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clair, poursuit l'étranger, et il étudie toujours. Il découvre dans les actes d'un gouvernement voisin une loi de proscription et d'exil contre ceux qui liraient la Bible dans certaines circonstances, et il voit que nombre de gens inoffensifs en ont été victimes. Enfin, m'y voilà, s'écrie l'étranger ravi de sa découverte ; vos sectaires sont en effet brutalement intolérans. - Que dites-vous donc ? réplique le diacre; mais les intolérans, ce sont les hommes qui ont été cités devant les tribunaux, exilés, maltraités, et dont on a cassé les vitres; parmi ceux qui ont approuvé ces attaques nous comptons, au contraire, plusieurs de nos amis dont la tolérance est bien conPour le coup, l'étranger se fâcha, et il tourna le dos au diacre latitudinaire.

nue.

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Rien n'est plus étrange effectivement que ce contraste entre les accusations et les réalités. On dirait l'une de ces parodies ou de ces antiphrases qui avaient fait imaginer aux Grecs le nom des Euménides; les victimes sont les persécuteurs, dans cette langue retournée, et les persécuteurs sont les victimes!

Voilà ce qui existe quant aux faits, et il en résulte que si l'on veut parler de l'intolérance matérielle, de l'intolérance qui s'attaque aux personnes, aux positions sociales, ce ne sont pas les Chrétiens qui ont montré cette espèce d'intolérance dans nos dernières années, mais les sociniens, les formalistes, les indifférens, les hommes du monde. On pourra supposer que si les Chrétiens avaient eu le pouvoir entre les mains, ils auraient aussi employé des voies de rigueur; mais nous répondrons qu'une conjecture n'est pas un fait, et que nous avons, nous, mille faits positifs et récens qui nous autorisent à renvoyer aux sectes universalistes le reproche d'intolérance matérielle.

Veut-on parler d'une autre espèce d'intolérance? de l'intolérance dogmatique, spirituelle, qui s'adresse, non aux personnes, mais à leurs croyances, non à leur état social, mais à leurs opinions en matière d'Evangile? Il faudrait alors le dire clairement; car lorsqu'on n'accompagne d'aucune explication le mot d'intolérance, il se prend toujours en mauvaise part. Nous en appelons sur ce point à la loyauté de tous ceux qui 1832. 15e année.

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écrivent sur des sujets religieux ; qu'ils nous reprochent d'être intolérans, mais qu'ils ajoutent que notre intolérance est purement spirituelle, dogmatique, et non matérielle et brutale; car, encore une fois, cette dernière incrimination ne retombe pas sur nous, mais sur leurs amis.

Eh bien! si l'on nous accuse d'avoir cette intolérance spirituelle, nous acceptons avec joie le reproche. Oui, Nous SOMMES INTOLERANS! Oui, nous demandons à Dieu d'être intolérans contre l'erreur, mais pleins d'amour pour les personnes qui se trompent, intolérans contre le péché, mais pleins d'amour pour les personnes qui s'égarent. Oui, nous voulons être intolérans comme Jésus-Christ, comme saint Pierre, saint Jacques, saint Paul. Non, nous ne mettons pas sur la même ligne toutes les opinions, tous les systèmes religieux; il n'y a pour nous qu'une vérité, qu'une bonne nouvelle, qu'une voie de salut. Non, nous ne tolérons pas le mensonge, quand il nous est possible de le combattre; nous ne tolérons pas le vice, quand il nous est possible de le réprimer. Malheur à si nous n'étions pas intolérans de cette manière !

nous,

Et qui donc, si l'on y réfléchit sérieusement, n'a pas cette espèce d'intolérance, à moins qu'il ne soit tombé dans un complet scepticisme ou dans une indifférence absolue? L'Arminien doit être intolérant contre l'Unitarianisme; autrement il ne serait plus arminien, mais unitaire. L'Unitaire doit être intolérant contre le Déisme; autrement il ne serait plus unitaire, mais déiste. Le Déiste doit être intolérant contre l'Athéisme; autrement il ne serait plus Déiste, mais athée. N'être intolérant sur rien, c'est parfaitement la même chose que de ne rien croire. Un disciple de Pyrrhon pouvait seul avoir une complète tolérance; encore devait-il dire : Je ne sais pas si je suis tolérant.

Au fond, la véritable question n'est point là. Le Latitudinarisme ne peut pas accepter plus que nous, sans se renier lui-même, une tolérance doctrinale absolue. L'objet réel de la discussion est tout entier dans les trois ou quatre dogmes que nous regardons comme essentiels à la foi chrétienne, et dont les Latitudinaires ne veulent pas. Nous sommes intolérans à leurs yeux,

parce que nous croyons que la misère de l'homme, le sacrifice de Christ, la nouvelle naissance doivent être entendus de telle manière et non pas de telle autre. Nous sommes intolérans, parce que nous pensons que deux explications opposées sur une seule et même doctrine ne peuvent pas être toutes deux bonnes, toutes deux vraies. En un mot, nous sommes intolérans, voir même intolérables, parce que nous raisonnons logiquement, parce que nous refusons de tomber dans la même contradiction qu'un astronome qui dirait : Je crois que la terre tourne autour du soleil ; mais si vous croyez que le soleil tourne autour de la terre, votre opinion ne vaut pas moins que la mienne.

Quant au reproche d'étroit exclusisme, nous ne l'acceptons pas. Les amis de l'Évangile se donnent la main d'association dès qu'ils s'accordent sur les dogmes fondamentaux ; ils ne prétendent nullement parvenir à une complète identité sur tous les points. Il y a en Angleterre et aux États-Unis trente sectes qui se reconnaissent toutes comme chrétiennes, bien qu'elles aient des opinions fort différentes sur un grand nombre de points secondaires, et même sur le dogme important de la prédestination. En France, qui est-ce qui refuserait le nom de Chrétien aux piétistes, bien que plusieurs aient des idées toutes particulières, et qu'ils aillent jusqu'à nier l'éternité absolue des peines? Cette accusation d'étroit exclusisme est donc démentie par les faits les plus évidens.

Il resterait encore beaucoup d'observations à présenter sur le grave sujet qui nous occupe, mais cette lettre est déjà fort longue, et je m'en suis peut-être aperçu trop tard.

G. DE F.

REVUE LITTÉRAIRE ET RELIGIEUSE.

I. CARDIPHONIA, ou Correspondance de J. NEWTON. Tome II. Traduit de l'anglais. 1 vol. in-18 de 351 pages. Paris, 1832, chez J. J. RISLER, rue de l'Oratoire, no 6. Prix: 2 fr. 50 c.

II. LETTRES DE JEAN NEWTON A THOMAS SCOTT, suivies de quelques lettres de Thomas Scott et d'une lettre de William Cowper; extraites de CARDIPHONIA. 1 vol. in-18 de 193 pages. Paris, 1832, chez le même. Prix: 1 fr. 50 c.

C'est une des plus douces occupations du Chrétien sur la terre, et ce sera sans doute une de ses joies les plus vives dans le ciel, que d'admirer les dispensations de son Dieu, et de suivre sa main qui dirige toutes choses pour le plus grand bien de ses rachetés et de son Église, dans des événemens où celui qui n'a pas encore reçu des yeux pour voir n'aperçoit que trouble et que confusion. Dans le dernier siècle, plus encore, ou du moins d'une autre manière que dans celui-ci, les beaux-esprits qui veulent absolument juger du monde entier par les salons de Paris, se croyaient certainement bien autorisés à déclarer que le Christianisme, vaincu par les philosophes, était en pleine déroute, et ne pourrait jamais se relever des coups que lui avaient portés les géants du parti. Et cependant Celui qui se rit des vains projets des hommes, et qui dit aux flots de l'impiété, comme à ceux de la mer : « Vous irez jusque-là, et là s'arrêtera votre fureur », préparait dans ce temps-là même les instrumens bénis du réveil religieux qui a commencé en Angleterre et qui étend peu à peu, d'un pôle à l'autre, sa glorieuse et salutaire influence. C'est pendant la seconde moitié de ce dix-huitième siècle, qui a produit parmi nous tant de déplorables outrages contre la Parole du Dieu de vérité, que prêchaient et qu'écrivaient en Angleterre les Wesley, les Whitefield, les Lafléchère, les Scott, les Romaine et tant d'autres fidèles serviteurs de Christ, qui jetaient à pleines mains la précieuse semence qu'il nous est donné maintenant de voir germer et fleurir, non-seulement dans leur patrie, mais aussi parmi nous. La plupart des mauvais livres qui ont brillé un moment pendant le siècle dernier comme de funestes météores, sont maintenant condamnés à l'oubli; on les voit encore sur les rayons poudreux de quelques bibliothèques, mais on ne les lit plus; tandis que les ouvrages des Chrétiens d'Angleterre sont traduits dans notre

langue et jouissent parmi nous du succès qui leur serait le plus doux, s'ils pouvaient en être les témoins; ils nous font du bien.

Jean Newton devait naturellement être un des premiers à fixer l'attention de nos traducteurs; car son esprit a quelque chose de français, et le genre de ses ouvrages était fait pour nous plaire et pour nous attirer. Les Anglais, en cela peut-être plus sages que nous, regardent plus au fond et moins à la forme; ils ont d'excellens livres composés par d'anciens théologiens qu'ils lisent avec édification et avec plaisir, tandis qu'il est bien peu de personnes en France qui eussent le courage de passer par-dessus les divisions et les subdivisions des nôtres, et de les suivre à travers ces longs chapitres dont les alinéas sont tellement liés les uns aux autres qu'on y trouve à grand' peine un moment pour respirer. Nous n'avons pas besoin d'affirmer à ceux de nos lecteurs qui connaissent déjà Newton par la traduction d'Omicron et du premier volume de Cardiphonia, et il en est probablement bien peu qui n'aient lu l'un ou l'autre de ces ouvrages, qu'avec lui ils n'ont point d'épreuves semblables à redouter; car la grâce et la finesse de son esprit servent d'ornemens à ces lettres familières, dans lesquelles il épanche avec une si douce bonhomie les sentimens bienveillans et chrétiens de son cœur. Parmi tous les reproches injustes qu'on adresse continuellement au vrai Christianisme, pour se disculper intérieurement de ne pas l'embrasser, il en est peu, ce nous semble, d'aussi absurdes que celui de cette dureté de coeur qu'on l'accuse d'inspirer et d'entretenir. Ce serait en effet une étrange chose qu'il fût vrai que l'on cessât d'aimer, en apprenant à connaître le Dieu qui est amour, et que l'on devint plus insensible aux souffrances de ses frères, en croyant au bon berger qui a donné sa vie pour ses brebis, et qui a dit : « On connaîtra à ceci que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. » S'il était besoin de s'occuper sérieusement de répondre par des faits à une semblable imputation, nous oserions citer Newton comme une des preuves les plus frappantes que la vraie piété, bien loin de détruire la sensibilité naturelle, lui donne encore bien plus de charme

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