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Ce système, comme nous le verrons, est un vitalisme hippocratique.

Par sa fortune et par sa haute naissance, Van Helmont aurait pu prétendre aux titres et aux honneurs. Mais un penchant invincible l'entraînait, contre la volonté de ses parents, dans la carrière des sciences. Il ne voulait ni arriver à la fortune, puisqu'il était assez riche, et que d'ailleurs il n'eût tenu qu'à lui d'entrer, sans se donner beaucoup de peine, dans la carrière des emplois lucratifs, alors ouverte dans les Flandres à toutes les grandes familles; ni se servir de la science pour arriver à une brillante renommée, car une foi religieuse, ardente et sincère, ne lui permettait même pas de concevoir une telle ambition. Le but qu'il s'était proposé était infiniment plus élevé et plus noble. Il voulait se mettre en possession de tout le savoir humain, pour se rendre utile à ses semblables. Il ne trouvait pas que, pour se consacrer réellement au bien de l'humanité, ce fût assez d'embrasser la vie religieuse. Une âme tendre et nourrie des préceptes d'un catholicisme ardent, dit le docteur Michéa, avait décidé de sa vocation pour l'étude de la médecine. C'est par un songe que cette vocation lui fut suggérée. Un jour, se trouvant en prière, il conjurait Dieu de lui inspirer le meilleur moyen d'être utile à ses semblables. Il tomba alors, peu à peu, dans un sommeil extatique, et c'est en ce moment. que sa vocation lui fut révélée par un avis d'en haut.

Van Helmont raconte ce songe en ces termes :

« Je vis toutes les choses sous leur aspect réel, en d'autres termes, semblables au chaos le plus informe, ce qui me causa une émotion pénible. Puis j'entendis la conception d'une parole qui signifiait ces mots : Tout ce que tu regardes n'est rien, tout ce que tu fais est moins que rien, à côté de la puissance du Très-Haut. Celui-ci connaît la destinée de toutes les choses: quant à toi, pense à ton salut. Enfin, de la conception de cette parole émanait l'ordre de me faire médecin, et la promesse que l'archange Raphaël viendrait quelquefois m'assister de ses conseils (1). »

La mère de Van Helmont, Marie de Stassart, était vivement contrariée de voir son fils déroger à sa noblesse, au point de se livrer à l'exercice de la médecine. Mais Van Helmont, per

(1) Studia autoris, traduction du docteur Michéa (Gazette médicale de Paris, 1843). 25

T. IV.

suadé que c'était Dieu lui-même qui lui prescrivait d'entrer dans cette carrière, ne se laissa détourner de sa voie par aucune considération.

Van Helmont ne pouvait méditer longtemps et profondément sur un sujet, sans tomber peu à peu dans une sorte d'extase, ou de sommeil intellectuel (somnium intellectuale). Dans cet état, il avait ces songes, ces visions, ces idées intuitives, qu'il se plait à rapporter avec détail, et dont il s'inspirait. Il raconte, par exemple, qu'un jour, s'étant demandé si la médecine n'est pas une science vaine, les longues réflexions auxquelles il se livra, pour résoudre cette question, le firent tomber dans une sorte de sommeil extatique, et il eut alors un songe intellectuel:

« Je vis mon âme, dit-il; elle avait la forme humaine; mais elle n'était que d'une médiocre étendue, et ne présentait aucun des caractères qui distinguent les deux sexes. Une vive lumière, qui n'avait rien d'analogue à ce que nous connaissons dans notre monde sublunaire, et en comparaison de laquelle la lumière de notre soleil n'est qu'un amas ténébreux, vint tomber sur mon âme et se mêler à sa nature. Dès lors, j'eus une idée claire de l'union de l'esprit avec le corps, et je sus quel est celui de ces deux éléments qui produit l'autre. »

Il ajoute plus loin:

« Dans un autre songe intellectuel, je vis un arbre de la plus grande beauté; sa prodigieuse élévation et sa vaste circonférence, qui embrassait presque tout l'horizon, me jetèrent dans un profond étonnement. Il était couvert d'une infinité de fleurs odorantes qui, par l'éclat et l'extrême variété de leurs teintes, offraient à la vue le plus agréable aspect. Parmi ces fleurs, on en distinguait présentant tout à la fois des fruits au-dessus et des bourgeons au-dessous. Je voulus en cueillir une; mais elle fut à peine séparée de sa tige, qu'aussitôt son odeur, sa couleur et sa forme s'évanouirent, et, au même instant, l'esprit de cette vision me fut révélé. »

Si l'on connaissait parfaitement la vie intime des grands hommes, on serait peut-être étonné d'apprendre qu'un certain nombre d'entre eux se sont plus ou moins inspirés de leurs songes, à quelque époque de leur vie. Cardan se sentait éclairé, dans ses travaux mathématiques, par les songes extatiques auxquels il était sujet. Newton est parvenu ainsi à résoudre plus d'un problème, et Descartes nous apprend lui-même qu'il ne conçut le plan de sa méthode analytique qu'après trois songes consécutifs.

De retour de ses voyages, Van Helmont se retira dans sa terre de Vilvorde, à deux lieues de Bruxelles. Il se maria; car le mariage lui paraissait être l'état le plus favorable à l'accomplissement du dessein, qu'il avait conçu, de changer la face de la médecine. Il épousa une riche héritière, Marguerite van Ranst, fille de Charles van Ranst et d'Élisabeth de Halmale. Il s'alliait ainsi à une des familles les plus puissantes du pays, la famille de Mérode.

<< Parmi les huit quartiers de noblesse paternelle qu'il eut à produire, dit M. Cap, figuraient les noms de Van Helmont, de Stassart, de Renialme, de Van Ranst, de Vilain et de Mérode. Ce sont les armes de ces ancêtres que l'on voit, avec les portraits de J.-B. et de F. Mercure, en téte des trois éditions des œuvres de Van Helmont données par son fils, à Amsterdam (1). »

Marguerite van Ranst se montra la plus dévouée des épouses. Van Helmont en eut plusieurs enfants, dont quatre moururent à la fleur de l'àge. L'un de ses fils, François Mercure, baron de Van Helmont, fut l'éditeur des œuvres de son père, et composa lui-même quelques ouvrages assez bizarres. Une de ses petites filles fut chanoinesse de Sainte-Gertrude, à Nivelles.

Van Helmont passa trente années dans sa solitude seigneuriale de Vilvorde. Renfermé dans son laboratoire, il employait la plus grande partie du jour à étudier les propriétés des minéraux et celles des plantes. Il était sans doute dirigé quelquefois dans ses recherches par une sorte d'intuition due à l'excès de son tempérament nerveux; ce qui ne l'empêchait pas de procéder presque toujours par l'expérience et par l'observation: c'est ainsi qu'il enrichit la thérapeutique et la chimie d'une foule de préparations nouvelles et précieuses.

Bientôt la réputation du savant médecin de Vilvorde se propagea dans toute la Belgique, et de là dans les pays étrangers. On voyait tous les jours arriver chez lui quantité de malades. de tous pays; qui venaient le consulter.

<«< Il refusa, nous dit le docteur Rommelaere, les fonctions honorifiques que plusieurs souverains de l'Europe vinrent lui offrir. L'électeur de Cologne, Ernest de Bavière, l'appela en vain auprès de lui, pour étre son médecin. L'empereur Rodolphe II, et plus tard ses successeurs,

(1) Études biographiques, in-18. Paris, 1857, t. II, p. 115.

Mathias et Ferdinand II, ne furent pas plus heureux; ils ne purent le décider à venir se fixer à Vienne, malgré les avantages et les honneurs qu'ils voulaient lui accorder. Van Helmont refusa toutes ces positions, afin de pouvoir s'adonner tout entier à l'étude de la médecine et au soulagement des pauvres souffrants (1). »

En 1618 il arriva à Van Helmont une aventure fort singulière, et que tous les partisans de l'alchimie rapportent dans leurs ouvrages, ou invoquent comme la preuve la plus évidente de l'existence de la pierre philosophale. Un adepte de la philosophie hermétique fit remettre entre ses mains la véritable pierre philosophale, et Van Helmont, faisant usage, seul et sans témoin, de cet arcane merveilleux, réussit à transformer le mercure en or. Voici le fait tel que Van Helmont l'a raconté.

Il se trouvait un jour dans son laboratoire, lorsqu'on lui annonça la visite d'un étranger, qui refusait de dire son nom, mais demandait seulement à être introduit près de lui, pour lui révéler un important secret, de l'ordre scientifique. L'inconnu, ayant été admis dans le laboratoire, tira d'un papier une substance, à peine visible, tant elle était petite, et qui ne pesait, en effet, qu'un quart de grain (6 milligrammes). Il déclara que c'était la pierre philosophale, ajoutant qu'elle était envoyée à Van Helmont par un adepte, qui, étant parvenu à la découverte du secret suprême de la philosophie hermétique, désirait convaincre de la réalité de cette découverte l'illustre chimiste dont toute l'Europe appréciait le génie.

Après le départ de l'inconnu, Van Helmont exécuta l'expérience prescrite. Il chauffa dans un creuset 8 onces de mercure, et projetant sur le métal la poudre enchantée, il retira du creuset, après le refroidissement, un globule d'or.

On ne peut mettre en doute aujourd'hui, que, grâce à une supercherie adroite, grâce à quelque intelligence secrète avec les gens de la maison, l'adepte inconnu n'eût réussi à faire mêler, par avance, de l'or dans le mercure ou dans le creuset dont Van Helmont fit usage. Mais il faut convenir que cet événement, tel qu'il dut être raconté par l'auteur de l'expérience, était un argument sérieux à invoquer en faveur de la pierre philosophale. Van Helmont, le chimiste le plus habile de son

(1) Mémoire sur Van Helmont, couronné par l'Académie de médecine de Belgique, en 1867.

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VAN HELMONT REÇOIT DANS SON LABORATOIRE UN ALCHIMISTE QUI LUI PRÉSENTE

LA PIERRE PHILOSOPHIALE

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