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porte [9] un difcours femblable de ces officiers: Seigneur, fi nous avons dévoué nos vies à votre fervice, quel bien pourrions-nous juftement vous réfufer?

Grégoire de Tours explique les véritables principes de notre gouvernement qui étoient connus & pratiqués dès les commencements de la prémiére race. Il montre clairement que les rois de France ne font refponfables de leur conduite qu'à Dieu feul; que leur bonté & leur justice les engage à écouter leurs fujets, mais qu'il dépend d'eux de ne les pas entendre, & à plus forte raifon de ftatuer ce qu'ils jugent à propos fur leurs rémontrances. Ce faint évêque parle en ces termes au roi Chil. peric: Sire, fi quelqu'un de nous [r] s'écarte des bornes de la juftice, il peut être corrigé par vous; mais s'il vous arrive de les franchir, qui peut vous corriger ? Nous vous parlons, mais vous nous écoutez, lorfqu'il vous plaît; fi vous refufez de nous enten dre, qui a droit de vous condamner, finon celui qui a dit qu'il eft la juftice même ?

Si du temps de Charlemagne quelque téméraire eût entrepris de rétablir les prérogatives des maires du palais, qui avoient eu toute l'autorité fous plu fieurs régnes, une pareille prétention eût été traitée avec juftice de rebellion & de crime de léfe-majefté. Ne feroit-ce pas aujourd'hui la propofition la plus dénuée de toute apparence, de divifer le roïaume entre plu

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fieurs enfants d'un roi de France, parce que la monarchie fe divifoit ainfi dans la prémiére & dans la feconde race, & que les bornes étroites du domaine de nos rois ont donné lieu à l'abolition de cette coutume? Ce n'est pas à des exemples tombés dans l'oubli qu'on doit s'arrêter, mais à des ufages fuivis par des compagnies revêtuës de l'autorité roïale, reconnus par les jurifconfultes, & par les perfonnes inftruites des loix, & continués jusqu'à nos jours.

Un avocat aïant dit [s] en plaidant, que le peuple de France avoit transféré en la perfonne du roi toute fa puissance, de même que le peuple Romain avoit remis [t] toute la fienne à l'em, pereur, les gens du roi foudain fe levérent & demandérent à la cour que ces mots fuffent raïés du plaidoïer, remontrant que jamais les rois de France n'ont eu leur puiffance du peuple. La cour fit défense à l'avocat d'ufer plus de telles paroles, & depuis il ne plaida aucune caufe.

Obfervons en paffant que les gens du roi ont rendu les fervices les plus effentiels à la couronne & au public, Les noms de Cugniéres, de Dauvet, de S. Romain dans les fiécles reculés du parlement, ceux de la Guefle, de Bignon, de Talon dans ces derniers fiécles, enfin ceux des hommes illuftres qui ont paru de nos jours conferveront une renommée immortelle.

Il eft conftant par les témoignages les plus affurés de l'hiftoire, que

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te condemnabit, nifi is qui fe pronunciavit effe juftitiam? Gregor. Turon. hift. lib.5.

c.19.

[s] Bodin, de la république, liv.6.pag. 748.

[r] Alléguant la loi 1. de conftitutionibus princip. ff. où il eft dit: lege regiâ quæ de ejus imperio lata eft, populus ei & in eum onnem fuam poteftatem contulit.

le

gouvernement de France eft maintenant tel qu'il étoit dans les commencements de la monarchie & fous Charle magne, & tel qu'il a été continué depuis Louis le gros, Philippe Augufte, & S. Louis jufqu'à nos jours.

Nos rois ont de tout temps rendu leur autorité auffi gratieufe par les formalités qu'ils ont bien voulu obferver, qu'elle est abfolue de droit & en

elle-même. Ils ont fait intervenir le confentement des grands, en publiant leurs loix; ils ont joint la confiance des peuples au devoir de l'obeïffance: & au lieu qu'un gouvernement monarchique où le pouvoir d'un feul ne peut être modéré à la rigueur fans divifer l'autorité, & fans changer la monarchie en un état Mixte ou Démocratique, nos rois ont pris un jufte tempérament par une coutume conftante, quoique fans nécéffité, fuivant laquelle ils ont communiqué à leurs fujets les loix par lesquelles ils entendoient les gouverner, & ont reçû leurs remontrances fur tout ce qu'ils croïoient être de l'équité & du bien public. C'eft pourquoi Grégoire de Tours difoit à Chilperic, comme il vient d'être remarqué: Sire, nous vous parlons, mais vous nous écoutez, lorf qu'il vous plaît.

Rien n'eft donc plus clairement établi d'une part que la communication du monarque avec fes fujets, & l'ufage des remontrances que les fujets ont coutume de faire à leur roi ; & de l'autre, le pouvoir abfolu du monarque d'approuver les confeils qui lui font donnés, de ne les écouter qu'autant qu'il le juge à propos,ou même de les rejetter entiérement. De ce principe font également émanées foit les remontrances des parlements & les lettres de juffions,

Tom. II.

[u] Mercur, Frans.,4.ann. 1615.P.55.

foit les préfentations des caïers des états généraux ou particuliers, fur lesquels le roi ftatue en fon confeil privé ce qu'il trouve le plus avantageux. Plufieurs faufles opinions fe font répanduës fur cette partie du droit public la plus importante de toutes, parce que plu fieurs écrivains fe font ingérés mal à propos de traiter de ces matières, dont ils ont brouillé toutes les idées par ignorance ou par paffion.

13.

Le principe général qui s'applique à des parles l'autorité roïale, aux parlements, & ments. aux états généraux, c'eft qu'il n'y a en France qu'une espèce unique d'autorité qui eft exercée par le roi, où émanéc de Sa Majefté. D'où s'enfuivent deux. conféquences également certaines, prémiérement que l'autorité roïale est communiquée en quelque partie aux parlements; ce qui les autorife à rendre des arrêts en forme de réglements; à maintenir les loix, comme chargés de leur dépôt & de leur exécution; à veiller à la confervation des droits facrés de la couronne; à diriger la police générale; à adminiftrer la juftice fouveraine du roi, fuivant les loix établies; à représenter à S.M.tout ce qu'ils jugent être du bien de fon fervice & du bon ordre public; à donner leurs avis en conscience & en honneur fur les édits & déclarations qui leur font adreffés pour l'enrégiftrement. Secondement que les états généraux n'ont aucune forte d'autorité, ni communiquée par le prince, ni par eux-mêmes.

L'origine & les fonctions du parlement font difertement expliquées dans les remontrances préfentées au roi le 27. Mars 1615. Verdun prémier préfident [] y parla à Louis XIII. en ces termes :,, Philippe le bel qui prémier rendit votre parlement »

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fedentaire, & Louis Hutin qui l'établit ,, dans Paris, lui laifférent les fonctions ,, & prérogatives qu'il avoit euës à la fui ,, te des rois leurs prédéceffeurs : & c'est » pourquoi il ne fe trouve aucune infti» tution particuliére de votre parlement, » ainsi que de vos autres cours fouverai. ,, nes qui ont été depuis érigées, comme ,, tenant votre parlement la place du confeil des princes & barons qui de » toute ancienneté étoient près les per fonnes des rois, né avec l'état ; & pour » marque de ce, les princes & pairs de » France y ont toujours eu fcéance & voix délibérative; & auffi depuis ce temps, ,, ont été vérifiées les loix, ordonnances, édits, créations d'offices, traités de paix, & autres plus importantes affaires du roïaume dont lettres patentes lui font envoïées, pour en toute liberté les mettre en délibération, en examiner le mérite, y apporter modification [x] raisonnable, voire mê» me que ce qui eft accordé par nos rois » aux états généraux doit être vérifié en ,, votre cour où eft le lieu de votre thrône roïal, & le lit de votre justice fouveraine.

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Les parlements font également utiles aux rois & aux peuples: aux rois, pour leur concilier l'entiere confiance des peuples; aux peuples, pour contenir dans le devoir les confeillers des rois . La févérité du parlement attire fur lui, & éloigne du monarque les mécontentements qu'entraîne la rigueur de la juf tice & l'observation des loix. Le parlement doit faire fes efforts auprès du roi

[x] Le prémier préfident entend des modifications apportées par confeil, & nullement par autorité, mais autant qu'elles font agréés par fa majesté, dont il dépend de rendre ces modifications de nul effet.

[y] Fides in præfentiâ, quibus refiftit, offendit; deinde illis ipfis fufpicitur lau

avec la plus parfaite foumiffion pour maintenir les loix dont le dépôt lui est confié, & pour défendre les droits de la couronne, aux quels il eft obligé de veiller. S'il manque à ces devoirs par quelque forte d'égards que ce puiffe être, ou par foibleffe, il en eft refponfable [y] au roi dans d'autres temps, & il s'attire les juftes reproches de S. M. & du public. Le zéle du parlement tend uniquement au véritable intérêt du roi, il contribuë à la fureté de touts les ordres du roïaume. Les monarchies les plus folides ne fe foutiennent que par l'affemblage des loix & des armes. II peut arriver que le zéle faffe franchir les bornes mêmes du devoir. Ona vû quelquefois des fujets remplis de la majefté du roi qui le met au-dessus de toute offenfe, & pénétrés de la plus entiére foumission ne confidérer que le fervice du monarque, & aban donner entiérement leur intérêt personnel & les apparences d'une foumiffion qu'ils ne croioient pas pouvoir être foupçonnée. L'effet ordinaire de quelques mécontentements caufes par le zéle, eft que la confiance leur fuccéde.

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Le parlement tient la place des affemblées générales des anciens François [x], appellées champs deMarsou champs de Mai. Dans les prémiers temps de la mo narchie, elles n'étoient compofées que de gens de guerre. Pendant la régence de la reine Bathilde, les évêques y furent appellés, & leur autorité devint exceffive fous les rois de la feconde race. Ces affemblées eurent alors[a]

daturque. Plin.lib 3.epift.9.

[z] Palquier Mézerai, le P. Daniel, &c.

[a] Ce qui a fait dire à quelques auteurs, que les parlements avoient été inftitués par Pepin Fuit autem primus qui Gallis parlamenta inftituit Pipinus. Corafius, in tit. ff.de fenatorib,

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Du temps de Philippe de Valois, il fut [b] ordonné qu'il n'y auroit à l'avenir nuls prélats députés pour te»nir le parlement : & la raifon de l'or» donnance eft, que le roi fait confcien» ce d'empêcher les prélats au gouver»nement de leur fpirituel, & veut a» voir en fon parlement gens qui y puif,, fent entendre continuellement fans en » partir.

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Les anciens lits de juftice étoient des journées d'éclat de la majefté roïale. Là les rois faifoient entendre à leurs peuples les grandes affaires de l'état, & les délibérations de la paix & de la guerre, faifoient réponte à leurs alliés, jugeoient les grands vaffaux de la couronne. Plufieurs fouverains étrangers [cont pris le parlement pour arbitre. L'empereur Frédéric II. fe rap» porta au parlement du roi de France de » ce qu'il avoit à débattre avec le pape » Innocent III. touchant le roïaume de Naples l'an 1344. Le comte de Namur » l'an 1312. y difputa la caufe de fon » comté contre Charles de Valois frére » du roi Philippe le bel & la gagna. Ain» fi le prince de Tarente en l'an 13 20. y » gagna un procès contre le duc de Bour»gogne, touchant les frais faits pour la conquête & le recouvrement de Conf. » tantinople. L'an 1342. le duc de Lor» raine & Gui de Châtillon d'un confen»tement commun y débattirent leurs » partages: de même le Dauphin & le » comte de Savoye, aïant procès enfemble touchant l'hommage du marquifat

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[b] Dupui, traité de la majorité, p.380. [] Bignon, excell, des roi & roïaume de Franc, p. 426.

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de Saluces prirent pour juge la cour de,, parlement l'an 1390. Les rois d'Efpagne ont tellement eftimé la juftice de nos rois & l'intégrité de fon parlement, qu'ils y ont envoïé des traités y être vé- „ rifiés. Les rois de Caftille & de Portugal aïant fait la paix enfemble l'an 1403. en envoïérent le traité au parlement, pour le vérifier à fin de plus » grande fureté, comme de fait il fut vérifié à leur requête & publié à huis ouverts.

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Sous Charles VI. le parlement adjugea à Charles de Châtillon comte de Blois le duché de Bretagne, contefté par le comte de Montfort. Le parlement fut le médiateur de l'accommodement fait entre les maisons d'Orléans & de Bourgogne. Sous le régne de Charles VI, long-temps après que le parlement eut été rendu fédentaire, il ne fe formoit aucune réfolution importante[d] fans l'avis du parlement. Charles VI. y tint fon lit de juftice en 1386.pour délibérer [e] fur les moïens de maintenir fon roïaume en paix & fes alliés en fureté. En cette même année [f] l'évêque de Beauvais chancelier & le parlement al lérent conduire le roi jufqu'à la frontiére de Flandre.

Ces exemples prouvent que depuis que le parlement fut rendu fédentaire en 1302. par Philippe le bel, à cause de la multiplication des appels qui étoient reçûs en la cour, des jugements rendus par les vaffaux de la couronne, l'intention des rois n'a point été de changer fes fonctions, & de lui ôter la connoiffance des affaires de l'état, autant qu'il convient au fervice deS. M. & au bien public. Plufieurs maX 2

[d] Mézer, régne de Charles VI an.1392. [e] Le même, année 1386. [f] Ibid,même année.

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tiéres d'état ont continué d'être fpécialement attribuées au parlement comme la confervation des droits de la couronne, la police générale, la manutention des loix, les appels comme d'abus, les libertés de l'églife Gallicane, le droit de régale, les enrégiftrements des édits & déclarations, les droits de pairies, les arrêts en forme de réglements pour l'adminiftration de la juftice, & autres matiéres publiques, dont le parlement eft incontestablement en droit & en poffeffion de connoître, cant qu'il plaira au fouverain de maintenir l'ordre obfervé de toute ancien

neté.

Dans quelques occafions où les confeillers les plus accrédités auprès des rois trouvoient mauvais que le parle ment apportât quelque réfiftance à leurs projets, les rois ont fait dire par les chanceliers au parlement, qu'il ne lui appartenoit pas de prendre connoiffance des affaires de l'état ; & auffitôt après ces bons maîtres revenoient à confulter leur parlement fur ces mêmes affaires, ne voulant pas rendre leur gouvernement moins gratieux que leurs prédéceffeurs.

Louis XI. envoïa au parlement la formule du ferment qu'il avoit fait à fon facre, par lequel il avoit promis dans les termes ordinaires de rendre juftice à fes fujets, & il manda au parlement [g] qu'il prioit les juges d'une compagnie fi célébre d'acquiter fa confcience dans un point où il l'avoit fi folemnellement engagée.Louis XII.confulta le parlement, avant que d'en venir à une rupture déclarée avec le pape Jules II. Sous Fran

[g] Hoc addito precarife tantæ curia judices, ut fidem fuam in eo quod ritu tam folemni promififfet, fervarent.

[b] Sur ce que le duc de Guife dit que certe requête anonyme & non fignée ne mériteit

çois I. le parlement annulla les traités de Madrid & de Cambrai, & le 19. Janvier 1537. le roi féant en fon lit de juftice, il fut ordonné que l'empereur Charles Quint, nommé fimplement Charles d'Autriche,feroit appellé pour répondre au procureur général fur fes conclufions, voir juger la commise, réverfion & réunion à la couronne des trois comtés de Flandres, d'Artois & de Charolois.

Ce fut dans un lit de juftice tenu par François II. en l'année 1 5 60. que l'amiral de Coligni, après avoir mis trois fois le genou en terre, préfenta la requête par laquelle il demandoit le libre exercice [b] de la religion Prétendue Réformée. En 1593. le parlement rendit un arrêt célébre [i]pour la manutention de la loi Salique.

Le cardinal Cajetan qui vint légat en France, lors de l'avénement d'Henri IV.à la couronne, voulut prendre la prémiére place au parlement; il fe rendit aux raifons du prémier président de Harlai & fe plaça au-deffous de lui. En 1614. pendant la minorité de Louis XIII. le prince de Condé écrivant au parlement, appelle la compagnie la principale tutrice de l'état.

Les princes du fang & les pairs de France faifoient des préfents de fleurs au parlement,pour reconnoiffance de la foumiffion qu'ils devoient à la juftice du roi.,, Le 17.Juillet 1 541. il fut jugé [k] » que le duc de Montpenfier prince du » fang & pair pourroit bailler fes rofes, audit parlement, prémier que le duc »> de Nevers pair plus ancien.

En 163. Louis XIII.fit enrégistrer

aucun égard, l'amiral répondit qu'ily avoir cinquante-mille hommes prêts à la figner. É:1 Thuan.lib, 106.

[k] Du Tillet, part.2.des barons & pairs de France, pag. 13.

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