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de-sac, dont il ne sait comment sortir. A l'extrémité du labyrinthe se trouvent deux grandes salles. D'après l'inspection des lieux, et se fondant sur l'existence, dans les environs, de grottes à peu près semblables, Tournefort conclut que ce labyrinthe n'est pas tout simplement, comme l'avait dit Bacon, une ancienne carrière de pierres, mais une grotte naturelle, que l'homme n'a fait que rendre plus praticable à certains endroits. Après cette excursion, Tournefort, ayant appris que l'on allait faire la récolte du labdanum, drogue médicamenteuse fort en usage de son temps, se rendit au village de Melidani. Malgré la défense, faite aux Grecs, de lui donner aucun renseignement à ce sujet, il parvint, à prix d'argent, à se faire montrer le procédé de préparation de cette substance, et à acheter même l'instrument qui sert à la recueillir. C'est une espèce de martinet, à lanières plates, avec lequel on fouette les feuilles de l'arbre; le labdanum se colle aux lanières, que l'on racle ensuite pour en retirer la substance.

Tournefort parcourut quelques villages de ce pays, recueillant toutes les plantes rares qu'il y rencontrait. Enfin, il traita avec le patron d'une barque qui se rendait à Nègrepont, et descendait à l'île de l'Argentière, que les Grecs nomment Chimolos.

C'est une petite île de dix-huit milles de circonférence, composée d'un village et d'un petit port. Le sol est presque stérile, car l'eau y manque totalement. On y trouve d'anciennes mines d'argent, abandonnées par les habitants, de crainte des exactions des Turcs. Cette île était autrefois le rendezvous des corsaires qui venaient y dépenser en débauches le fruit de leurs rapines. C'est là que se trouvait la fameuse terre cimabuée, à laquelle les anciens attribuaient tant de vertus médicinales, et qui n'est qu'une espèce de carbonate de chaux, mélangé de matières argileuses.

Tournefort fit voile ensuite vers l'île de Milo, située à une demi-lieue de l'Argentière, et l'une des îles les plus fertiles de l'archipel grec. Le sol est une roche volcanique; on y rencontre, à chaque pas, de petits cratères, d'où s'échappent des vapeurs sulfureuses. Le soufre, que l'on trouve en grande quantité dans le sol, constitue une des branches principales du commerce des Miliotes.

De là, Tournefort passa à Siphante. Cette île était célèbre dans l'antiquité par ses mines d'or et d'argent; mais on trouve à peine aujourd'hui des traces de ces métaux. Le minerai de plomb y est très-commun, car on le rencontre presqu'à fleur du sol. Tournefort raconte que plusieurs tentatives d'exploitation de ce minerai avaient été faites inutilement. Des marchands juifs, dit-il, vinrent de Constantinople, pour examiner ces minerais. Mais les habitants, craignant de voir les Turcs leur imposer des travaux supplémentaires pour l'exploitation de ces mines, corrompirent le capitaine de la galère qui ramenait les marchands, avec leur chargement de minerai; et celui-ci fit couler le bâtiment, avec sa cargaison. Les mêmes marchands juifs ayant entrepris, plus tard, une nouvelle expédition, ce fut cette fois un corsaire français qui se chargea de couler, à coups de canon, la galère qui revenait à Constantinople. Dès lors, ces tentatives du commerce ne furent plus renouvelées.

De Siphante, Tournefort se rendit à l'île d'Antiparos, dont la grotte fut de tout temps si célèbre.

L'ile d'Antiparos n'est qu'un rocher de seize milles de circonférence, habité ar 60 ou 70 familles turques. La grotte s'ouvre, à l'extérieur, par une caverne assez large; mais elle forme bientôt un couloir tellement bas que l'on est forcé de ramper sur le ventre pour pouvoir y pénétrer. Après avoir franchi. en marchant sur une échelle jetée en travers, un précipice affreux, on arrive dans un splendide palais souterrain. C'est une cavité longue de 150 mètres, haute de 40 et large de 50. La voûte, très-élevée, est ornée de festons calcaires affectant les formes les plus variées. On remarque au fond une espèce de pyramide, que l'on nomme l'autel depuis que le premier explorateur de cette grotte, M. de Nointel, ambassadeur de France, y fit célébrer la messe, en 1673. Cet autel est orné d'une multitude de pétrifications cristallines, en forme de fleurs, de troncs d'arbres et de feuilles. Toutes les parois de cette grotte sont revêtues d'aiguilles plus blanches que l'albâtre, et qui, par leurs cannelures élégantes, ressemblent à de riches draperies.

Après avoir parcouru dans toute son étendue, la grotte d'Antiparos, et noté toutes les merveilles qu'elle offrait à sa vue, Tournefort passa à l'île de Paros. Il débarqua, le 2 septembre,

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au port de Parecchia, bati sur l'emplacement de l'ancienne ville de Paros. Les ruines de cette cité servent de carrière de pierres aux Grecs et aux Turcs, qui vont y chercher des matériaux pour construire leurs maisons, de sorte qu'il ne reste plus rien aujourd'hui de l'ancienne capitale des îles Cyclades. Tournefort visita aussi les immenses carrières de Paros, dont on retirait le marbre si célèbre dans l'antiquité grecque.

L'île de Naxos, dans laquelle Tournefort se rendit ensuite, est très-fertile; il y fit une récolte abondante de plantes nouvelles.

Le 15 septembre, il mit à la voile, et passa successivement à Stenofa et à Nicouria. Son intention était de se rendre à Pathmos, mais une tempête le força de relâcher à Amorgos. C'est un rocher qui n'a que 36 milles de circonférence, mais dont la flore est assez variée. Il s'arrêta au couvent de la vierge, qui fut fondé, dit-on, par l'empereur Alexis Comnène, et qui était occupé par cent moines grecs.

Ce monastère avait l'aspect d'une forteresse. On y pénétrait par une échelle, qui conduisait à une petite porte doublée de fer, donnant accès à l'intérieur. Dans la première salle étaient rangées en bon ordre des massues, dont un seul coup aurait suffi pour tuer un bœuf.

On ne manqua pas de montrer à notre voyageur certaine urne miraculeuse qui se vidait et se remplissait d'elle-même à quelques époques de l'année. La surveillance continuelle du gardien de cette relique, empêcha Tournefort de bien approfondir ce mystère; mais il supposa que le miracle était dû simplement au débordement du réservoir d'une petite source qui se trouve au-dessus, et dont le trop-plein pénétrait dans l'urne, par une fente située au bord du réservoir. Les habitants du pays vont consulter cet oracle hydraulique avant d'entreprendre une affaire importante. Si l'eau est plus basse que d'ordinaire, l'issue du projet sera fatale; si, au contraire, le niveau est plus élevé, le succès couronnera l'entreprise. La superstition est de tous. les temps et de tous les pays!

Tournefort ne fit que passer dans les îles de Caloyero, Cheiro, Skiato, Brachia, Nio, Policandre; mais son séjour fut plus long à l'île de Santorin, cette même ile qui, de nos jours, c'est-à-dire en 1866, a été le théâtre d'une éruption volcanique

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