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« Si les arts, dit-il, se perfectionnent, tandis que les sciences demeurent stationnaires, cela tient à ce que les artistes, forcés de prendre l'expérience pour guide, peuvent toujours trouver de nouvelles ressources dans la nature; ressources dont les philosophes sont privés, parce qu'ils ne consultent que leurs préjugés et leur imagination. Il faut se soumettre à la nature pour s'en rendre maître. On ne la connaît qu'autant qu'on observe et puisque nous ne pouvons pas la forcer à être telle que nous l'imaginons, c'est à nous de la voir telle qu'elle est. Peut-être ne se cache-t-elle pas autant qu'on le pense... Il faut commencer par douter, et considérer l'entendement humain comme une table rase où nous avons tout effacé, et où il s'agit de graver d'après de bons dessins. Il faut que l'esprit s'appuie sur les faits: l'expérience et l'observation sont comme des poids, qui doivent sans cesse le ramener à la nature et l'empêcher de prendre trop d'essor. »

Tel est le fondement de la méthode de Bacon. Il est fàcheux que l'auteur se soit borné à poser dogmatiquement des principes, auxquels il manque grossièrement dans les rares occasions où il essaye de les mettre en pratique.

Le caractère de Bacon était loin de valoir sa méthode. Le grand chancelier d'Angleterre était fin, habile, et comme tous les ambitieux, qui, dans l'ordre politique, aspirent aux emplois élevés, il fut dirigé dans ses actes, plus par des motifs d'intérêt ou de vanité, que par des sentiments nobles et généreux. Il avait une tête ardente et un cœur froid. Son grand mérite est d'avoir compris et déclaré que, pour sortir du chaos de la scolastique, il fallait se tourner vers la nature, et l'étudier sans cesse, non dans des livres, mais dans ses œuvres mêmes. Toutefois, par la carrière qu'il suivit, Bacon demeura toujours étranger à la pratique des sciences, car il ne savait pas même les mathématiques. Il fut un grand théoricien, un parfait raisonneur, mais un savant in partibus.

Tels sont les quatre grands personnages qui changèrent, au dix-septième siècle, la face de la science et de la philosophie, en Europe. Le mérite des uns compensant les défauts des autres, la résultante, comme on dit en mécanique, fut, en définitive, très-heureuse pour la cause du progrès. Keppler, Galilée, Descartes et Bacon, envisageaient chacun la nature d'une manière différente, mais leurs vues se complétaient mutuellement. Elles tendaient toutes à recommander avant tout l'examen des phénomènes du monde réel, et c'est ainsi qu'elles contribuèrent à opérer la restauration générale des sciences.

Une autre cause concourut, au dix-septième siècle, au même résultat nous voulons parler de la création des académies.

Il y avait à Paris, sous Louis XIII, un fort savant homme, qui suivait avec intérêt le mouvement de toutes les sciences : c'était le P. Mersenne, le même qui avait traduit en français les écrits de Galilée, et qui correspondait avec les hommes les plus éclairés de l'Europe, particulièrement avec Descartes. Le P. Mersenne réunissait chez lui, vers 1635, un certain nombre de savants, qui faisaient en commun des expériences de physique. Plus tard, ces réunions eurent lieu chez Montmort et Thévenot. Là se forma le noyau de l'Académie des sciences de Paris qui fut fondée en 1666, sous Louis XIV.

L'idée de se réunir et de s'associer, pour travailler en commun aux progrès des connaissances humaines, remontait aux anciens; mais, dans les temps modernes, le renouvellement des associations libres ne date que du dix-septième siècle. Ce furent les Italiens qui prirent l'initiative à cet égard. L'Académie des Lyncei à Rome, fut créée en 1602, et Galilée en fit partie. Les réunions des savants qui, dès 1645, avaient lieu à Oxford et à Londres, sous la direction de Robert Boyle, s'annexant l'une à l'autre, n'en formèrent plus, en 1659, qu'une seule, qui eut son siége à Londres. Elle obtint, en 1662, la sanction de Charles II, et se constitua sous le nom de Société royale de Londres. L'Académie del Cimento, qui avait été créée en Italie sous le patronage du prince Léopold de Toscane, rendit de grands services à la cause des sciences, mais elle n'eut qu'une courte durée.

Après ces considérations générales, nous présenterons le tableau de l'état des connaissances scientifiques au dix-septième siècle, dans chacune de ses principales divisions, l'astronomie, la mécanique, les mathématiques, la physique, la chimie et les sciences naturelles.

Astronomie. Tycho-Brahé, le grand astronome danois, était parvenu, en étudiant le ciel pendant vingt années consécutives, à l'aide d'instruments qu'il avait perfectionnés ou inventés, à réunir une série d'observations plus précises et plus nombreuses que celles de Ptolémée. Ces matériaux précieux n'étaient encore qu'une continuation de l'astronomie

ancienne, mais ils devaient servir à fonder l'astronomie moderne, lorsqu'ils auraient été mis, après la mort de Kopernik et de Tycho, à la disposition d'un architecte habile. Cet architecte fut Keppler.

Keppler était élève de Mostlin, professeur de mathématiques à Tubingue et astronome de quelque réputation. Il adopta de bonne heure le système de Kopernik, et des dissertations sur le double mouvement de la terre furent ses premiers essais en astronomie. A l'age de vingt-cinq ans, il composa son Mysterium cosmographicum, ouvrage sur les rapports et les proportions des orbites des corps célestes, qui fit sa réputation. Tycho-Brahé, retiré à Prague, désira avoir Keppler pour collaborateur. Il l'attira près de lui et lui fit donner une pension, avec le titre de mathématicien de l'empereur. A la mort de Tycho, Keppler, chargé de la continuation des tables Rudolphines, lui succéda, et devint le dépositaire de ses instruments et de ses registres d'observations. Si le successeur de Tycho eût été un autre astronome que Keppler, ce qui pouvait arriver, nous n'aurions peut-être pas encore les trois grandes lois astronomiques; car les faits isolés, quelque précis et en tel nombre qu'on les suppose, ne conduisent guère à la détermination des lois générales de la nature que les hommes doués, comme Keppler, d'un génie profond, secondé par une imagination féconde. Comme nous consacrons dans ce volume une biographie détaillée à cet astronome, nous renvoyons à cette partie de notre ouvrage l'analyse des découvertes d'ensemble et de détail que Keppler réalisa dans l'étude du ciel.

C'est par la découverte de la loi de la pesanteur, par l'invention du pendule, et par celle de la lunette astronomique, que Galilée inaugura la grande méthode expérimentale, que François Bacon recommandait à titre de simple amateur. Cette méthode, qui consiste à interroger sans cesse la nature par l'expérience, l'observation et le calcul, doubla les forces de l'esprit humain et agrandit indéfiniment l'espace où s'étaient renfermées jusque-là ses investigations.

En 1609, Galilée était professeur à Padoue, lorsque la nouvelle se répandit qu'un instrument, au moyen duquel les objets éloignés, vus distinctement, paraissaient beaucoup plus rapprochés, venait d'être inventé en Hollande. Aussitôt Galilée

sur quelques indications qu'il recueille, car il n'avait pas encore vu cet instrument, se met à l'œuvre. Comme il sait que l'instrument est composé de deux lentilles de verre disposées dans un tube, il combine et dispose de diverses façons les deux verres. Il parvient à construire une lunette qui donne des images trois fois plus grandes que les objets vus à l'œil nu. Encouragé par ce premier succès, il essaie de nouvelles combinaisons, et bientôt il obtient un télescope qui amplifie jusqu'à trente fois la grandeur de l'objet. C'est ainsi que Galilée entra dans la longue et admirable série de découvertes astronomiques que nous raconterons avec détails dans sa biographie.

Keppler et Galilée avaient posé les véritables fondements de l'astronomie moderne, et avaient montré, l'un par des considérations philosophiques de l'ordre le plus élevé, l'autre par les plus heureuses applications de la méthode expérimentale, la voie dans laquelle il fallait désormais s'engager en astronomie. Leurs contemporains et leurs successeurs entrèrent en foule dans cette voie; les découvertes se multiplièrent, et l'astronomie marcha à pas de géant. Nous ne citerons guère ici que les idées nouvelles et les faits importants qui ont servi à étendre ou à éclairer le domaine de l'astronomie.

Après avoir achevé ses tables Rudolphines, Keppler s'était hȧté de calculer les époques où Vénus et Mercure effectueraient leur passage sur le disque solaire, et de les annoncer au public. Le 7 novembre 1631, Gassendi observa sur le disque solaire un point noir, qu'il prit pour une tache. Lorsqu'il reconnut sa méprise, le point noir, qui était Mercure lui-même, était déjà près du bord du disque, et il ne put l'observer avec soin qu'au moment de sa sortie. Le calcul de Keppler, relativement à Mercure, se trouva ainsi vérifié par l'observation de Gassendi. Il n'en fut pas de même relativement à Vénus. Son passage sur le disque solaire fut vainement attendu le 6 décembre de la même année. Gassendi et beaucoup d'autres sans doute observèrent pourtant ce jour-là le disque solaire avec beaucoup de soin; mais le phénomène ne se produisit pas.

Gassendi, dont le nom se présente fréquemment dans l'histoire des sciences modernes, et qui a partagé avec Descartes la gloire d'avoir fondé en France une philosophie nouvelle, était le fils d'un paysan des environs de Digne. Il était né le

22 janvier 1592, dans la petite ville de Champtercier. Comme on remarqua de bonne heure en lui un goût déterminé pour l'étude et un développement intellectuel qui paraissait précoce, on chercha et on trouva le moyen de le mettre à même de faire ses études. Il n'avait que seize ans lorsqu'il fut nommé professeur de rhétorique à Digne, et, trois ans après, professeur de philosophie à Aix. Un peu plus tard, gràce à un privilége attaché au grade de docteur, il fut nommé à un canonicat. A l'àge de vingt-huit ans, il accompagna, dans un voyage en Belgique, François l'Huilier, maître des comptes à Paris. Enfin l'évêque de Lyon, frère du cardinal de Richelieu, le fit nommer à la chaire d'astronomie du Collège de France.

Gassendi était modeste et désintéressé, mais enclin à l'ironie. Bien que d'une constitution faible, il vécut jusqu'à l'àge de soixante-trois ans. Il composa des ouvrages considérables sur la philosophie, sur la physique, sur l'astronomie, etc. Il s'attachait à vérifier, par l'expérience et par l'observation, toutes les découvertes un peu importantes qui se faisaient de son temps. C'était un de ces esprits d'élite, qui, par leur grande pénétration et leur incessante activité, sont faits pour seconder puissamment l'activité féconde des génies créateurs. Il observa l'obliquité de l'écliptique et la libration de la lune, découverte par Galilée; il mesura le diamètre du soleil par une méthode qui, au fond, est la même que celle d'Archimède. Il mesura ainsi, par une méthode semblable à celle d'Hortensius, les diamètres des petites planètes. Sans se laisser intimider par la condamnation de Galilée, il défendit dans des Lettres, le système de Kopernik. Il publia les biographies de Peyresc, Purbach, Regiomontanus, Kopernik et Tycho-Brahé, travaux que nous avons cités dans les volumes précédents de cet ouvrage. Les œuvres de Gassendi, remplies de recherches. curieuses, forment six volumes in-folio.

En Hollande, Godefroi Vendelinus fit un grand nombre d'observations astronomiques. Il se trompa souvent, mais ses travaux ne furent pas inutiles aux progrès de la science. Il établit d'une manière formelle, la variation de l'écliptique, en comparant les observations des anciens avec celles des modernes. Mais il se hâta un peu trop de conclure de ses calculs la période et la quantité de cette variation. La parallaxe du

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