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༢༢,

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Montagne [], nous font paroître les chofes autres qu'elles ne paroiffent aux fains, aux fages, & à ceux qui veillent, n'eft-il pas vraisemblable que notre af. », fiette droite & nos humeurs naturelles » ont auffi de quoi donner un être aux ,, chofes fe rapportant à leur condition, & ,, les accommoder à foi, comme font les humeurs déréglées, & notre fanté auf. ,, fi capable de leur fournir fon vifage, ,, comme la maladie. Pourquoi n'a ,, le tempéré quelque forme des objets relative à foi, comme l'intempéré, & ne leur imprimera-t-il point pareillement fon charactére? Le dégouté charge la fadeur au vin, le fain la faveur, l'altéré la friandife. Or notre état accom" modant leschofesà foi, & les transformant felon foi, nous ne fçavons plus quelles font les chofes en vérité,car rien ,, ne vient à nous que falfifié & altéré par ,, nos fens.... au demeurant,qui fera pro» pre à juger de ces differences? S'il eft » vieil, il ne peut juger du fentiment de la vieilleffe, étant lui-même partie en ce débat, s'il eft jeune de même, faint de ,, même, malade, dormant, & veillant. Il nous faudroit quelqu'un exempt de toutes ces qualités, afin que fans préoc,,cupation de jugement, il jugeât de ces » propofitions comme à lui indifférentes;

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دو

دو

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& à ce compte, il nous faudroit un juge,, qui ne fût pas.

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les

Les fens, après avoir trompé l'ame, 45. Les paffions font trompés par elle à leur tour. C'eft alterent ou une fource d'erreurs mutuelles. Ce que fufpendent nous voïons ou entendons [r]dans une grande agitation de colére, nous ne le voïons ni ne l'entendons tel qu'il eft. L'objet que nous aimons [] nous paroit charmant & fans aucun défaut. Dans l'ennui & dans l'affliction, la clarté du jour paroît obfcurcie & ténébreufe.Nos fens non feulement font altérés,mais entiérement fufpendus par les paffions de l'ame,comme par une grande furprife,ou par une[*]erifteffe exceffive.Combien d'objets préfents à nos fens leur échappent par cette feule raifon[y] que notre efprit eft diftrait, ou occupé ailleurs? Le P.Lami fe trompe affutément, lorfqu'il avance cette propofition []: Il n'eft pas poffible que touts mes divers fens, incapables de deffein & d'artifice, concourent à me rendre témoignage de " la présence d'un même objet, s'il n'étoit " véritablement préfent. Lorfqu'un homme par la force de fon imagination ou par l'yvreffe, ou par quelque accident de maladie, eft vivement préoccupé de la préfence d'un objet, il peut fe faire qu'il croïe en même temps le

le quafi omni Tempore femotæ fuerint, longèque re motæ. Lucret.lib.4. Nos enim næ nunc quidem oculis cernimus, ea quæ videmus. Neque enim est ullus fenfus in corpore: viæ quafi quædam funt ad oculos, ad nares, ad aures à fede animi perforata: itaque fæpè aut cogitationé, aut aliquâ vi morbi impediti, apèrtis atque integris & oculis & auribus nec videmus, nec audimus, ut facile intelligi poffit animum, & videre & audire, non éas partes, quæ quafi feneftræ funt animi Cic.

[x] L'incrédule amené à la religion,`entret. 7.p.278,

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39

Nous ne

le nombre

voir, le toucher & l'entendre. Ainfi celui qui croïoit affifter à des spectacles, non feulement voïoit des acteurs & des muficiens, mais il entendait leurs voix & leurs concerts, & il fe fentoit preffé de la foule des fpectateurs.

Nous ne pouvons fçavoir fi le nom favons, fibre de nos fens eft complet, puifque des fens eft nous n'imaginons & ne concevons que complet ceux dont nous avons l'usage. Ileft impoffible de faire comprendre à un aveugle né, ce dont il eft privé s'il le regrette, ce n'eft que parce qu'il apprend de nous, que nous poffédons quelque chofe d'excellent qui lui a été refufé. Qui fçait fi les bornes étroites de nos connoiffances, tant de difficultés que nous rencontrons dans la découverte des chofes, ne font point caufées par le manquement de quelque fens? Les propriétés qui ont été appellées occultes, comme celle de l'aiman d'attirer le fer, font peut-être & même vraisemblablement perceptibles par quelques facultés fenfitives qui exiftent en la nature, mais qui ne nous ont pas été données. Quelques animaux font peut-être de ces fens que nous n'avons pas. N'eft-ce point quelque fans à nous inconnu [a], qui conduit les frelons, les fourmies, & les rats à choisir toujours le meilleur fromage & la meilleure poire, fans y avoir taté, & qui fait trouver au chien, à l'éléphant au ferpent l'herbe propre à leur guérifon Iln'y a aucun fens qui n'ait une domination fort étendue, & dont il ne dépende un grand nombre de connoiffances. Quelque fens de plus nous eût peutêtre fait appercevoir la vérité entiérement, & à découvert dans les effets naturels.

[a] Eff. de Montagu.kv.2. ch.12. kCardan.de fubtil.lib.13.init,

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Cardan [b]eft d'un avis oppofé; il prétend démontrer qu'il n'y a que cinq fens poffibles, & que si la nature en eût donné davantage aux animaux, ils euffent été inutiles.

P.Malle

Le P. Mallebranche a une opinion Opinion da des plus fingulières fur l'exiftence des branche fuc corps. Il n'y a que la foi, dit ce pro les corps. fond fpéculateur [c], qui puifle, nous convaincre qu'il y ait dans le monde quelque fubftance corporelle: mais par la raifon & par l'évidence, nous ne fommes pas invinciblement portés à croire qu'il y ait quelque autre chofe que Dieu & notre efprit. Il femble que le jugement que nous portons de l'existence des corps, étant naturel, Dieu quieft l'auteur de notre esprit, nous tromperoit, file fentiment de l'existence des corps étoit faux: mais ce raisonnement n'est pas une démonstration évidente de l'existence des corps; car nous ne fommes pas portés d'une manière invincible à croire qu'il exifte quelque fubftance corporelle. Si nous y donnons notre confentement, c'eft librement; nous pouvons n'y pas confentir. C'est par un acte libre, & par conféquent fujet à l'erreur, que nous confentons à ce jugement, & non par une impreffion invincible. Quelle néceffité y a-t-il qu'il y ait des corps au dehors, afin qu'il s'excite dans notre cerveau des mouvements tels que ceux qui nous TÉpréfentent les corps? Les paffions, le fommeil, la folie produifent de ces mouvements, fans que les objets du dehors y contribuënt en rien.Nos yeux repréfentent les couleurs fur la furfacedes corps, & la lumière dans l'air & dans le foleil: nosoreilles nous font entendre les fons comme répandus dans

[] Lepère Mallebranche 6, we selaircifo ment fur la recherche de la vérité,

l'air & dans les corps qui retentiffent, & fi nous croïons le rapport des autres fens, la chaleur cft dans le feu, la douceur dans le fucre, l'odeur dans le mufc, & toutes les qualités fenfibles dans les corps qui femblent les répandre. Cependant il eft certain que toutes ces qualités ne font point hors de l'ame qui les fent, du moins n'eft-il pas évident que ces qualités foient dans les corps qui nous environment. Pourquoi donc fur le rapport feul des fens qui nous trompent en toutes rencontres, vouloir conclure qu'il y a effectivement des corps au dehors? De plus, fi l'on peut fur le rapport des fens s'afflurer de l'existence de quelques corps, c'eft principalement de celui auquel l'ame eft immédiatement unie. Le fentiment le plus vif, & qui femble avoir le rapport le plus nécessaire à quelque corps actuellement exiftant, c'eft la douleur; néanmoins il arrive fouvent que ceux qui ont perdu un bras y fenrent des douleurs très vives, même long-temps après la perte de ce bras. Ils fçavent bien qu'ils ne l'ont plus lorfqu'ils confultent leur mé moire ou qu'ils regardent leurs corps: mais le fentiment de douleur les trom. pe; & fi l'on fuppofoit, ce qui arrive quelquefois, qu'ils perdiffent entiére ment le fouvenir de l'accident qui les a privés de ce bras, & qu'ils ceffafsent d'avoir l'ufage de la vue & de l'attou chement, ils ne pourroient fe perfua der qu'ils n'ont point un bras dans le quel ils fentent de la douleur. Il s'eft trouvé des gens qui croïoient avoir des cornes fur la tête; d'autres qui s'i, maginoient être de verre, ou que leur corps n'étoit point formé comme celui des autres hommes, qu'il étoit semblable à celui d'un coq, d'un loup, d'un bauf. C'étoit des fols, dira-t-on, &

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j'en conviens. Mais leur ame pouvoit fe tromper fur ces chofes, & par conféquent touts les autres hommes peuvent tomber dans de femblables erreurs, s'ils jugent des objets fur les rapports de leurs fens. Car il faut remarquer que ces fols le voient effectivement tels qu'ils pensent être : l'er reur n'eft pas précisément dans le fentiment qu'ils ont, mais dans le juge ment qu'ils forment. S'ils difoient fim plement qu'ils fe voient, ou qu'ils fe fentent femblables à un coq, ils ne fe tromperoient pas.

J'ajouterai à touts ces raifonnements du P. Mallebranche, que, fuivant cette opinion, qu'il n'existe peutêtre que Dieu & notre esprit, il y au roit de quoi s'applaudir extrémément de penfer qu'on tire de fa feule imagination le foleil, la June, les étoiles, & tout ce magnifique fpectacle du monde. Il faudroit d'un autre côté avoir l'efprit bien mauvais & le cœur bien corrompu, pour inventer tout ce que le fpectacle du monde nous préfente d'horriblement pervers. Mais non, l'invention de toutes ces chofes ne nous regarderoit pas, fuivant le fyftême des idées du P. Mallebranche, parce que nous voions toutes: chofes en Dieu, les plus admirables & les plus difformes.

48,

fuivant

phes.

Suivant Epicure, les fens ne peu- Certitude vent fe tromper, l'impreffion qu'ils des fens, reçoivent de l'objet étant toujours quelques vraie, & le faifant par un mouvement philofoqui eft réel, quand même l'objet fel roit abfent: mais ce même philofophe avoue que l'opinion qui fe forme de la fenfation, peut être fauffe, parce que la réfléxion que l'ame fait fur cette fenfation, peut porter à faux. Ceft dire la même chofe dans le fond que les autres philofophes,

Cicé

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Lucréce, difciple d'Epicure, fait valoir de fon mieux la certitude des fens. Vous trouverez, dit-il [e], que toute connoiffance du vrai tire fon origine des fens: que nous n'avons auçune faculté capable de réfuter leur té, moignage, & que rien ne mérite plus de confiance qu'eux. T

Ce qui s'apperçoit dans les objets, dit-il ailleurs [ƒ], eft véritable. Si notre efprit ne peut résoudre cette difficulté, pourquoi une tour quarrée nous paroît ronde lorsqu'elle est vûë de loir, il vaut mieux que celui qui n'a pas une bonne solution à donner de ce phénoméne, explique imparfaitement les caufes de l'une & de l'autre figure, que de porter quelque atteinte aux notions manifeftes, de violer la prémiére régle de toute vé rité, & de renverfer entiérement les fondements fur lesquels notre vie & notre confervation font étaïées. Car · Tom.11.

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[d] Qui omnem fenfibus denegant fidem, in deos vel contumeliofiflimi exiftunt, quafi rebus intelligendis vel difpenfandis fallaces ac mendaces internun tios præfecerint. Cic.

[e] Invenies primis ab fenfibus effe ereatam. It

Notitiam veri, neque fenfus poffe refelli:

Quid majore fide porrò quàm fenfus haberi:

-"Debet? Lurret. lib.3 :

[f] Proindè quod in quoque eft his vi-
fam tempore, verum eft:
Etfi non potuit ratio diffolvere cau-
fam,

Cur ea quæ fuerint juxtim quadrata,
procul fint

non feulement toute raison tombe en ruine, mais la vie même eft détruite fans la confiance aux fens, qui nous fait éviter les précipices, & les autres chofes nuifibles. On peut obferver en paffant que ce poëte qui nie la provi1dence divine, eft ramené ici par la force naturelle de la vérité, à confeffer que nos fens nous ont été donnés pour la confervation de notre corps.

Des illa

Si nous devons nous défier de nos 49. fens, nous devons être encore plus fur fons de l'inos gardes contre les illufions & les magination. dangers de notre imagination. De combien d'erreurs & de troubles n'eftelle pas la fource? l'imagination aïant la bouche fort dure, & étant fort fujete à prendre le mords aux dents, emporte fouvent à travers champs le pauvre bon fens qui est un assez mauvais cavalier. Parlonsfans métaphore, une imagination vive & brillante est un préfent fort avantageux de la nature, mais c'est un préfent fort dangereux, à moins que la jufteffe du bon fens, & la fagelle des réfléxions ne fçachent l'affervir.

50.

Effets de l'i

Les effets de l'imagination font furprenants; quelques auteurs lui en ont megination. même attribué d'incroïables. Sa force P

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eft telle, fi fon en croit Marfile Ficin, qu'elle peut exciter ou appaifer touts les vents, rendre l'air ferein ou pluvieux, & exciter les phénoménes les plus étranges par le pouvoir qu'elle a dans la nature.

Cippus roi d'Italic [g], après avoir affisté à un combat de taureaux, dont il eut l'imagination frappée fortement, réva toute la nuit aux cornes de ces animaux, & trouva à fon réveil des cornes effectives, produites en fa tête par la force de fon imagination.

Thrafylle eut beaucoup de regret [b] d'avoir été guéri d'une folie qui confiftoit à croire que touts les vaiffeaux qui arrivoient au port de Pirée Jui appartenoient: & cet homme qui s'immaginoit affifter à des pièces de théâtre [i], & à des concerts, fe plaiguit de fes amis [k] quien le faifant traiter, lui avoient ôté de l'efprit une fidouce illusion.

Lorfque nous confidérons avec beaucoup d'attention quelqu'un qui fouffre, les efprits fe tranfportent avec effort dans les parties de notre corps, qui répondent à celles qu'on voit fouffrir: ce qui fe fait bien plus fentir dans les perfonnes qui ont l'imagination vive, & les chairs tendres [7], & dans les parties délicates, comme les yeux. Dans un monaftére du Frioul, un frére nommé Roch aïant remarqué un religieux qui alloit toutes les nuits faire fa prière devant la ftatuë de faint Dominique, il ôta cette ftatuë de fa niche, & s'étant revêtu dans la facriftie d'un habillement, qui imitoit

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celui de la ftatue, il fe mit dans la même niche à fa place, tenant en main une difcipline. Quand le religieux vint, fuivant fa coutume, faire fa prière, le frère déguifé en faint le menaça, én remuant fa difcipline. Le religieux cut peur, & s'enfuit ; frére Roch le poursuivit en courant, dont le religieux fentit une fi terrible fraïeur, qu'il tomba évanoui. Frére Roch ne perdant pas le jugement, alla au plus vite remettre la ftatuë fur fon piédeftal, & accourt comme les autres, au fecours de celui qui étoit faifi de peur. On trouva que fes cheveux a voient blanchi en un inftant; & il mourut peu de jours après, fans avoir parlé. Frére Roch fort repentant, conta lui-même toute cette hiftoire à Thomas Campanelle [m], qui la rapporte.

St. L'imagina

fufceptible

fions.

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De Thou fait mention [n] d'une fueur de fang caufée par la crainte . Il femble que l'imagination fut anciennement plus fufceptible qu'au tion des an jourd'hui des grandes & violentes im- en le preffions. Nous lifons fans aucune des violen émotion le traité de Platon de l'im- tes impref mortalité de l'ame, dont autrefois plufieurs furent tellement frappés, qu'ils fe donnérent volontairement la Effets du mort. left vrai que nous fommes Phadon. logue de imbus de cette perfuafion dès l'enfance; & comme cette vérité nous eft connue par des preuves incomparablement plus fortes, & d'un autre ordre, que celles qu'apportoient les Payens, les raifons de Platon ne nous touchent prefque pas.

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dialo

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