Page images
PDF
EPUB
[graphic]

GALILEE ABJURE DEVANT LES JUGES DU SAINT-OFFICE LA DOCTRINE DU MOUVEMENT DE LA TERRE

On a beaucoup discuté pour savoir si Galilée, pendant le cours de son procès et après son dernier interrogatoire, fut présenté à la torture. Il est à peu près démontré qu'il ne fut pas soumis à cet affreux supplice (1), mais il est probable qu'il en fut menacé. C'est ce que porte à croire la dernière phrase, que nous citerons tout à l'heure, de son quatrième interrogatoire. Sans la protection de son souverain, le grand-duc de Toscane, très-efficacement secondé par l'amitié chaleureuse de l'ambassadeur Niccolini, il n'eût point échappé à l'examen rigoureux. C'était sur le chef de l'intention que portait le quatrième et dernier interrogatoire. Or, le Saint-Office, pour obliger un accusé à déclarer sa pensée réelle, avait quelquefois recours à la torture (alias devenietur ad torturam). Si Galilée ne fut pas soumis à la torture, ce ne fut qu'en considération. de son attitude humiliée et résignée et par égard pour la cour 'de Florence.

Galilée ne fut donc torturé que moralement. Ajoutons qu'on n'eût point manqué de recommencer son procès et de le condamner alors au supplice du feu si, après avoir abjuré, à genoux, la doctrine de la mobilité de la terre, il eût osé, en se relevant, murmurer les paroles que lui attribue la tradition: E pur si muove (Et pourtant elle se meut!) Cette vaine bravade a été imaginée longtemps après l'événement. Elle s'accorde mal avec la fin du dernier interrogatoire de Galilée :

[ocr errors]

Je ne professe plus l'opinion de Kopernik depuis que l'ordre m'a été signifié de l'abandonner. Au surplus, je suis ici dans vos mains, faites de moi ce que vous voudrez! "Le bûcher qui avait consumé, le 17 février de l'année 1600, Jordano Bruno, accusé d'hérésie, et qui avait dévoré, en 1625, les restes du savant physicien astronome Antoine de Dominis, arrachés à

(1) Tous les doutes sur cette question ne pourront être éclaircis que lorsque la cour de Rome aura consenti à publier, ce qu'elle a toujours refusé de faire, toutes les pièces du procès de Galilée, qui existent dans les archives du Vatican, en un volume manuscrit. Ce volume fut apporté à Paris en 1813, et Napoléon Ier en avait fait commencer une traduction, qui ne fut pas terminée. Le manuscrit fut rendu à Rome en 1815, sur la promesse qu'il serait publié; mais cette promesse n'a pas été tenue. Mgr Marini n'a publié, en 1850, que quelques pieces et des fragments, souvent inexacts. Jusqu'à la publication entière de ces documents, il sera permis de soutenir le pour et le contre sur la question qui fait l'objet de cette note, c'est-à-dire sur le fait de la torture de Galilée à la suite de son quatrième interrogatoire.

la sépulture dans le château Saint-Ange, où il était mort prisonnier, ce même bûcher était encore fumant au Champ-deFlore, et il n'aurait fallu, pour le rallumer, qu'une parole imprudente du malheureux astronome, toujours sous la main des familiers et des juges du Saint-Office.

Si cette parole inutile « E pur si muove» n'a pas été prononcée par le malheureux vieillard, du moins Galilée témoignat-il, par la conduite du reste de sa vie, que la bouche et non le cœur avait prononcé ce désaveu de sa gloire; et s'il ne fut point soumis à l'opération matérielle de la torture, il fut condamné, pendant son procès et ensuite jusqu'à l'heure de la mort, à une torture morale, assurément plus dure et plus poignante pour un homme de génie qu'une passagère souffrance physique.

On a vu que la sentence du Saint-Office portait la prohibition du livre, et la condamnation de Galilée à la prison pendant tout le temps qu'il plairait à Sa Sainteté. Le pape commua cette peine en une détention dans la villa Médicis.

Niccolini se livra aux démarches les plus actives pour obtenir du pape que le temps de la détention de Galilée à la Villa Médicis, fùt abrégé. Galilée avait adressé au pape une supplique dans cette intention.

Le pape accorda au condamné du Saint-Office la permission de se rendre à Sienne, près de l'archevêque Piccolomini, ami fidèle, qui lui avait fait, pendant son procès, ses offres de service.

Galilée partit de Rome, le 10 juillet 1633, pour se rendre à Sienne.

Piccolomini, quoique soumis lui-même aux ordres du Vatican, fit tous ses efforts pour adoucir la captivité du vieillard. Issu d'une famille illustre, l'archevêque Piccolomini savait tout ce qu'on doit de respect et d'égards au génie. Il avait, depuis sa jeunesse, une vive affection pour Galilée, auquel il témoignait la déférence d'un élève pour son maître.

Cependant, tout le plaisir que le savant Florentin eût pu éprouver chez un tel hôte, était empoisonné par la privation de la liberté. Il lui était interdit de sortir du palais de l'archevêque. Lorsque Piccolomini partit pour la villa où il allait, tous les ans, passer la belle saison, on refusa à Galilée la permission de l'y accompagner.

En revenant à la santé, le vieux astronome recouvrait toute sa force intellectuelle et reprenait peu à peu le cours de ses travaux scientifiques. Un jeune Florentin, Andrea Arrighetti, lui ayant soumis quelques problèmes de mathématiques, Galilée lui répond de Sienne, le 27 septembre, « qu'il a lu et relu avec plaisir ses démonstrations; que celles des deux premiers théorèmes l'ont étonné, et que le troisième théorème l'a tenu un instant dans la méditation et dans le doute, tant à cause de l'emploi d'une formule inusitée, que par suite de la fatigue de sa mémoire. Quant à lui, il peut dire que les entretiens qu'il a avec son très-honoré et très-bienveillant hôte lui procurent beaucoup de soulagement, et au milieu de tant de tristes. sujets de méditations, donnent à sa pensée une direction toute différente. Mais son chagrin lui paraît moins lourd, quand il songe à l'ancienne affection que lui gardent ses amis. »

Par un décret longtemps sollicité, le pape lui permit, le 1er décembre, de revenir dans sa patrie, et d'habiter sa maison de campagne d'Arcetri, près de Florence, à la condition qu'il y vivrait dans la solitude, qu'il n'inviterait personne à venir le voir, et ne recevrait pas les visites qui pourraient se présenter. Il lui était donc enjoint de demeurer au secret dans sa propre

maison.

Aucune pénitence ne pouvait être plus dure pour Galilée, car il aimait passionnément la société, et mettait au-dessus de tout le plaisir de converser avec des personnes dignes de l'entendre. Mais le pape s'était exprimé en termes formels : « Conceditur habitatio in ejus rura, modo tamen ibi ut in solitudine stet, nec venientes illuc recipiat ad collocutiones. » S'il eût contrevenu à cet ordre, Galilée se serait exposé à être de nouveau transféré à Rome, dans la prison du Saint-Office.

Aussi les lettres qu'écrivit le vieux astronome, prisonnier dans sa maison de campagne, sont-elles empreintes d'une mélancolie profonde. Nous ne pourrons en citer ici que de courts extraits.

Il raconte à ceux de ses amis auxquels il n'a pu, pendant longtemps, donner de ses nouvelles, son procès, sa condamnation. Le 28 juillet 1634, il écrit à Deodati, lui annonçant ses angoisses et la mort de sa fille bien-aimée.

- Ma prison définitive est cette villa, située à un mille de Florence. On 19

T. IV.

m'a défendu sévèrement d'aller dans la ville, de recevoir les visites de mes amis, et de les inviter à venir causer avec moi. J'ai vécu ici tranquillement. Je me rendais souvent dans un couvent voisin (San Matteo, couvent de franciscains, supprimé depuis). Là, deux de mes filles étaient religieuses. Je les aimais beaucoup, surtout l'aînée, qui joignait des facultés intellectuelles extraordinaires à une grande bonté de cœur, et qui m'était très-attachéc. Pendant mon absence, me croyant fort en danger, elle était tombée dans une profonde mélancolie qui avait détruit sa santé; elle fut enfin prise d'une violente dyssenterie qui, en six jours, lui fit quitter la terre. Je restai en proie à un chagrin indicible, chagrin aggravé encore par la circonstance que voici : Je revenais du couvent à la maison accompagné du médecin qui avait soigné ma fille. Il m'avertissait qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle ne passerait pas la journée du lendemain, ce qui eut lieu en effet. Arrivé chez moi, j'y trouvai le vicaire de l'inquisition qui me communiqua l'ordre du saint-office, venu de Rome, avec une lettre du cardinal Barberini, m'enjoignant de ne pas renouveler mna demande de rentrer à Florence, sans quoi, disait-on, je serais de nouveau enfermé dans la prison même du Saint-Office. C'était la réponse à la requête présentée par Son Éminence l'ambassadeur de Toscane, après mes neuf mois d'exil! J'en conclus que ma prison actuelle ne sera changée que contre la prison étroite qui, s'ouvrant tous les jours, est destinée à nous recevoir tous. >>

Cette lettre est trop longue pour que nous puissions la rapporter tout entière. Galilée dit à Deodati qu'il a la preuve que la fureur de ses ennemis, loin de s'apaiser, s'accroît tous les jours.

Une lettre qu'un étranger lui avait adressée à Rome, croyant qu'il y était encore, avait été écrite et remise au pape. Heureusement, elle ne contenait aucune réponse aux propres lettres de Galilée; il n'y était question que de ses Dialogues.

Ajoutez à cela, continue Galilée, d'autres tourments et de nombreuses infirmités corporelles qui, sans parler de mon grand âge, m'accablent tellement que la moindre fatigue m'épuise et me rend malade..... Vous serez assez bon pour me conserver l'affection de tous mes protecteurs de Paris, surtout celle du seigneur Gassendi que j'aime et que je vénère tant..... Vous me ferez aussi le plaisir de lui annoncer que j'ai reçu la dissertation du seigneur Martins Hortensius et que je l'ai lue avec un intérêt tout particulier (Livre sur le double mouvement de la terre). Vous recevrez, en même temps que la présente, les verres que m'a demandés le seigneur Gassendi pour son usage et pour celui de quelques autres personnes qui désirent faire des observations astronomiques. Ayez la bonté de lui faire remarquer, en les lui envoyant, que l'intervalle de verre à verre doit être à peu près égal à la longueur du fil qui les entoure, un peu plus long ou un peu moins, selon la vue de la personne qui s'en

sert. »

Il lui était permis de se promener un peu sur la riante col

Π

« PreviousContinue »