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23.

Explication de la mémoire.

qu'où leurs extrémités avancent. Il combat entiérement le fentiment Cartéfien fur la glande pinéale, foutenant que tout ce que Descartes a dit ne s'accorde nullement avec les recherches de l'anatomie: & il remarque entr'autres chofes,que la connexion de cette glande avec les autres parties du cerveau,par le moïen des artéres, eft une pure fiction, Le P. Mallebranche dans la recherche de la vérité a expliqué d'une maniére très ingénieufe les caufes phyfiques de la mémoire & des habitudes. A l'égard de la mémoire,il fuffit de bien comprendre que toutes nos differentes perceptions font attachées aux changements des fibres, dans la partie principale du cerveau où l'ame réfide plus particuliérement.Ce principe fuppofé, la nature de la mémoire eft entendue. Car de même que les branches d'un arbre qui ont demeuré quelque temps pliées d'une certaine façon, confervent quelque facilité pour être pliées de nouveau de la même forte; ainfi les fibres du cerveau aïant une fois reçû certaines impreffions par le cours des efprits animaux, l'ame les renvoie aifément dans les traces déja fraïées:& l'effet de la mémoire ne nous paroît pas plus difficile à comprendre, que le remuement du pié ou de la main, avec cette différence néanmoins, que les mufcles qui fervent à remuer le pié ou la main,obéïffent plus également & plus fûrement au cours des efprits animaux envoïés par l'ame, que les fibres du cerveau dans lesquelles confifte la mémoire. Car cette faculté eft très indocile, quelquefois rebelle : & rien n'imprime fi vivement quelque chofe en notre mémoire,que l'effort de l'oublier. Souvent les efprits fe portent dans les paffages fraïés des fibres, fans que l'ame y dirige

leurs cours,& on a pour lors un souvenir qu'on ne cherchoit pas,& dans d'autres rencontres l'ame voulant renvoïer les efprits dans les traces où ils ont déja paffé,ils ne trouvent pas dans le moment la même route,on ne peut alors trouver le fouvenir qu'on cherche: & comme la largeur, la profondeur,& la netteté des traits de quelque gravüre dépend de la force dont le burin agit, & de l'obéïssance que rend le cuivre, la profondeur & la netteté des traces de la mémoire dépend de la force des efprits animaux,&de la conftitution des fibres du cerveau.On a peine à comprendre que les différentes fenfations ne fe confondent pas dans les fibres du cerveau, mais des effets affez femblables fe rencontrent en des chofes vifibles: ne voit-on pas les couleurs fe trouver ensemble dans l'air, & pénétrer les paffages les plus étroits fans fe confondre ?

24.

de la mé

fcence.

Albert le grand [9] distingue la mé- Difference moire de la réminifcence. La prémiére moire & de eft la représentation des objets abfents: la réminiles bêtes ont cette forte de mémoire. La réminifcence eft la représentation des chofes effacées par l'oubli, lorfque nous avons recours au lieu ou au temps, ou à diverfes circonftances, pour retrouver quelque chofe qui eft fortie de notre mémoire: la réminifcence ne convient qu'à l'ame raifonnable.

des.

23.

Pour expliquer les habitudes,il eft né- Des habitu ceffaire de fçavoir la maniére dont on a fujet de penfer,que l'ame remue les parties du corps,auquel elle eft unie. Selon toutes les apparences il y a toujours dans quelque endroit du cerveau, un affez grand nombre d'efprits animaux très agités par la chaleur du cœur d'où ils font fortis, & prêts de couler dans les lieux où ils trouvent un paffage ouvert.

[g] Albert. Magn.Ifagoge in lib. Ariftot, de animá, c. 19.

Touts les nerfs aboutissent au réservoir de ces efprits, & l'ame a le pouvoir de déterminer leur mouvement, & de les envoïer par les nerfs dans touts les mufcles du corps. Ces efprits y étant entrés, caufent le mouvement des parties aux quelles ces mufcles font attachés. Il paroîtra vraisemblable que l'ame remuë le corps de la maniére qui vient d'être expliquée, fi l'on prend garde que lorfqu'on a été long-temps fans manger, on a beau vouloir donner certains mouvements à fon corps, on n'en peut venir à bout,& même on a quelquefois peine à fe foutenir fur les piés. Mais fi l'on trouve moïen de faire couler dans fon cœur quelque chofe de fpiritueux, comme du vin, ou autre pareille nourriture, on fent auffi-tôt que le corps obéit avec obeït avec beaucoup plus de facilité.

à la prononciation, pour articuler les
mots d'une langue étrangère Les efprits
animaux ouvrent & applaniffent peu à
peu ces chemins par leur cours conti-
tinuel, en forte qu'avec les temps, ils
n'y trouvent plus de réfiftance.Les habi-
tudes confiftent dans cette facilité des ef-
prits animaux à parcourir certains nerfs
& certains mufcles.

26.

ailément

fans.

Les habitudes fe forment plus vite Les habitu& plus profondément dans les, fibres des fe fortendres des enfants; & cette mêmement plus raifon rend leur mémoire meilleure. dans les enC'eft auffi ce qui fait connoître com. bien les prémiéres impreffions fon: importantes pour eux, & quel foin on doit avoir, que les femmes, qui les élévent, ne leur gâtent pas l'efprit par des contes ridicules, & ne jettent pas,pour ainfi dire,dans leurs cerveaux, les femences de leurs opinions extravagantes, de leurs fraïeurs, & de toutes leurs autres foibleffes. Platon [r] donne des préceptes d'éducation, non feulement pour les enfants qui commencent à comprendre ce qu'on dit devant eux, mais il recommande même [s] de travailler à former l'imagination de l'enfant avant qu'il naiffe, par celle de la mére.

27.

Les enflures des muscles, qui fe remarquent dans les agitations des bras & des autres parties du corps, font connoître que les efprits animaux font pouf. fés par les nerfs jufques dans les mufcles, pour les enfler & pour y produire les mouvements que nous fouhaitons. La force des efprits animaux confifte en ce que, fuivant le principe général des méchaniques, ils furpaffent par un excès de viteffe l'excès de maffe qui leur ré- L'origine du pédantifme & de la fifte; à peu près comme l'haleine qu'on prévention des fçavants, fe trouve Origine du fait entrer dans des petits tuïaux, aux dans les traces que les efprits animaux pédantisme. quels on a attaché des veffies, enfile impriment fortement dans le cerveau. les veffies & les met en état de foulever Un auteur s'applique à un genre d'étules poids les plus pefants. Mais les ef- de []; les traces du fujet de fon ocprits ne trouvent pas toujours les che- cupation s'impriment fi profondément mins par où ils doivent paffer, affez ou- & raïonnent fi vivement dans tout verts & affez libres,ce qui fait que nous fon cerveau, qu'elles confondent & ávons, par exemple, de la difficulté à qu'elles effacent quelquefois les traremuer les doigts avec la viteffe qui eft ces des chofes même fort différentes. néceffaire pour jouer des inftruments Il y en a eu un, par exemple, quia de mufique, ou les mufcles qui fervent fait plufieurs volumes fur la croix ; ceN 3 [r] Lep. Mallebranche,rech.de la vérité, liv. 2. part.2.ch.2.

[r] Plat. de republ. lib.2. [s] Id.de legib. lib. 17.

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28,

machinal

des elprits.

la lui a fait voir des croix partout; & c'est avec raifon que le P. Morin le raille de ce qu'il croïoit qu'une médaille repréfentoit une croix, quoi qu'elle repréfentât toute autre chofe. C'eft par un femblable tour d'imagina tion, que plufieurs autres, après avoir étudié les propriétés de l'aiman, ont rapporté à des qualités magnétiques un très grand nombre d'effets naturels, qui n'y ont pas le moindre rapport. Ces traces gravées profondément dans le cer. veau par les habitudes, rendent les fçavants de profeffion peu propres le plus fouvent ou aux emplois, ou aux conversations,ou à l'adminiftration de leurs biens, & aux affaires, ou à la plupart des chofes qui fe pratiquent communément dans le monde.

Mouvement Ce n'eft pas toujours à l'occafion de la volonté de notre ame, que les efprits animaux prennent leur cours: le mouvement de ces efprits fe fait fouvent d'une maniére purement machinale par la feule impreffion des objets fur les fens, indépendamment de la volonté de l'ame, & même contre fa volonté. Defcartes [] en donne un exemple qui nous eft très familier. Si quelqu'un avance promptement fa main vers nos yeux comme pour nous frapper, quoique nous fçachions qu'il eft notre ami,& qu'il fe gardera bien de nous faire aucun mal,nous avons de la peine à nous empêcher de les fermer. Ce n'eft pas non plus la volonté d'exciter en nous quelque mouvement, qui l'excite toujours; il faut, pour ainfi dire, que l'ame ufe de beaucoup d'induftrie envers fon corps, & prenne des voies indirectes, pour exciter ce mouvement. Par exemple, fi l'on penfe feuIement à élargir ou à étreffir la pru

[u] Defcart, tr, des paffions part. 1. art. 13.

nelle, on a beau en avoir la volonté, parce que la nature n'a pas joint le mouvement de la glande, qui fert à pouffer les efprits vers le nerf optique. enla façon qui eft requife pour élargir: ou étreffir la prunelle,avec cette volon té de l'élargir ou de l'étreffir, mais avec la volonté de regarder des objets éloignés ou proches.

2,

Induftrie

exciter,

ments en

De même la volonté n'aïant pas le pouvoir d'exciter directement les mouments des paffions en fon corps, il faut néceffaire a qu'elle s'applique à confidérer les motifs l'ane, pour capables d'exciter ces mêmes paffions. quelques Ainfi pour exciter en foi la hardieffe, & mouve furmonter la peur, il ne tuffit pas d'en fon corps. avoir la volonté, il faut s'appliquer à confidérer les raifons, & les exemples, qui peuvent perfuader que le péril n'est pas grand;qu'il y a plus de fureté en la défenfe, qu'en la fuite; qu'on aura de la gloire & de la joie d'avoir vaincu, au lieu qu'on ne peut attendre que du regret & de la honte d'avoir fui, & autres chofes femblables.

კი.

Touts les combats,que l'on a coutu-Des combats me d'imaginer entre la partie de l'ame, des paflions. qu'on appelle fupérieure ou raifonnable & celle qu'on appelle inférieure & fenfitive, ou entre les défirs naturels & la volonté, ne confiftent, fuivant l'explication de Descartes, qu'en la répugnance ou contrariété, qui fe trouve entre les mouvements que le corps par les efprits animaux, & l'ame par la volonté tendent en même temps à exciter dans la glande pinéale. Car l'ame eft une fubftance fimple, qui n'a en foi aucune diverfité de parties. & ce qu'on exprime improprement par le combat des paffions dans l'ame, n'eft autre chofe, finon que la glande, qui eft au milieu du cerveau

pouvant être remuée différemment, d'un côté par la volonté de l'ame, & de l'autre par des mouvements involontaires des efprits animaux, il arrive fouvent que ces deux impulfions font contraires, & que la plus forte empêche l'effet de l'autre. Mais il me paroît auffi contre l'opinion de, Descartes, que quoique l'ame foit une fubftance fim ple, qui n'a aucune diverfité de parties, elle peut éprouver en même temps, ou tout au moins dans des inftants fort courts, & qui fe fuccédent de fort près, les agitations des mouvements contraires en elle-même, & par conféquent différentes impulfions de fa volonté, ce qui fait qu'alors l'ame eft combattue par fes propres modifications, fans que le mouvement machinal du corps y ait aucune part. Je fuppofe, par exemple, un homme qui eft irréfolu fur le parti qu'il doit prendre parce qu'il eft en même temps pouffé & retenu par des motifs d'ambition, & de reconnoiffauce: il eft certain que ces deux motifs qui excitent en lui des mouvements oppofés, font propres à l'ame, & qu'il n'y entre rien de machinal. C'est ce qui s'obferve encore plus particuliérement, lorfque la même paffion fait fur l'ame des impreffions contraires, parce qu'elle a des objets différents: ainfi la mére de Méléagre indéterminée par la tendreffe qu'elle reffent d'un côté pour fon fils, & de l'autre pour les frères [x], fe porte tour à tour vers les deux éxtrémi tés de la piété & de la vengeance;je fup pofe encore qu'une eftime égale pour deux perfonnes, ou la confidération

des fervices qu'elles ont rendues, engage un homme à donner la préférence pour quelque emploi, tantôt à l'une & tantôt à l'autre, on ne trouvera point ici d'impulfion machinale, ni de mouvement involontaire des efprits animaux: le combat fe paffe donc quelquefois dans l'ame feule, indépendamment de toute caufe machinale.

3T.

L'habitude

La force des habitudes va jusqu'à changer les impreffions naturelles des plus forte objets. Lorsqu'un chien voit une per- que la natudrix, il eft naturellement porté à courir **• vers elle,& lorfqu'il entend un coup de fufil, ce bruit l'excite naturellement à s'enfuir; mais on dreffe les chiens couchants,de manière que la vûë d'une perdrix fait qu'ils s'arrêtent,& que le coup de fufil qu'on tire fur elle, fait qu'ils y accourent.Il eft utile de faire ces réfléxions, pour exciter le courage à furmonter les paffions: car puifqu'on peut avec un peu d'induftrie changer les impreffions naturelles dans les animaux dépourvus de raison, il eft évident que les hommes peuvent encore mieux produi re cet effet en eux-mêmes, & qu'ils ac quiérent un empire abfolu fur toutes leurs paffions, par une volonté ferme, non feulement de les modérer, mais encore d'en tirer de grands avantages.

32.
La bêre dé

pourvûë de

peut le dé

L'homme par le libre arbitre a une puiffance de fe déterminer du côté droit ou du côté gauche, lors même que les liberté ne motifs font parfaitement égaux de la terminer part de deux objets oppofés.Il peut dire, entre deux objets qui fans avoir d'autre raison de faire l'attirent ufage de fa liberté,J'aime mieux ceci que cela, encore que je ne voie rien de plus digne de mon choix en ceci qu'en cela.

que

également.

[x] ........... Pugnant materque fororque In divería trahunt unum duo nomina pectus. ...

. utque carina,

Quam ventus ventuque rapit contra rius æftus,

Vim geminam fentit, paretque incerta duobus, Ovid. metam. lib. 8.

33.

Les Cartéfiens croient qu'une bête ne pourroit le déterminer à la présence des deux objets,qui l'attireroient également. Par exemple l'âne de Buridan bien affamé mourroit de faini entre deux boiffeaux d'avoine,qui agiroient également fur les facultés:il demeureroit immobile comme un morceau de fer entre deux aimans de même force:puifqu'il ne peut arriver,que de deux poids en équilibre,

l'un faffe remuer l'autre.Mais il y a bien de l'apparence, que dans cette fuppofition moralement impoffible,la bête,fans avoir aucun fentiment de liberté, dont elle n'eft pas capable, trouveroit dans fa faim une impulfion plus forte vers l'un ou l'autre côté, que dans l'équilibre qui la tient en fufpens.

Rien n'eft mieux imaginé, que toute Doutes au cette méchanique Cartéfienne, de glanfujet de la de pinéale & d'efprits animaux. On y glande pinéale,& des trouve du vraisemblable:mais le vrai s'y efprits ani- rencontre-t-il? Ceft ce que plufieurs

maux.

philofophes & anatomiftes ne peuvent croire.L'ame ne s'eft jamais avifée avant Descartes, que les opérations fe fiffent ainfi.Cette glande pinéale eft traitée par plufieurs philofophes,de chimére, auffibien que les efprits animaux. Ces philofophes non contents de nier l'ufage de la glande,nient même fon exiftence & celle des efprits animaux. De quelle espéce, difent-ils, font les efprits animaux:Sontils fecs, comme le fouffle? ou humides, comme le fang? Leur nom femble répugner à leur existence; c'est un compofé monftrueux,puifqu'on prétend en quel. que maniére allier la matiére & l'efprit dans une même fubftance. Comment cet extrait du fang fe prépare-t-il avec tant de promptitude,que l'homme paffe pref

[y] An poterunt oculos aures reprehendere? an aures Tactus?an hunc porrò tactum fapor arguet oris?

que tout d'un coup de l'épuisement à la force? A peine une liqueur que l'on a avalée,eft-elle defcendue dans l'eftomac qu'on en reffent l'effet,avant que les efprits animaux aient eu le temps de fe former. Si les mufcles paroiffent gonflés dans le travail, c'eft que la liqueur qui coule au-dedans d'eux,eft pouffée avec plus d'abondance dans ceux qui agisfent.Ces efprits animaux que Defcartes nous représente fi déliés,pourroient-ils être en même-temps fi vifibles? Le philofophe qui prétend fonder la nature, fe trouve dans un labyrinthe, dont il ne peut deméler les routes; il ne voit de tout côté,que des écueils d'opinions.

Il n'y a point de relation entre les opérations des fens. Ils ne peuvent fe prêter ni fecours ni foulagement, l'un d'eux ne peut pas s'appercevoir des fautes [y], que l'autre commet. Quelquefois même nos fens fe contrarient. Une peinture femble élevée à la vûë, au toucher elle paroît platte. Le mufc excite en même temps dans l'ame une fenfation agréable par l'odorat,& facheufe par le goût. Si nous connoiffons un objet par l'un de nos fens,ce même objet eft entièrement inconnu aux autres fens, qui n'ont aucune prite fur lui. Nous en fommes convaincus par des expériences continuelles. Mais pour le prouver, Locke a rapporté un problême [z], dans lequel il paroît qu'il s'eft trompé.

34.

lay a Foint de re tre les fens.

lation en

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Suppofez, dit-il, un homme aveugle de naiffance auquel on ait appris de Locke. diftinguer par l'attouchement un cuà be & un globe de même métal, & à peu près de la même groffeur, en forte que lorsqu'il touche l'un & l'au

tre

An confutabunt nares? oculive revincent? Lucret, lib. 3. [z] El.philofophiq, de Locke,liv 2 ch 9.

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