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procès intenté à un vieil ecclésiastique, Peacham, pour un sermon qu'il n'avait jamais prononcé, fut encore l'œuvre de Bacon. Le vieux prédicateur alla finir ses jours dans les fers.

Il serait trop long de citer d'autres faits de la même nature. Pour caractériser sa conduite et sa façon de penser, il nous suffira de rappeler un mot de Bacon lui-même. Le grand chancelier, lord Ellesmere, était alors très-malade. Bacon, sans attendre davantage, écrivit au roi, pour demander sa place, et il ajoutait que ce qu'il pouvait lui offrir, c'était gloria in obsequio (de chercher sa gloire dans l'obéissance). C'était le mot honteux d'un ami de Séjan, qui voulait se justifier devant Tibère, et il résumait à merveille l'avilissement d'esprit de notre ambitieux personnage.

Lord Ellesmere ne mourut pas; mais le roi, se souvenant des promesses de Bacon, le nomma, en 1616, membre du conseil privé, tout en lui laissant sa place de juge.

C'est à cette époque que Bacon fit au roi une proposition, qu'il renouvela plusieurs fois, mais qui ne fut jamais acceptée : celle de faire un code des lois anglaises. Ce projet, s'il avait été adopté, aurait été devant la postérité le seul titre de gloire du roi Jacques Ier.

L'ambition de Bacon grandissait à mesure qu'elle était satisfaite. Il voulait absolument devenir chancelier, comme l'avait été son père, et comme la reine Élisabeth le lui avait prédit dans son enfance. Le chemin le plus sûr pour atteindre au but si désiré, c'était de se concilier la protection du nouveau favori, le duc de Buckingham. Ce dernier parut flatté de ses hommages, et Bacon s'empressa, en retour, d'offrir ses conseils partout où ils étaient ou n'étaient pas nécessaires. Il composa, à l'usage de son protecteur, un petit Traité de la pratique du gouvernement.

Il obtint, pour sa première récompense, le bonheur de se venger de son ennemi constant, de sa bête noire, sir Édouard Coke. La grande réputation d'Édouard Coke, comme jurisconsulte, semblait le désigner à la succession de lord Ellesmere. Aussi Bacon fit-il tout ce qui était en son pouvoir, pour le rendre suspect au roi. Il fit comprendre à Jacques Ier le danger qu'il y aurait à confier le grand sceau à un homme que son inflexible et constant amour de la justice avait rendu populaire.

La résistance que sir Édouard Coke avait opposée, en plusieurs circonstances, aux volontés du roi, en sa qualité de grand juge, donnait beaucoup de poids aux dénonciations de Bacon. Sir Édouard Coke fut accusé d'excès de pouvoir: on lui reprocha des doctrines contraires aux prérogatives royales. Bref, il fut cité devant le conseil privé, et contraint d'entendre, à genoux, la lecture d'une sentence qui le privait de la plupart de ses fonctions. Bacon reçut, à cette occasion, le titre de chancelier du duché de Cornouailles.

Le grand chancelier, lord Ellesmere, était épuisé par les fatigues et la maladie. En 1617, il rendit au roi le grand sceau. Jacques Ier conféra aussitôt ce titre à François Bacon. La cérémonie publique dans laquelle il fut investi de cette haute dignité, objet des désirs de toute sa vie, se fit avec une grande pompe, et exalta son âme orgueilleuse. On prétend que le nouveau chancelier s'engagea, selon l'usage, à servir, sur les émoluments de sa nouvelle charge, une pension au duc de Buckingham, à la faveur duquel il devait une élévation si ardemment désirée.

II

Bacon s'empressa de quitter son humble logis de Gray's-Inn, pour le palais de Westminster. Pendant le déménagement, qui se fit avec un grand éclat, il fit porter devant lui le grand sceau. Un de ses collègues de Gray's-Inn s'écria, à la vue de ce spectacle Nous le verrons bientôt retourner en plus modeste équipage!"

Bacon, pour célébrer sa nouvelle dignité, donna des fêtes splendides. Il y déploya un luxe princier, que son ami, Ben Johnson, a décrit avec enthousiasme. Pendant un voyage du roi Jacques en Écosse, Bacon résida à White-Hall, où il tint une véritable cour. Il recevait les ambassadeurs, et donnait des banquets dans les appartements du roi.

Ébloui par le prestige de la grandeur, il oublia bientôt toute

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JACQUES 1, ROI D'ANGLETERRE, NOMME FRANÇOIS BACON GRAND CHANCELIER DU ROYAUME

réserve, et s'engagea dans une intrigue de cour dirigée contre Buckingham, intrigue dont nous omettons le récit, mais qui échoua, et dont il sortit l'esclave passif, l'instrument aveugle de Buckingham.

Bacon avait annoncé l'intention de n'appliquer le grand sceau à aucune patente de monopole; mais comment refuser quelque chose au duc de Buckingham, dont il avait été forcé d'implorer le pardon? Avant d'obtenir de Buckingham une audience, il. avait été obligé d'attendre pendant plus d'une journée, dans une antichambre, assis parmi les valets, sur une caisse de bois, avec le grand sceau à ses côtés. Ayant été enfin reçu, il s'était jeté aux pieds du favori. Après cette scène, on conçoit quelle était désormais sa situation vis-à-vis de Buckingham.

Son obéissance fut, d'ailleurs, récompensée par de nouvelles dignités. En 1618, il fut nommé lord chancelier, puis pair d'Angleterre, avec le titre de lord Verulam. Ce nom avait été emprunté à celui d'une ancienne ville romaine, dont les ruines appartenaient à la terre de Gorhambury. Trois ans plus tard, il fut créé vicomte. de Saint-Alban, du nom d'une ancienne. abbaye voisine.

Bacon se montra reconnaissant, à sa manière, de tant de faveurs, lorsqu'il eut à juger sir Walter Raleigh. Ce navigateur célèbre avait été condamné à mort, douze ans auparavant; mais on l'avait laissé vivre dans la prison de Tower, où il s'occupait de recherches scientifiques. Pressé par des besoins d'argent, Jacques Ier se souvint du hardi navigateur qui lui avait promis les plus riches mines aurifères de l'Amérique du sud. Il le tira de sa prison, et lui confia une expédition, chargée de rapporter les trésors promis. Sir Walter Raleigh ne trouva point l'Eldorado annoncé, et revint en Angleterre, après avoir eu des conflits assez fàcheux avec les Espagnols. Le roi, mécontent de sa conduite, le fit mettre en accusation. Alors les juges, Bacon à leur tête, déclarèrent que l'arrêt de mort, porté seize ans auparavant, contre Walter Raleigh, était toujours valable, et sir Walter Raleigh eut la tête tranchée!

Bacon montra la même complaisance dans le procès du procureur général Yelverton, son ancien ami et collègue, accusé d'avoir inséré dans une charte de la Cité de Londres, des clauses contraires à la prérogative royale. Grâce au zèle avec lequel

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