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leur permit de déterrer un mort dans le cimetière de l'églife cathédrale. La place fut entourée de gardes. Tout se passa juridiquement. La scène finit par mettre au pilori les prophètes.

Ces excès du fanatifme ne pouvaient guère réuffir en Angleterre, où la philofophie commençait à dominer. Ils ne troublaient plus l'Allemagne, depuis que les trois religions, la catholique, l'évangélique et la réformée y étaient également protégées par les traités de Veftphalie. Les Provinces-Unies admettaient dans leur fein toutes les religions par une tolérance politique. Enfin il n'y eut, fur la fin de ce fiècle, que la France qui effuya de grandes querelles eccléfiaftiques, malgré les progrès de la raison. Cette raison fi lente à s'introduire chez les doctes, pouvait à peine encore percer chez les docteurs, encore moins dans le commun des citoyens. Il faut d'abord qu'elle foit établie dans les principales têtes; elle defcend aux autres de proche en proche, et gouverne enfin le peuple même qui ne la connaît pas, mais qui, voyant que fes fupérieurs font modérés, apprend auffi à l'être. C'eft un des grands ouvrages du temps, et ce temps n'était pas encore venu.

CHAPITRE XXXVII.

Du Janfenifme.

LE calvinifme devait néceffairement enfanter des

Janfénifme moins turbulent que le guerres civiles, et ébranler les fondemens des Etats. calvinifme. Le janfénisme ne pouvait exciter que des querelles théologiques et des guerres de plume; car les réformateurs du feizième siècle ayant déchiré tous les liens par qui l'Eglife romaine tenait les hommes, ayant traité d'idolâtrie ce qu'elle avait de plus facré; ayant ouvert les portes de fes cloîtres, et remis ses trésors dans les mains des féculiers, il fallait qu'un des deux partis pérît par l'autre. Il n'y a point de pays en effet où la religion de Calvin et de Luther ait paru, fans exciter des perfécutions et des guerres.

Mais les jansénistes, n'attaquent point l'Eglife, n'en voulant ni aux dogmes fondamentaux ni aux biens, et écrivant fur des questions abftraites, tantôt contre les réformés, tantôt contre les conftitutions des papes, n'eurent enfin de crédit nulle part; et ils ont fini par voir leur fecte méprisée dans presque toute l'Europe, quoiqu'elle ait eu plufieurs partisans très-refpectables par leurs talens et par leurs mœurs.

Dans le temps même où les huguenots attiraient une attention férieuse, le janfenifme inquiéta la France plus qu'il ne la troubla. Ces difputes étaient venues d'ailleurs comme bien d'autres. D'abord un certain docteur de Louvain, nommé Michel Bay, qu'on appelait

Baïus, felon la coutume du pédantifme de ces temps- Baïus ininlà, s'avifa de foutenir, vers l'an 1552, quelques protelligible. pofitions fur la grâce et fur la prédestination. Cette question, ainsi que prefque toute la métaphysique, rentre, pour le fond, dans le labyrinthe de la fatalité et de la liberté où toute l'antiquité s'est égarée, et où l'homme n'a guère de fil qui le conduise.

L'efprit de curiofité donné de DIEU à l'homme, cette impulfion néceffaire pour nous inftruire, nous emporte fans ceffe au-delà du but, comme tous les autres refforts de notre ame, qui, s'ils ne pouvaient nous pouffer trop loin, ne nous exciteraient peut-être jamais affez.

Ainfi on a disputé fur tout ce qu'on connaît et fur tout ce qu'on ne connaît pas mais les difputes des anciens philofophes furent toujours paifibles; et celles des théologiens fouvent fanglantes, et toujours turbulentes.

Des cordeliers, qui n'entendaient pas plus ces queftions que Michel Baius, crurent le libre arbitre renversé et la doctrine de Scot en danger. Fâchés d'ailleurs contre Baïus, au fujet d'une querelle à peu-près dans le même goût, ils déférèrent foixante et feize propofitions de Baïus au pape Pie V. Ce fut Sixte-Quint, alors général des cordeliers, qui dressa la bulle de condamnation, en 1567..

Soit crainte de fe compromettre, foit dégoût d'examiner de telles fubtilités, foit indifférence et mépris pour des thèses de Louvain, on condamna Rome fe respectivement les foixante et feize propofitions en moque de gros, comme hérétiques, fentant l'héréfie, mal-fonnantes, téméraires et fufpectes, fans rien spécifier et

Baius.

Molina vifionnaire.

fans entrer dans aucun détail. Cette méthode tient de la fuprême puiffance, et laiffe peu de prise à la difpute. Les docteurs de Louvain furent très - empêchés en recevant la bulle; il y avait fur-tout une phrase dans laquelle une virgule, mise à une place ou à une autre, condamnait ou tolérait quelques opinions de Michel Baïus. L'univerfité députa à Rome pour favoir du faintpère où il fallait mettre la virgule. La cour de Rome, qui avait d'autres affaires, envoya pour toute réponse à ces flamands un exemplaire de la bulle, dans lequel il n'y avait point de virgule du tout. On le dépofa dans les archives. Le grand-vicaire, nommé Morillon, dit qu'il fallait recevoir la bulle du pape, quand même il y aurait des erreurs. Ce Morillon avait raison en politique; car affurément il vaut mieux recevoir cent bulles erronées que de mettre cent villes en cendres, comme ont fait les huguenots et leurs adversaires. Baius crut Morillon, et ferétracta paisiblement.

Quelques années après, l'Espagne, auffi fertile en auteurs scolastiques que ftérile en philofophes, produifit Molina le jésuite, qui crut avoir découvert précifément comment DIEU agit fur les créatures, et comment les créatures lui résistent. Il diftingua l'ordre naturel et l'ordre furnaturel, la prédestination à la grâce et la prédestination à la gloire, la grâce prévenante et la coopérante. Il fut l'inventeur du concours concomitant, de la fcience moyenne et du congruifme. Cette fcience moyenne et ce congruifme étaient furtout des idées rares; DIEU, par sa science moyenne, confulte habilement la volonté de l'homme, pour favoir ce que l'homme fera quand il aura eu fa grâce; et enfuite, felon l'ufage qu'il devine que fera le libre

arbitre, il prend fes arrangemens en conféquence pour déterminer l'homme, et ces arrangemens font le congruifme.

Les dominicains efpagnols, qui n'entendaient pas plus cette explication que les jéfuites, mais qui étaient jaloux d'eux, écrivirent que le livre de Molina était le précurfeur de l'Antechrift.

La cour de Rome évoqua la difpute, qui était déjà entre les mains des grands inquifiteurs, et ordonna, avec beaucoup de fageffe, le filence aux deux partis qui ne le gardèrent ni l'un ni l'autre.

Procès à Rome pour

Enfin on plaida férieusement devant Clément VIII, et, à la honte de l'efprit humain, tout Rome prit parti fes vilions. dans le procès. Unjéfuite, nommé Achilles Gaillard, affura le pape qu'il avait un moyen sûr de rendre la paix à l'Eglife; il propofa gravement d'accepter la prédestination gratuite, à condition que les dominicains admettraient la fcience moyenne, et qu'on ajufterait ces deux fyftêmes comme on pourrait. Les dominicains refusèrent l'accommodement d'Achilles Gaillard. Leur célèbre Lemos foutint le concours prévenant, et le complément de la vertu active. Les congrégations fe multiplièrent fans que perfonne s'entendît.

deurs ni les

Clément VIII mourut avant d'avoir pu réduire les Ni les plaiargumens pour et contre à un fens clair. Paul V reprit juges ne s'enle procès; mais comme lui-même en eut un plus tendent. important avec la république de Venife, il fit ceffer toutes les congrégations qu'on appela et qu'on appelle encore de auxiliis. On leur donnait ce nom auffi peu clair par lui-même que les questions qu'on agitait,

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