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VARIÉTÉS.

LE CHOLERA-MORBUS A PARIS.

Depuis long-temps on parlait du choléra et, il y a un an, lorsque le fléau exerçait ses ravages en Russie, on s'en entretenait ici avec un effroi marqué. Mais ces craintes avaient bientôt fait place à l'insouciance, et la légèreté naturelle à ceux qui ne veulent voir que les causes secondes avait repris tout son empire. On avait remarqué avec complaisance que la maladie diminuait sensiblement d'intensité à mesure qu'elle s'avançait vers l'Ouest; on l'avait vue passer directement d'Allemagne en Angleterre, comme si elle n'avait pas osé toucher notre belle France, et le peu de ravages qu'elle avait faits au milieu de l'immense cité de Londres semblait indiquer les derniers coups d'une puissance expirante.

Aussi la consternation fut-elle grande d'abord, lorsque, le mercredi 28 mars, on apprit que douze personnes, évidemment atteintes du choléra asiatique, avaient été portées à l'Hôtel-Dieu, et que plusieurs avaient succombé dans la journée même, après quelques heures de souffrances. Comment le fléau était-il arrivé si subitement au milieu de nous? Comment se faisait-il que les villes intermédiaires entre Londres et Paris eussent été épargnées? Etait-ce une espèce de nuage infect porté directement sur Paris? ou bien le choléra avait-il suivi le cours de l'eau? Questions oiseuses, questions de pure curiosité, questions insolubles d'ailleurs; car tout est mystère dans cette dispensation extraordinaire. Le siége du mal est inconnu, la cause encore plus ; les remèdes sont en aussi grand nombre que les médecins; mais ce qui pour les mondains n'est qu'un sujet d'étonnement et de curiosité, pour ceux qui croient à la Parole de Dieu est un sujet de plus d'admirer la Providence de Celui dont les voies ne sont pas nos voies, de le bénir de ce que nous ayant destinés au châtiment, il l'a choisi lui-même. 1832. — 15° année.

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Que nous tombions entre les mains de l'Eternel, disait David, car ses compassions sont en grand nombre, et que nous ne tombions point entre les mains des hommes (2 Sam. xxiv, 14)!

Pendant quelques jours on a vu à Paris ce que c'est que de tomber entre les mains des hommes. Des bruits vagues et dénués de tout fondement ayant circulé parmi le peuple, des. hommes égarés ont voulu attribuer au poison la mort de ceux qui avaient succombé; des rassemblemens séditieux ont eu lieu sur plusieurs points de la capitale, et il n'a rien moins fallu que quelques victimes pour désabuser leur fureur, Quelques hommes, dont la complète innocence a été depuis reconnue, désignés, on ne sait pourquoi, à l'animosité de la populace, ont été cruellement égorgés. Est-ce bien dans un pays chrétien qu'il faut consigner de pareilles horreurs! Ah! c'est que nos malheureux compatriotes n'ont de chrétien que le nom, et qu'ils sont les vils jouets des mauvais penchans et des passions effrénées de l'homme livré à lui-même. Toute la conduite du peuple de Paris, lorsque s'est élevée sur lui la verge de la fureur de l'Eternel a bien montré un peuple sans espérance certaine, sans foi, et par conséquent sans sainteté. Tandis que quelques personnes se laissaient abattre sous l'influence d'une terreur contre laquelle elles n'avaient aucune garantie, la légèreté était le caractère dominant des autres, et le jeudi 29, lendemain du jour où on avait connu positivement l'invasion du choléra à Paris, toutes les dégoûtantes folies de la mi-carême ont été célébrées dans les rues et sur les boulevards, au milieu d'une joie bruyante, qui contrastait singulièrement avec les souffrances des malheureux que le fléau avait déjà frappés et le deuil de ceux qui avaient des pertes à déplorer. Et ce n'est pas seulement dans les classes pauvres et ignorantes que les hommes sérieux ont eu à déplorer de pareils excès; les convenances ont été oubliées partout où l'Evangile n'a pas fait entendre sa voix dans les cœurs; des jeunes gens, membres de familles distinguées, ont couru la ville masqués et confondus avec ce qu'il y a de plus vil par une communauté d'injures et d'expressions grossières. Des chansons où l'impiété le dispute à l'obscénité ont été et sont encore chantées à haute voix

dans les rues. Les théâtres n'ont pas été fermés un seul instant, et des fêtes ont été célébrées dans plusieurs salons de la capitale au milieu du luxe et de la profusion, tandis que les soins les plus nécessaires manquaient aux malades dans les hôpitaux et à domicile. Une déplorable confiance avait saisi la plupart de ceux qui jouissent de quelque aisance; c'est le mal des pauvres, disait-on, le fléau des ivrognes, et les excès seuls attirent la maladie ; il y a sans doute quelque chose de vrai à cet égard; mais depuis quelques jours surtout, l'Eternel a montré que le châtiment était pour tous, que l'ange de la mort moissonne indistinctement le riche et le pauvre, et qu'elle s'adresse à tous cette parole solennelle, à laquelle le mondain reste toujours sourd : « Insensé, cette nuit même, ton âme te sera redemandée, et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il? (Luc, XII, 20.) »

Dès lors les dispositions ont changé d'une manière visible; on ajeté autour de soi des regards plus sérieux et, depuis quelques jours, des contributions abondantes de toute espèce sont venues prouver la part que chacun prend au fléau qui frappe autour de nous. Espérons que parmi ces dons quelques-uns auront été faits dans un véritable esprit de charité chrétienne, mais rappelons, comme il est du devoir des chrétiens de le faire, à ceux qui croiraient que la bienfaisance est la charité, ou à ceux qui, plus aveugles encore, croiraient racheter par le don d'une partie de leur superflu leur coupable égarement des premiers jours; rappelons ce que le Saint-Esprit déclare, que nous pourrions donner tous nos biens aux pauvres, et cependant n'avoir pas la charité, et que sans la charité nous ne sommes que comme l'airain qui résonne ou la cymbale qui retentit. (1. Cor. XIII, 3, 1.)

Un fait important à signaler, aujourd'hui que la presse est plus que jamais l'écho de l'esprit public, c'est la manière dont nos journaux politiques ont parlé de ce châtiment de la Providence. Depuis trois semaines ils sont remplis de faits ou de raisonnemens relatifs au choléra, et le nom de Dieu n'a pas été prononcé par l'un d'eux. Le peuple français serait-il donc tombé dans un athéisme de fait, ou la confusion de la religion

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avec ce qui n'en a que l'apparence serait-elle devenue telle, qu'on craindrait de s'exposer à la dérision, en reconnaissant une Providence et l'intervention du Créateur de toutes choses - dans les biens et dans les maux de cette vie! Hélas! si nous pouvons tout espérer de la bonté d'un Dieu de miséricorde pour ce peuple qu'il frappe dans sa bonté, nous sommes forcés aussi de reconnaître la justice des châtimens du Très-Haut sur une nation qui, dans le moment même où le bras de sa colère est levé sur elle, ne craint pas de le braver encore, et de violer ouvertement les commandemens de sa Parole (1).

A ce tableau de l'homme irrégénéré, au milieu d'une calamité publique, à ce combat des passions ou des faiblesses qui se disputent l'empire de notre cœur, nous voudrions opposer la conduite des Chrétiens de la capitale pendant ces jours de deuil et de châtiment, non pour faire parade de leurs sentimens ou de leurs actes, ils savent qu'ils ont tout reçu et que par conséquent ils n'ont rien dont ils puissent se glorifier (1 Cor. IV, 7); mais pour montrer au monde que les fruits de l'Esprit sont la charité, la joie, la paix, un esprit patient, la bonté, la bénéficence, la fidélité, la douceur et la tempérance (Gal. V, 22). Mais ceux qui ne connaissent point la foi en Christ ne les comprendraient pas et ne verraient que de l'orgueil là où il n'y a chez les enfans de Dieu que le désir de lui donner gloire. Nous garderons donc le silence, de peur de faire tomber sur l'Evangile des accusations fausses, et nous laisserons à ceux qui ont pu être témoins de la charité active des Chrétiens le soin de juger la différence qu'il y a entre cette charité et ce qu'on appelle de ce nom dans le monde. Nous ne saurions cependant nous empêcher de faire remarquer, à la louange de l'Esprit de Dieu, la manière dont a été reçue par les disciples de Christ le châtiment d'un Dieu de miséricorde.

Dès la première apparition de la maladie, c'est vers Celui de qui procèdent les biens et les maux (Lam. III. 38) qu'ils ont

(1) Les représentans de la nation ont tenu séance, comme un jour ordinaire, le dimanche 8 avril.

porté leurs regards; c'est sa Parole qui a été leur règle de conduite. Des réunions religieuses particulières ont eu lieu dans plusieurs familles, et des assemblées publiques de prières ont été tenues et se tiennent encore deux fois la semaine à la chapelle des Galeries de Fer, pour s'humilier sous la verge du Tout-Puissant, pour implorer sa miséricorde et pour le prier surtout de bénir pour l'avancement de son règne spirituel l'avertissement solennel qu'il lui a plu de nous envoyer. Chez les Chrétiens point d'insouciance stupide et point de terreurs sans espérance. Ils se sont humiliés, il est vrai, sous la main de Dieu; ils ont reconnu leur misère et leur faiblesse, mais pour invoquer dans leur détresse Celui qui n'abandonne point quiconque met sa confiance en lui, et sa force a été accomplie dans leur faiblesse ; ils ont senti qu'ils étaient appuyés sur le rocher des siècles et ils sont restés en paix, tandis que le monde s'agitait autour d'eux. Des traités religieux ont été répandus en grand nombre, entre autres un traité-placard, renfermant avec des instructions hygiéniques populaires un appel simple et clair à la Parole de Dieu. Il a été vendu ou distribué gratuitement plus de vingt mille exemplaires de ce placard. Le décalogue a été affiché dans tous les quartiers de la capitale. Puisse cette voix solennelle de Dieu, que n'accompagne aucun commentaire humain, être entendue et retentir dans beaucoup de cœurs!

Secondés par l'administration, qui a accordé à plusieurs d'entre eux l'entrée des hôpitaux de la ville, pour porter aux malades des consolations religieuses, les Chrétiens se sont empressés d'aller leur annoncer la Parole de vie, et peut-être, avec la grâce de Dieu, ont-ils engagé quelques âmes à élever leurs regards mourans vers Celui qui donne la vie au monde. Si nous citons ce fait, c'est pour avoir une nouvelle occasion de manifester le néant de tout autre doctrine que celle du salut gratuit. O vous, qui, non satisfaits de la justice parfaite de Christ, croyez que l'homme peut mériter ce que ses péchés ont cent fois dé mérité, dites-nous quelles paroles, quelles consolations vous adresserez à cette âme immortelle qui, dans quelques instans, va paraître devant le tribunal de son Juge! Lui parlerez-vous de sa propre justice? Mais toute sa conscience vous dément et lui

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