne [z] Montagne s'efforce de juftifier, eft impie & furieu combattu fe. Blafius ne devoit jamais fe départir de l'assurance qu'il avoit de la vertu de Gracchus. Mais en admettant comme poffible un commandement facrilége de la part de Gracchus, Blofius ne devoit pas avouer qu'il y eût obéi.

Montagne a beau dire que dans ces amitiés parfaites, l'ami eft plus affuré de fonami que de lui-même, qu'il a la volonté de fon ami en fa puiffance; qu'il tient les rénes de fon inclination. Cette raison étoit bonne, pour que Blofius perfiftât toujours à foutenir que Gracchus ne pouvoit lui commander rien de honteux & d'injuste; mais aïant franchi le pas de fuppofer un commandement injufte de la part de Gracchus, cette union intime & totale,qui de deux ames n'en fait qu'une, qui ne fouffre dans deux amis qu'une feule volonté, ne peut plus fervir d'excufe à Blofius. „ .» » C'eft, ajoute Montagne, la même réponfe que je ferois en cas que je fuffe inter" rogé de cette façon : Si votre volonté vous commandoit de tuer votre fille, la "tueriez-vous?&que je l'accordaffe:parce " que je nefuis point en doute de ma vo"lonté, & Biofius l'étoit auffi peu de » celle d'un tel ami.,, Il falloit donc s'en

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[z] Eff. de Montagn,liv.1.ch.27. [a] Hom. 11. 6.

tenir à nier que Gracchus pût exiger de fon ami rien de criminel. Le raifonnement de Montagne ne peut s'accorder avec ce qu'il a dit un peu auparavant, qu'une telle amitié ne peut fubfifter, qu'autant qu'elle eft guidée par la vertu, & conduite par la raison.Cette identité de volontés eft rompue & déchirée, pour ainfi dire, par un commandement impie; & s'il faut vaincre les mouve ments pervers & défordonnés de fa pro. pre volonté, quelle apparence que le devoir de l'amitié nous prefcrive de céder à la volonté d'un ami furieux, dont le crime tranche les nœuds, qui unif foient & ferroient les deux ames au point de n'en faire qu'une. Périclés étant preffé de faire un ferment équivoque en faveur d'un ami, répondit : Jefuis ami jufqu'aux autels.

Gorgidas fut le prémier qui inftitua à Thébes le bataillon facré, composé d'amis au nombre de trois cents foldats. C'eft fur ce bataillon que Pamménés dit: que le Neftor d'Homère n'entendoit pas, bien à ranger des troupes en bataille, puifqu'il ordonnoit aux Grecs de fe ran ger par lignées & par nations [a], afin, dit-il, que la lignée foutînt fa lignée, & la nation fa nation; au lieu qu'il falloit les ranger en mettant les amis auprés des amis. Un jeune homme de ce bataillon étant porté par terre,& l'ennemi levant l'épée pour le percer, il le conjura de la lui enfoncer dans l'eftomac, afin, ditil, que mon ami n'ait pas la douleur & la honte de me voir bleffé au dos. Ce bataillon triompha de la valeur Lacédémonienne, & fe maintint invinci ble, jufqu'à la bataille de Chéronée [b], après laquelle Philippe ro de Macédoine vifitant les morts, & s'étant arKk 3

[b] Plutarch, in Pelopid.

94.

95.

"

Paifons

rêté à l'endroit où ces trois cents foldats étoient étendus les uns près des autres, touts percés pardevant de coups de ja velines ou d'épées reçûs de près, il fut rempli d'admiration,& aïant appris que c'étoit là ce bataillon fi célébre des amis, il fe mit à pleurer & dit tout haut: Pé riffent malheureufement touts ceux qui font capables de foupçonner; que de fi braves gens aïent jamais pu faire ou fouffrir des chofes honteufes.

Opinion de L'amitié n'autorife jamais à confier à Montagne fon ami le fecret qui n'eft pas à for Monfur le fecret. tagne eft d'une opinion contraite, & » voici comment il s'en explique.,, Le fecret que j'ai juré de ne déceler à autre, ,, je le puis.fans parjure communiquer à celui qui n'eft pas autre, c'eft moi.,, Mais il ne m'eft jamais permis de difpocontraires. fer de ce qui ne m'appartient pas. J'ignore ce qui m'a été confié fous la loi du fccret: je ne dois pas doubler les accidents qui peuvent le faire connoître. Cet autre moi-même, quelque affuré que j'en fois, ne peut-il pas être indiferet dans le vin? ne peut-il pas découvrir ce que je lui aurai appris,dans le délire d'une maladie, ou dans les accès d'une démence, à laquelle il deviendra fujet, après que mon fecret me fera échapé? Je ne manque point à mon ami, lorfque je lui cache ce que je voudrois me cacher à moimême, ce que je ne fçais que par une néceffité indifpenfable, en vue de l'exé cution, & fous l'engagement d'une con noiffance unique & non communicable. S.Ambroife dit de Satyrus fon frére: Nous n'avions, mon frère & moi [ c ], qu'un efprit & qu'une volonté : tout étoit commun entre nous, hors le fe

96. Opinions

cret de nos amis.

Oneft communément perfuadé que

[c] Cum omnia nobis effent noftra communia, individuus fpiritus, individuus affectus; folum tamen commune non erat fecretum amicorum, S. Ambr.de obit,

tércs.

la reffemblance des humeurs & des cha- contraires fur la refractéres eft la difpofition la plus propre femblance à faire naître l'amitié, & à la rendre du des charac rable. Platon dans le dialogue de Lyfis, & Saci dans le traité de l'amitié,eftiment au contraire, que la diverfité des humeurs, & le contrafte des charactéres contribue davantage à produire & à conferver l'amitié.

97.

Cafaubon & Scaliger ont donné l'exemple d'une amitié finguliére, qui commença entr'eux, & dura jufqu'à la mort, fans qu'ils fe fuffent jamais vûs. Montagne foutient que la véritable & Montagne & parfaite amitié ne peut être divifée croit que entre plufieurs, Ceft un affez grand parfaite re miracle, dit-il [a], de fe doubler, & n'en peurette connoiffent pas la hauteur ceux qui parlent de fe tripler: rien n'eft extrême, eur. qui a fon pareil.","

Lucien [e] a remarqué que parmi les Scythes, il n'y avoit pas une moindre infidélité à un homme, de partager fon amitié, qu'à une femme de manquer de fidélité à fon mari, ou à fon amant.

Mais les douceurs de l'amitié doivent être exemptes du poifon de la jaloufie: & c'eft même un fentiment digne de l'amitié,de fouhaiter qu'un bien auffi prétieux fe multiplie à l'avantage & à la fatisfaction de fon ami.

Eudamidas de Corinthe fit un teftament par lequel il légua à un de fes amis fa mére à nourrir, & à l'autre fa fille à marier, fubftituant en cas de mort le furvivant. Charixéne un des légataires étant mort cinq jours après Eudamidas, la fubftitution fut ouverte au profit d'Aréthée qui eut les foins les plus empreffés de la mére de fon ami,& pouvant difpofer de cinq talents,il en donna deux & demi en dot à fa fille unique, & deux Satyr. fratr.

[d] Montagn.liv.1 ch.27.
[el Lucien dans le dial, de Toxaris .

l'amitié

divifée

" entre

"plu

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fieurs.

& demi à la fille d'Eudamidas,& les maria toutes deux le même jour. Il feroit difficile de décider, de quel côté il y eut plus de générosité, ou du côté du teftateur dans fa confiance, ou du côté des légataires, dans leur fidélité à y répondre.

CHAPITRE SECOND.

Des vertus & des vices.

SOMMAIRE,

1. Raifonnements oppofes fur la vertu. 2. Différents jugements de la vertu, par le vulgaire & par les Philofophes. 3. La vertu placée par quelques-uns dans le milieu. 4. Par d'autres dans les extrémités..Opinions fingulieres des Stoiciens. 6. De l'égalité des ver» tus des vices. 7. Le fage ne peut recevoir d'injure. 8. Beaux traits de mo rale dans les Philofophes payens. 9. Portrait d'une vertu parfaite dans Platon. 10. Comparaison des quatre ver

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tions. 22. Quelle feroit la vraie valeur.23. Défauts de lavaleur d'Alexandre. 24. Refutation de Machiavel. 25. Hymne d'Ariftote. 26. Res proches faits à la vertu par Hercule

34.

par Brutus. 27. Del'héroïsme intérieur. 28. Du fublime dans les mœurs. 29. Du trouble d'une confcience criminelle. 30. De l'examen dufoir. 31. Traits de morale d'Antonin & d'Epictete. 3 2. Noms des verotus donnés à des paffions déguisées.33. Les motifs humains ne peuvent produire des vertus véritables. La vertu dépend des usages. 35. Du définéreffement des Romains. 36. De Thofpitalité. 37. Opinion de la Bruyereréfutée. 38. Contradiction prétenduë des vertus. 39. Réfutation de Charron. 40. Objections contre la maxime, de ne pas faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous fut fait. 41. L'excès des vices érigé en vertus. 42. Dogmes honteux de quel •ques Philofophes. 43. Dereglements de l'efprie humain. 44. Exemples d'horribles méchancetés.

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A vertu quoique très indépendan tes e

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tu pour elle même: les Epicuriens la confidéroient, comme l'unique chemin par lequel le fage peut parvenir à une véritable volupté.

Homére [d], & plufieurs auteurs prophanes rapportent toutes les vertus des hommes aux dieux. Jupiter, dit Homére, augmente ou diminuë la vertu des hommes, comme il lui plaît. Bias [e] nous avertit de reconnoître les dieux pour les auteurs de touts biens, & de les remercier de toutes nos bonnes actions. Platon [f]enfeigne que dans les combats, que l'homme doit foutenir, il ne peut vaincre, que par le fecours de Dieu ou de fes Anges: il ajoute [g], que toute la vertu qui fe trouve dans les hommes, vient de Dieu; & c'eft de ce paffage, que faint Jerôme & faint Clément d'Aléxandrie ont inféré, que Platon avoit entrevû la néceffité de la grace.

Les Stoïciens, & plufieurs. autres philofophes & poëtes, tenoient un langage bien different. Le fage, fuivant Sénéque [b] avoit cet avantage fur Jupiter, que dieu eft vertueux par fa nature, au lieu que le fage ne doit fa vertu qu'à lui-même. Vous êtes parvenu au véritable bonheur, ajoute

Sénéque [i], fi vous fçavez perfévérer dans le bien. Les hommes font infenfés de faire des vœux, & d'adreffer au ciel des priéres, pour demander ce qui ne dépend que d'eux.

Horace recommande [k] de prier Jupiter, pour en obtenir les biens, que ce dieu peut accorder ou refufer aux hommes, comme une longue vie, la fanté, les richeffes; mais de travailler à fe procurer foi-même les biens de l'ame, la juftice, la tranquillité, la fermeté. Cicéron eft [1] du même avis.

Ajax répond à fon père qui l'exhortoit à attendre avec confiance la victoire, par le fecours des dieux, que les plus lâches peuvent être victorieux avec un tel fecours; que pour lui, il est bien afsuré de vaincre fans eux.

Sénéque[m] contredit les fentiments que nous venons de rapporter, & il n'eft pas d'accord avec lui-même, lorfqu'il donne pour précepte, de demander prémiérement la fageffe aux dieux, & la bonne fanté de l'ame, avant celle du corps: & lorfqu'il dit [n], qu'on ne peut pratiquer & faire le bien, ni s'élever au-deffus de la fortune fans le fecours de dieu.

Diffe

Le vulgaire ne recconnoît la vertu rents juge

[4] Ζοὺς δ' ἀρετὴν ἄνδρεσσιν όφελλοτε μια lum elevanda manus. Sen. epif. 41.

"ઈલ 7,

Οππως κεν ἐθέλησιν. Hom. [ε] Οτι ἂν ἀγαθὸν πράττης, εἰς θεές avaneμe. Diog. Laërt. in Biant. [f] Plat, de legib, lib. 10.

[8] E'x usi sivu rúty tê xeylous, ὦ Μένον, θεία μοίρα ἡμῖν φαίνεται παραγιγνομβρία ἡ ἀρετὴ οἷς παραγίγνεται Id.in

Menon.

[b]Eft aliquid, quo fapiens antecedat deum: ille naturæ beneficio, non fuo fapiens eft. Sen, epift. 53.

[i]Facis rem optimam, & tibi falutarem, fi, ut fcribis, perfeveras ire ad bonam mentem, quam ftultum eft optare; cùm poffis à te impetrare,non funt ad cœ

[k] Sed fatis eft orare Jovem, Qui donat

& aufert,

Det vitam, det opes;æquum mî ani

mum ipfe parabo, Hor.l.1.epift. 18. [1] Judicium hoc omnium mortalium eft, fortunam a deo petendam, a fe ipfo fumendam effe fapientiam. Cic.de nat.deor. lib.3.

[m] Roga bonam mentem, bonam valetudinem animi, deinde corporis. Sen. epift. 10.

[n] Bonus vir fine deo nemo eft. An poteft aliquis fupra fortunam, nifi ab illo adjutus exurgere? Ille dat confilia magnifica & erecta. Sen, epist. 41.

ments de la

vertu par

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