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de la fageffe & de l'étude a même fait réfigner des fceptres. Pittacus abdiqua le gouvernement de Mityléne; Héraclite quitta la principauté d'Ephéfe; Empédocle refufa la roïauté d'Agrigente, qui lui étoit offerte par les citoïens. 63. Je n'ai jamais pu concevoir une autre Opinion maxime du duc de la Rochefoucault fortunes [z], dans laquelle il avance qu'il y a tégales une certaine proportion de biens & de maux, qui rend les fortunes égales. Je fuis très-convaincu que le bonheur des hommes dépend principalement de leur façon de penfer; que la conftance & le bon efprit, l'habitude de fouffrir, & encore plus la piété, adouciffent beaucoup les accidents les plus fâcheux de la vie; mais je ne puis me perfuader que la maladie, la prifon, le deshonneur, l'indigence du néceffaire, trouvent toújours à point nommé des compenfations toutes prêtes, qui les égalent à la fanté, à la liberté, à une bonne réputation, à l'état tranquille qui ne manque de rien. Puifque touts les temps de la vie d'une même perfonne ne font pas également heureux, à combien plus forte raifon toutes les fortunes feparées par de fi grands intervalles, ne font-elles pas toutes également heureufes?

64,

Des deux tonncaux

Homére [a] place deux grands tonneaux à la porte du palais de Jupiter, d'Homére. dans l'un defquels ce dieu puife les biens, & dans l'autre les maux,qu'il répand fur les hommes; mais le poëte n'ajoûte pas que les liqueurs des deux tonneaux foient toûjours mélangées avec égalité, pour être verfées fur la terre.

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Centiment

L'expérience nous apprend même y 65. que nous avons un fentiment beaucoup plus vif pour plus vif pour le chagrin que pour le le chagrin ✔ plaifir, quoique quelques modernes aient voulu foûtenir le contraire, & Bayle entre autres, qui appuie fon opinion fur ce que les hommes travaillent davantage à fe procurer des plaifirs qu'à éviter des peines, & qu'ils rifquent même de s'attirer des chagrins très vifs pour parvenir à des fatisfactions très médiocres [b]; mais ce raifonnement ne prouve autre chofe, finon que les hommes font ordinairement remplis de beaucoup d'efpérance & de préfomption, & que ces deux paffions les jettent dans beaucoup d'imprudences.

Si l'on pouvoit faire éprouver en même-temps à la même perfonne deux fentiments l'un de joie, l'autre de trifteffe, mefurés avec la plus grande égalité, je ne doute pas que cette perfonne ne fût beaucoup plus fenfible à la tristesse qu'à la joie, & que fon ame ne fût même occupée prefque toute entière du fujet de s'affliger. C'eft ce que la mythologie a La poufficvoulu fignifier, en difant que Promé- re dont thée détrempa avec des larmes la pouf- formé, défiére, dont il forma l'homme. Il femble trempée que nous tenions touts de ce principe.

La philofophie nous fournit des maximes importantes & d'un grand usage pour l'adouciffement de nos peines; envifageons toûjours la fituation où nous fommes, par le côté qui peut nous don, ner de la fatisfaction, ou confoler nos chagrins [c]. Etes-vous riche: goûtez le pouvoir de faire du bien; êtes-vous pauHh 3

mur,quantum malis affligimur, Cic.de con folat.

[c] Εὐφρανεί σε πλέτος πολλὲς ἐυεργετιν τα, η πενία πολλὰ μὴ μεριμνῶντα, κ δόξα τι μώμονον, αδοξία μὴ φθινόμενον. Plutarch

66.

l'homme eft

avec des

Jarmes.

67.

de Socrate

tulus.

vre? foyez fenfible à l'agrément de la liberté; avez-vous acquis de la gloire? jouiffez-en avec une modération qui vous en rende digne;étes-vous dans l'ob. fcurité? félicitez vous d'être à l'abri de

l'envie.

Un des plus beaux éloges qui aïent Bel éloge été donnés à Socrate, a été qu'il fçavoit & de Len- également jouir & fe paffer des chofes dont la plupart des hommes ne peuvent ni fe voir privés fans foibleffe, ni faire ufage fans emportement, Lentulus, dit Tacite [d], parvint à une grande gloire, aïant fouffert la pauvreté avec courage,& acquis par des voies innocents beaucoup de richeffes,dont il fçut fe fervir avec modeftie.

S'il vous arrive quelque difgrace,appliquez-vous à confiderer les accidents plus triftes encore aufquels vous étiez expofé, & les perfonnes qui font plus malheureufes que vous.

68. Démocrite promit a Darius de faire Moïen emFloïé par revivre une amie, dont la perte accaDémocrite bloit le monarque de douleur. Apres Da quelques préparations emploïées pour la forme, le philofophe dit à Darius qu'il n'avoit plus befoin que de graver

pour con

.Toler rius.

fur le tombeau de la défunte les noms de trois perfonnes, qui n'euffent jamais reffenti d'adverfité; mais tout l'empire de Darius n'iant pû fournir un feul nom de la condition requife, Démocrite prit alors fujet d'appliquer le vrai reméde à la douleur du roi, lui remontrant que de touts les hommes qui vivent fur la terre, aucun n'est exempt d'afflictions.

Marius étant caché dans les ruines de Carthage, leurs chûtes & leurs dif graces fort semblables, dit un Historien [e], pouvoient être à l'un & à l'autre de grands motifs de confolation.

69.

Le retran

eft la vraie

Un excellent confeil de la philofophie, eft de régler nos défirs, & de les chement renfermer dans les bornes de la nature, des délirs, Il n'y a point de différence entre poffé- richelle. der un bien [f], & en retrancher le défir. Le chemin le plus court qui conduife aux richeffes, eft de les fçavoir mépriser.

Sénéque a rencontré le fens de Salomon, en difant [g]: La mesure des biens la plus avantageufe, eft celle qui ne nous expofe pas à l'indigence, fans s'éloigner de la pauvreté.

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fed cupiditatibus detrahendum eft : & apertior ifta fententia eft, quàm ut interpretanda fit, & difertior quàm ut adjuvanda. Hocunum te admoneo ne iftud tantùm exiftimes de divitiis dictum : quocumque tranftuleris idem poterit. Si vis Pytoclea honeftum facere, non bonoribus adjiciendum, fed cupiditatibus detrahendum. Si vis Pytoclea effe in perpetuà voluptate, non voluptatibus adjiciendum eft, fed cupiditatibus detrahendum. Si vis Pytoclea fenem facere, & implere vitam, non annis adjiciendum eft, fed cupiditatibus detrahendum. Sen.epist. 21

[g]. Optimus pecuniæ modus, qui nec in paupertatem cadit,nec procul à paupertate difcedit. Sen. de tranquillit.animi, c &

La philofophie ne nie pas que ce ne foit un vrai malheur que de manquer du nécessaire: fi elle étoit affez déraifonnable pour n'en pas convenir, il fe roit aisé de réfuter cette erreur par la nature même, que la philofophie doit avoir pour guide; il n'y a que la fecte Stoïque outrée dans fes maximes, & plus infpirée par l'orgueil que par la nature, qui ait tenu un langage contraire. La fainte écriture [b]juge l'indigence criture ap- un mal plus grand que la mort. Le nouveau teftament appelle les richeffes des bien, & l'in- biens, & la pauvreté un mal. Mon fils, digence un dit Abraham au mauvais riche [i], fouvenez-vous que vous avez reçu beaucoup de biens pendant votre vie, & que Lazare a éprouvé beaucoup de maux.

70.

La fainted

pelle les richeffes un

mal.

71.

L'argent

Les richeffes font affurément un bien par le bon ufage qu'on on peut faire, & une pauvreté telle que celle de Lazare eft un mal. C'est dans ce fens qu'il faut entendre Antiphane [k], lorsqu'il dit appellé le que l'argent eft le fang des hommes, & lang & la que ceux qui en manquent, font des cadavres qui marchent fans être animés. Héfiode[/] avant lui avoit appellé l'argent, l'ame des foibles mortels. Virgile [m] repréfente la faim qui porte au crime, & la honteufe indigence, comme deux monftres affreux.

vie.

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Huet a fait une remarque fort ingénieufe, que la nymphe Egérie [p], qui Métaphore donnoit à Numa de fi bons confeils, étoit de la nym. fhe Egérie. le fymbole de la pauvreté,& que Numa avoit fait entendre aux Romains par cette allégorie, que rien n'eft fi capable que la pauvreté d'infpirer aux hommes la fageffe.

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Heureufe pauvreté [9], prefent des Eloge de la dieux, dont le prix eft inconnu aux pauvreté. hommes, les vertus font tranquilles à l'abri de ta falutaire obscurité ; la pu deur eft ta compagne; tu fçais également mettre un frein aux passions, & méprifer l'empire de la fortune.

Horace décrit la liberté, qui ne peut fubfifter avec les richeffes & les grandeurs, & qui fait l'agrément d'une condition peu relevée. Je vais feul où il me prend envie d'aller; je m'informe de ce que coutent le blé & les légumes

[p] Egeria ab egere.

Aruns neveu de Tarquin l'ancien, fur furnommé Egerius, parce qu'il étoit fans biens. Ab inopiâ Egerio nomen inditum. Tit. Liv, lib.1.cap.24.

[9] O bona paupertas, ô nondum cognita divům

Munera, virtutum cuftos, & amica pudori,

Luxuriæ frænum, vitæ tutela, pro

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[r] Je me proméne le foir dans le Cirque & dans la grande place, féjour ordinaire de la fraude. Je m'arrête à écouter un difeur de bonne aventure. De-là je me retire chez moi, pour y faire un fouper frugal de quelques légumes les plus fimples. Je me couche enfuite, & je dors fans avoir l'inquiétude de la réception qui me fera faite le lendemain par ce grand, qui traite avec tant de dédain quelques-uns de ceux qui lui font la cour.

C'est une belle parole d'Euripide [s], que tout fied bien à un cœur généreux. Cette réfléxion dédommage de ce que dit Juvenal [] que la pauvreté n'a rien de plus fàcheux que de rendre les hommes ridicules. Lucien [#]fait l'éloge d'une pauvreté débaraffée de foins & d'inquiétudes. La liberté de l'efprit l'accompagne, & prête mille ornements à touts les objets qui fe préfentent aux yeux & à l'imagination. Diogéne montrant le portique du temple de Ju75. piter, difoit: Les Athéniens ne m'ontC'eft poffeder tout ils pas fait bâtir une belle falle pour y ce que nous aller prendre mes repas ? C'est être le feavoir en véritable propriétaire de tout ce que la

voïons, que

jouir.

[r].quâcunque libido eft,

Incedo folus: percontor quanti olus ac far. Fallacem Circum vefpertinumque per

erro

Sæpè forum, affifto divinis: inde do

mum me

Ad porri & ciceris refero, laganique catinum.

Deinde eo dormitum, non follicitus mihi quod cras Surgendum fit manè,obeundus Marfya, qui fe -Vultum ferre negat Noviorum poffe

minoris.

Hor, trad. de Dacier.

[ + ] Φεῦ τοῖσι γενναίοισιν ὡς ἅπαν καλόν. Eurip.

[] Nil habet infelix paupertas durius in fe Quam quod ridiculos homines facit Juven.

nature offre de merveilleux, de tout cé que l'art étale de recherché, que de fçavoir en jouir; avec cette réfléxion on ne peut être pauvre, on pofféde toutes les richesses dont on eft environné.

fur la for

tune.

Aucun philofophe n'a traité les ca penfies de prices de la fortune avec plus de hau, philofopae teur que Sénéque. La roideur Stoïque répandue dans fes ouvrages, fi elle n'attire pas l'admiration, excite au moins la furprife. J'aime mieux,dit-il [x], que mon courage foit éprouvé par les difgraces de la fortune,que par les délices. Les plus vertueux [y] font les plus ex, pofés aux traits de la fortune, comme le général emploie les plus braves dans les occafions les plus périlleuses. Le fage aux prifes [z] avec la fortune eft le spectacle le plus digne des dieux.

La fortune[a] a l'éclat & la fragilité du verre: c'eft un grand malheur de ne pas connoître l'adverfité [b], & de ne s'être pas éprouvé foi-même.

Ariftote [c] & Epicure [d] ont dit, qu'où il fe rencontre beaucoup de prudence & de raifon, il fe trouve peu de bonheur & de fuccès heureux;

&

[u]Lucien dial intitulé le Songe,ou le Coq. [x] Malo me fortuna in caftris fuis > quàm in deliciis habeat. Sen.

[y] Quare Deus optimum quemque aut mala valetudine, aut aliis incommodis afficit? Quare in caftris quoque periculofa fortiffimis imperantur?Sen de providen.c.4.

[] Eccefpectaculum dignum ad quod refpiciat intentus operi fuo Deus, &c. Sen. de provident.c.2.

[a] Fortuna vitrea eft,tunc cùm fplendet frangitur. Sen.

[6]Nihil mihi videtur infelicius eo,cui nihilunquam evenit adversi : non licuit enim illi fe experiri. Sen. de provid.c.3.

[ε]οτε πλειςος νᾶς ἐς λόγος, ἐνταῦθα ἐλα. λίση τύχη, ἵπεδὶ πλείςη τύχη ἐτῶθα ελά Xisos věc. Ariftat.magnor.moralium, l.2.c.8. [d]Raro, inquit Epicurus,fapienti intervenit fortuna, Sen, de tranquill, animi, c.15.

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& fi l'on en croit [e]. Tite-Live, il eft rare de trouver ensemble la prospérité & la fageffe. C'eft imprudence, dit Montagne, d'eftimer que la prudence puiffe remplir le rôle de la fortune.

D'autres ont foutenu une opinion directement contraire. Le Sage [f], fuivant Plaute, eft l'artifan de fa for tune. Tite-Live peu d'accord avec luimême [g], eftime que les bons fuccès fuivent toûjours les mesures concertées avec prudence. O fortune [b], dit Ju. yenal, ta puiffance eft vaine par-tout où fe rencontre la fageffe; c'eft notre imprudence quit'éleve au ciel.

Térence n'étend pas fi loin les effets de la prévoïance humaine [i], & prend un fentiment qui eft le milieu des deux extrémités; il dit que comme au jeu l'habilité répare ce qu'il y a de défavantageux dans un coup de dez, de même dans le cours ordinaire de la vie, la prudence corrige les événements amenés par la fortune. Il y a des vertus malheureufes. Sertorius joignoit à des qualités héroïques [k] beaucoup d'infortune: de peuple Romain fe plaignoit quand Germanicus mourut [] de ce que fes amours étoient malheureufes & de peu de durée.

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dit l'Eccléfiafte, & j'ai vû que fous le ciel le prix n'eft point pour ceux qui font les plus légers à la course, ni la guerre pour les plus vaillants, ni la paix pour les plus fages, ni les richeffes pour les plus habiles, ni la faveur pour les meilleurs ouvriers; mais que tout fe fait par rencontre & à l'avanture.

77. La fortune

mieux les

que la pru

La fortune fouvent guide mieux les hommes que la prudence. Jafon de fouvent Phére étant abandonné des méde- guide cins [2], pour un abfcès qu'il avoit hommes dans la poitrine, réfolut de périr glo- den cc. rieufement, & aiant trouvé occafion de livrer bataille à fes ennemis, il fe jetta à corps perdu dans le plus épais de la mêlée, où il reçut une bleffure fi falutaire, qu'elle perça fon abscès, & le guérit.

Anne Comnéne, dans fon poëme de l'Alexiade, repréfente l'empereur Alexis fon pére prêt à être renversé de cheval dans une bataille, par l'effort des ennemis, mais relevé & remis en felle par des coups de lance qu'il reçut dans fes armes d'un autre côté.

Ifabelle reine d'Angletterre, repaffant de Zélande dans fon roïaume à la tête d'une armée qu'elle menoit au fecours de fon fils contre fon mari, elle eût été vaincuë, & fon armée

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