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11.

.

Du gouver

jourd'hui les objections de deux événe
ments, dont le plus récent a près de huit
frécles d'ancienneté, & eft couvert
d'une poffeffion de 750. ans reconnue
fans interruption de tout l'univers.

Ces objections font auffi foibles que
elle du paffage de Tacite cité par les
adverfaires de l'autorité légitime des
rois, où il eft dit que les rois parmi [y]
les Germains ne pouvoient que confeil-
ler & perfuader; & non pas comman-
der. Il faut connoître bien peu les hom-
mes, pour faire confifter la fageffe d'un
gouvernement dans une autorité, qui
n'a que le crédit de remontrer; & non
le pouvoir de le faire obéir.

attribue aux états généraux une autorité fouveraine, examinous quel eft :e véritable charactére du gouvernement de France, quelle eft l'autorité des parle ments, & ce qu'on doit penfer des af femblées qui ont été tenues fous le nom d'états généraux.

La nature du gouvernement de Fran. ce n'eft pas aflez généralement connuë. Rien n'eft plus ordinaire que de fe former à ce fojet des idées peu juftes aux quelles on fait de fauffes applications des événements. J'ai trouvé des perfonnes éclairées qui croïoient que les affemblées tenues fous le nom d'états généraux étoient auffi anciennesque lat monarchie; que le pouvoir législatif leur appartenoit; que ce corps repréfentatif de la nation avoit droit de fta tuer, d'ordonner, de réformer ; que fa puiffance même étoit fuperieure à tou te autre. Quelques autres perfonnes m'ont paru perfuadées que l'autorité du roi étoit Defpotique. Les mêmes joignoient quelquefois deux opinions si incompatibles, & dont les deux extrémi tés font très éloignées de la conftitution de notre gouvernement. Hy a des po

Les coutumes anciennes interrompues pendant une longue fuite de fiécles n'ont aucune force: & il ne feroit guéres moins déraisonnable de fonder quelque droit fur les défectuofités d'un gouvernement aboli, ou fur la férocité & l'anarchie qui ont été répandues pendant quelque temps dans notre nation, que de vouloir ramener les François aux mœurs des anciens Druides, ou les hommes en général aux incommodités & à la mifére de la vie fauvage & barbare que menoient les prémiers habilitiques qui affectant un raffinement tants de la terre. profond, mettent l'effentiel du gouvernement dans un mystére inconnu aux peuples: c'est ainsi que le cardinal de Rets dit dans fes mémoires, que rien

Pour connoître clairement que rien nement de n'eft plus contraire à la conftitution de notre gouvernement, que l'erreur qui

France.

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V 2

nos rois, parte que du temps de Clovis, & de quelques-uns de fes [necours, les rois de France étoient les feuls qui fuffent dans l'églife, les autres étant refiés dans les ténébres du Paganime, ou étant plongés dans les erreurs de l'Arianisme.

[y] Mox rex vel princeps, proutætas cuique, prout nobilitas,,prout decus bellorum, prout facundia eft, audiuntur autoritate fuadendi magis quàm jubendipo-' teffare: fi difplicuit fententia, fremituaf pernantur; fi placuit, frameas concutiunt. Tac. de morib, Germanor,

n'eft plus dangereux que de rompre le voile qui couvre le gouvernement.Toutes ces opinions font fort contraires à l'idée que les François doivent avoir du gouvernement fous lequel ils ont le bonheur de vivre, dont l'entiére connoiffance eft très capable de fortifier en eux cette inclination naturelle & cet amour général qu'ils ont pour leur

roi.

De même que nos monarques fe communiquent gratieufement à leurs fujets, & qu'ils méprifent l'orgueil de ces fouverains qui font confifter la majesté dans une fombre retraite, la forme de leur gouvernement eft expofée au grand jour, & leur autorité gagne autant à être connuë que leur perfonne facrée. La puiffance du roi est abfoluë, mais paternelle, tempérée par des loix qui ne peuvent émaner que de fa feule autorité, & de l'obfervation defquelles il n'eft refponfable qu'à Dieu feul, dont Ja providence a établi le monarque audeffus de la nation pour l'avantage de la nation elle-même. Tel eft le plus beau de touts les gouvernements; & le véritable gouvernement de France. Il eft confirmé par une longue fuite de fiécles: la faine politique, & bien plus encore la piété en ont gravé les principes dans les cœurs de nos rois. Il eft également éloigné du gouvernement Mixte, où l'autorité eft divifée, & du gouvernement Defpotique, où les peuples font efclaves. Les états généraux dont les représentations & les caïers ont affurément beaucoup de poids, n'ont aucune autorité de décider ni par eux-mêmes ni par l'autorité roïale dont aucune portion ne leur a été communiquée. Si toute la famille d'un père pour la quelle il feroit rempli d'affection & de confiance, lui expofoit fes interêts avec

[x] Bodin, de la républ. liu, 2.p. 192.

la foumiffion la plus tendre, il eft certain que ce pére y auroit beaucoup d'égard, quoique fes enfants n'euffent aucun droit de lui faire la loi.

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C'est ce que Bodin [z]a fort bien expliqué. Je vais rapporter fes propres termes:,, On a voulu dire & publier par écrit que l'état de France étoit compofé " des trois républiques, & que le parle- » ment de Paris tenoit une forme d'Ariftocratie, les trois états tenoient la Démocratie, & le roi repréfentoit l'état " roïal: qui eft une opinion non-feulement abfurde, ains auffi capitale. Car " c'eft crime de léfe-majefté de faire les fu- " jets compagnons du prince fouverain. » Et quelle apparence y a-t-il d'état po- „ pulaire en l'affemblée des trois états attendu qu'un chacun en particulier, & touts en général ploïent le genouil devant le roi, ufant d'humbles requêtes & fupplications, que le roi reçoit ou "> rejette, ainfi que bon lui femble? Quel ›› contrepoids de puiffance populaire contre la majefté d'un monarque peut être en l'affemblée des trois états, voire de tout le peuple s'il pouvoit être en un lieu, qui fupplic, requiert, & revére fon " roi? Tant s'en faut que cette affemblée ›› diminue la puiffance d'un prince fou- >>> verain, que par icelle fa majefté est de beaucoup accrue & relevée. Car il ne peut être élevé en plus haut degré de puiffance, d'honneur, & de gloire, que de voir un nombre infini de " princes & grands feigneurs, un peu- » ple innumérable de toute forte & qua- » lité d'hommes fe jetter à fes piès & faire hommage à fa Majefté: vû que l'honneur,la gloire & la puiffance des princes ne gît qu'en l'obéïffance, hommage & fervice des fujets. Si donc il n'y a aucu- " ne image de puiffance populaire en ›› l'affemblée de trois états qui fe font en

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ce roïaume, non plus & encore moins qu'en Espagne & [4] en Angleterre, beaucoup moins y aura de feigneurie " en la cour des pairs, ni en l'affemblée » de touts les officiers, ni du roïaume, » attendu mêmement que la préfence du roi fait ceffer la puiffance & autorité de touts les corps & colléges, & de touts les officiers tant en général qu'en particulier, de forte qu'il n'y a pas "un feul magiftrat, qui ait pouvoir » de commander, comme nous le di»rons en fon lieu: & combien que le roi féant en fon fiége de juftice, ce chancelier s'adreffe prémiérement au " roi pour fçavoir ce qu'il lui plaît, "lequel commande au chancelier qui » va recueillant l'avis & opinion des » princes du fang, & des plus grands », feigneurs pairs, & magiftrats, fi eft

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ce que ce n'eft pas pour juger au " nombre des voix, ains pour rappor. " ter au roi leurs avis, s'il lui plaît "le fuivre où le rejetter & jaçoit » que le plus fouvent il fuit l'opinion » du plus grand nombre, toutesfois » pour faire entendre que ce n'eft pas ,, pour leur regard, le chancelier pro

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nonçant l'arrêt, ne dit pas, le con"fel ou la cour, ains le roi vous

» dit.

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ne de puiffance, & nul ne lui peut dire: Pourquoi faites-vous ainfi? Salomon dit que c'eft Dieu qui l'a placé [c] far le thrône du roi fon père. Le gouvernement de France eft entiérement conforme à celui dont la fainte écriture fait la defcription. Le roi eft inftitué par le Seigneur, l'autorité roïale [d] vient de Dieu, & non du peuple. Le roi n'eft comptable de fon adminiftration qu'à Dieu feul qui lui a donné cette autorité [c] ab foluë pour le bien de la nation. Le roi n'eft point le maître de votre vie fi vous faites bien; mais [f] fi vous faites mal, il a feul l'autorité de vous punir. Il a auffi la puissance pleine & entiére d'exiger [g] les tributs; & puifqu'il eft en cela même le miniftra de Dieu. Il n'eft le maître des biens que pour les emploïer à l'avantage de l'état. Le roi réine en fa perfonne toute l'autorite legislative fans partage: ce qui fait la force & l'union du roïaume qui étant divifé [b] ne peut fubfifter. Le gouvernement de France eft donc entiérement fondé fur la parole de Dieu.

L'ancien ftyle des ordonnances exprime la plénitude du pouvoir. Au-lieu de ces mots, Car tel eft notre plaifir, on trouve [] quelquefois dans les

V 3

[f] Si autem malum feceris, time non enim fine causâ gladium portat. Dei enim minifter eft: vindex in iram ei, qui malum agit. Ideo neceffitate fubditi eftote, non folùm propter iram fed etiam propter confcientiam. Rom. cap.13. v.4. & 5.

[g] Ideò enim & tributa præftatis:miniftri enim Dei funt, in hoc ipfum fervien

tes. Ib v 6.

[b] Omne.regnum divifum contra se, defolabitur, & omnis civitas vel demus divifa contra fe, non ftabat. Matth.

6.12. v. 2.

[i] Le P. Daniel, hift, de la milice Fr Foife R.L. P.225.

118

TRAITE

anciennes ordonnances, Car aina l'a
vons nous ordonné & voulons être fait.
Le roi n'étant qu'ufufruitier de fa
couronne, ne peut cu changer les loix
fondamentales. Sit entreprenait de le
faire, nul ne feroit en droit de lui
réfifter, mais ces changements ne fe
roient que pallagers, & ce feroit le cas
d'appliquer, ce que dit l'apôtre, Tout
m'eft permis, mais tout ne m'eft pas
expédient. Un monarque qui feroit
prévenu d'une paffion aveugle pour
une femme du fecond lit, feroit peut-
être paffer une loi qui priveroit l'aîné
du premier lit du droit de fuccéder
à la couronne.Ce roi ne manqueroit pas
de flatteurs qui appuieroient fon injuf-,
tice. Quelques écclefiaftiques feroient
valoir le prétexte de l'avantage de la re-
ligion, & l'on jetteroit des foupçons
contre l'héritier légitime, d'avoir des
fentiments peu orthodoxes. Les grands
trouveroient le bien de l'état dans la
préference d'un prince chéri de lano
blefle & de toute la nation. Les jurif
confultes décideroient que le falut du
peuple eft la loi fupréme, & qu'une
loi qui s'obferve dans les cas ordinai
res, doit avoir fon exception pour une
utilité générale. Un roiablolu & craint
pourroit donc changer de fon vivant
la loi fondamentale de la fucceffion,
mais ce changement ne fubfifteroit pas
après la mort. Ainfi Charles VII. fut
roi,& un roi victorieux; quoique privé
du droit de succéder à la couronne par
le traité de Troïe.

Mais, dira-t'on, quelles font ces loix fondamentales? en quoi différent elles, des loix arbitraires? car on n'entend pas par les loix fondamentales d'un état des loix divines ou naturelles: cette efpéce de loix eft générale pour touts les états & pour touts les hommes. Les loix appellées fondamen

[k] Mém. d'Omer Talom, t.3. p.369.

tales font donc elles-mêmes des toix d'inftitution, & de même nature que les loix appellées arbitraires. Je réponds que les loix fondamentales font celles qui font obfervées de toute ancienneté & fans interruption, qui font effentielles à la forme d'un gouvernement, d'où le fatut & la fureté du public dépendent, dont on ne trouve point l'origine dans aucune promulgation, parce qu'elles font nées avec l'état, & qu'elles n'ont point d'autre commencement que le gouvernement lui même.

Les loix arbitraives ne peuvent même être établies, changées, ou abrogées que fuivant les formahtés reçûtës; fr le prince fait autrement, il ufe de force & non de justice; il altére la forme du gouvernement qui lui a été tranf. mis par les rois fes prédéceffeurs.

François I. aiant déclaré dans une affemblée de princes, d'évêques, & de feigneurs convoqués à Cognac à fon retour de Madrit, à quelles conditions il avoit conclu la paix avec l'empereur, il lui fut répondu: „ Que cette paix étoit très injufte, & que com. bien qu'il eût beaucoup de vouloir, " toutes fois cela n'étoit en fon feul vou- ce loir.

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دو

Dans le traité des droits de la reine, imprimé en 1667. par ordre de Louis le grand, if eft dit que les rois ont cette heureufe impuiffance de ne pouvoir rien faire contre les loix de leur païs. Ce que le roi ne peut «‹ pas faire, dit Omer Talon, ne vient « pas [k] par une véritable impuiffan ce, mais par le charactére d'une puif fance légitime, telle que celle de Dieu qui ne peut mal faire. Il ajoute [/] ailleurs:,, I importe à la gloire du roi que nous foïons des hommes libres & non pas des efclaves: la gloire

[1] Le même, t. 4. p.g. 187.

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Il y a deux fortes d'obéiflances, l'une filiale fondée fur l'amour, guidée par la vertu, fidelle & fure, dont le joug eft doux & léger, dont la bonne confcience & la liberté font les compagnes; l'autre fervile fondée fur la crainte, aveugle, infenfible aux attraits de la vertu & à l'horreur du vice, mais tou jours prête à trahir celui pour qui elle ne craint point de trahir fes devoirs. C'eft celle qu'un foldat de Céfar exprime [m] ainu dans Lucain: Si tu me commandes de plonger mon épée dans dans la gorge de mon frère, ou dans les entrailles de ma femme groffe, j'obéirai, quoiqu'à regret, à touts tes.commandements.

Le gouvernement de France eft bien plus fondé fur l'amour que fur la crainte. Nos rois, lorfqu'ils y font contraints, ufent avec lenteur des châtiments les plus doux; mais la juftice exercée par leurs officiers eft févére.

Au commencement de la troifiéme race, la France fut plûtôt gouvernée [»] pendant quelques régnes, comme un grand fief, que comme une monarchie abfolue. Il n'y a point de temps fi malheureux dans notre hiftoire que ces temps de la foibleffe de l'autorité roïale. Alors le roïaume fut en proie à toute forte de brigandages; il fut défolé par les guerres particulieres; les hoftilités & les vengeances firent couler le fang de toute part; des coutumes barbares

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furent érigées en loix; la violence inventa & établit les droits les plus bizar res, les tyrannies fe multiplierent à l'infini; car la foibleffe de l'autorité legiti me & l'anarchie produifent la plus dure de toutes les fervitudes. Toute communication d'un païs à un autre étoit interpretée; avant que de fe transporter à douze ou quinze lieues de fon domicile, on faifoit fon teftament, parce qu'entrependre un pareil voïage, c'étoit s'expofer à de grands périls. Du temps du roi Robert, un abbé de Cluni invité par Bouchard [] comte de Paris de venir mettre des religieux à S. Maur des foffés, s'excufa de faire un si dangereux voïage dans un païs étranger & inconnu.

Ce gouvernement féodal étoit un grand changement de l'ordre primitif de la monarchie Françoife, puifqu'il eft conftant que l'inftitution des fiefs eft de beaucoup poftérieure à l'établis fement de cette monarchie. Ce n'eft pas ainfi que Clovis & que Charlema. gne avoient regné. Louis le gros & fes fucceffeurs rentrérent heureufement pour la nation dans les droits de leur couronne.

Grégoire de Tours, rapportant l'hiftoire d'un vafe redemandé par Clovis à la recommandation de S. Remi, fait dire [p] par les officiers de l'armée: Seigneur, non feulement vous êtes le maitre de tout le butin, mais encore des nos perfonnes; car nul ne peut résister à votre puisance. Aimoin racontant le même fait , rap

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