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et l'enseignement rétribué serait donné par des maîtres laïques dans presque toutes les écoles du pays.

Tel était l'ordre établi, et si cet ordre a été troublé, à qui la faute? Remarquez, d'ailleurs, que les congrégations enseignantes, qui sont l'œuvre providentielle de Dieu bien plus que celle des hommes, ne se multiplient tant de nos jours que parce qu'on a donné une fausse direction à l'enseignement. Voulez-vous les combattre efficacement? Rendez-les inutiles, en donnant sérieusement à l'enseignement laïque le caractère religieux qu'il doit toujours avoir. Au contraire, plus vous vous obstinerez à chasser la religion de l'école, plus vous rendrez les maîtres congréganistes nécessaires, et plus vous les persécuterez, plus vous leur préparerez des triomphes pour plus tard et même dans le présent.

Les maîtres laïques dignes de ce nom nous accordent cela volontiers. «Mais, en attendant, nous dit-on, vous faites valoir nos concurrents congréganistes à notre détriment. » C'est une erreur! Nous défendons énergiquement, il est vrai, les congrégations enseignantes contre les mameluks de la libre pensée. Si, dans la lutte, nous faisons valoir leur mérite et leurs succès, n'y sommesnous pas forcé par les calomnies qu'on leur prodigue? N'est-ce pas un acte de pure justice? Au surplus, nous affirmons que, s'il s'agissait de supprimer les maîtres laïques, nous les défendrions avec une égale énergie, et nous ne manquerions pas de raisons irréfutables. Quant à agir, dans les circonstances actuelles, au détriment des maîtres laïques, loin d'accepter ce reproche, nous le renvoyons, en l'accentuant, au parti révolutionnaire, et, à cet égard, nous prions ces honorables instituteurs de vouloir bien se placer avec nous en face de la situation, et d'examiner sans parti pris où sont leurs ennemis.

Les ennemis des maîtres laïques sont ceux qui introduisent dans leurs rangs des instituteurs sans foi, sans mœurs, sans dévouement, véritables fléaux qui déshonorent la profession et mettent les écoles laïques hors d'état de lutter avec celles des congréganistes.

Les ennemis des maîtres laïques sont ceux qui prétendent les livrer pieds et poings liés aux mains de l'État, faisant ainsi dépendre leur sort de toutes nos révolutions. Lisez plutôt :

« Intérieur à tous les préfets.

<< Conformément aux instructions que nous venons de recevoir de M. le ministre de l'instruction publique de Paris, vous êtes autorisé à faire, au point de vue politique et républicain, dans le per

sonnel des instituteurs, tous les changements que vous jugerez utiles. Pour les inspecteurs et recteurs, vous voudrez bien nous en référer, en nous envoyant des rapports avec pièces à l'appui, s'il y a lieu.

« Bordeaux, 13 janvier 1871.

« Signé, LEON GAMBETTA. >>

Les ennemis des maîtres laïques sont ceux qui veulent les soustraire à leur belle et paisible mission pour les mettre au service des passions anarchiques, et les condamner à n'être que les propagateurs des doctrines votées dans les loges maçonniques et dans les clubs.

Mais à quoi bon pousser plus loin cette recherche? Nous trouverions toujours les mêmes exploiteurs et les mêmes victimes. Nous venons de dire le mot qui résume tout les ennemis des maîtres laïques sont ceux qui les exploitent au profit exclusif de leurs passions ou de leurs rêves personnels.

Et que ces maîtres le sachent bien : la préférence dont on prétend les honorer n'est pour eux qu'une injure. La révolution les préfère uniquement parce qu'elle les croit plus souples à ses volontés que leurs concurrents.

<< Mais, dit-on, à la Chambre et ailleurs, les radicaux se préoccupent plus que leurs adversaires d'améliorer le traitement des maitres laïques! >>

Ce zèle leur coûte peu, et, en bonne justice, il ne devrait pas leur servir davantage.

De grâce, comprenez-en le motif. Les radicaux vous montreraient-ils tant d'intérêt s'ils n'espéraient vous gagner à leurs candidatures et à leurs doctrines? Ils vous traiteraient en ennemis! Et d'ailleurs, en retour des avantages matériels qu'ils font miroiter à vos yeux sans pouvoir vous les donner, qu'exigent-ils de vous? Le sacrifice de votre liberté de conscience, de toute indépendance d'esprit, de toute initiative: ils veulent faire de vous les porte-voix du naturalisme, de l'athéisme. Que devient votre dignité dans ce système?

Cependant, serait-il vrai que nous nous préoccupassions moins que les radicaux du sort des instituteurs? De fait, nos instituteurs ont vu leur position s'améliorer sous tous les gouvernements réguliers, et ils n'ont jamais rien reçu des gouvernements révolutionnaires. Quant à l'Église, elle leur fit une position honorable dans les temps où le monde ne leur donnait que fort peu d'estime, et ses dispositions à leur égard n'ont pas changé.

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L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE ET LES ÉCOLES CONGRÉGANISTES.

Nous demandons pour eux des traitements qui puissent satisfaire des hommes de valeur et permettre à l'administration de se montrer exigeante dans les choix. On pourra ainsi épurer le personnel.

Nous demandons encore pour eux une véritable autorité, qui leur manque aujourd'hui, dans la direction de leur classe. Un maitre sait mieux qu'un maire ou qu'un délégué cantonal comment on élève des enfants.

Nous voulons, enfin, soustraire l'enseignement à tous les calculs de parti, à toute influence politique, et le baser sur la religion, comme l'exigent absolument les intérêts des âmes et de la société.

Finissons par ce fait inattendu, qui nous semble répandre un jour nouveau sur la question. Nous le recommandons à toute l'attention de nos honorables instituteurs.

Dans un discours prononcé, il y a peu de jours, à l'ouverture du conseil supérieur de l'instruction publique, M. de Cumont nous dit : « Le recrutement des élèves de nos écoles normales a présenté, pendant ces dernières années, de sérieuses difficultés. » Le journal l'Éducation, no du 21 novembre dernier, nous apprend, de son côté, que, dans leur session d'août 1873, vingt-neuf conseils généraux1 ont constaté que leurs écoles normales étaient en décadence. Dans les unes ont était obligé d'admettre des candidats peu recommandables, parce qu'on n'avait pas le choix; dans les autres, on ne trouvait même pas assez de candidats pour remplir les vides. Le fait est grave assurément, et il se produit dans un tiers du pays, sous le ministère si fécond en promesses de M. J. Simon, après des améliorations notables apportées à la position des instituteurs, et alors que les maitres laïques sont le plus en honneur, etc. A quoi donc faut-il l'attribuer? Ah! la révolution a beau user de séduction, elle ne fera pas de maîtres. Au contraire, son souffle communique aux jeunes gens des goûts et des idées fort éloignés des fonctions de l'enseignement; sa politique tue les vocations. Allons-nous être appelés à dé-· fendre les maitres laïques contre le radicalisme, comme nous le disions ci-dessus? Assurément, nous devons le prévoir. La trilogie radicale obligation, gratuité et laïcité..., nous donne plus à craindre pour l'enseignement laïque que pour les écoles congréganistes. L'Abbé LESMAYOUX.

1 Ce sont les conseils généraux des départements suivants: Aisne, Allier, BassesAlpes, Bouches-du-Rhône, Charente-Inférieure, Cher, Côte-d'Or, Lure, Gers, Hérault, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loire, Loiret, Maine-et-Loire, Marne, HauteMarne, Mayenne, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Morbihan, Oise, Pyrénées-Orientales, Rhône, Saône-et-Loire, Seine-et-Oise, Var, Vaucluse, Yonne

LE LIVRE DES BELLES-MÈRES

I

L'IDÉAL DE VICTOR MARSAULT.

Il y a des hommes qui, tout en semblant voués par leur nature, par les circonstances, par leurs goûts mêmes, aux positions les plus modestes, s'acquittent néanmoins de leur tâche d'une manière si intelligente et si satisfaisante à tous égards, qu'on finit par les trouver supérieurs à d'autres plus brillants, mieux doués, mais qui, ayant pris un vol trop ambitieux, manquent de force et d'haleine pour continuer, et se perdent sur les hauteurs où ils se flattaient de planer à l'aise.

Constant Fauvel était un de ces hommes-là. Issu de parents honorables (son père et ses oncles avaient occupé des postes assez élevés dans la magistrature), mais quatrième ou cinquième enfant d'une famille nombreuse, il avait dû penser de bonne heure au choix d'un état, et c'était volontairement, et comme par vocation, qu'il s'était consacré à l'instruction publique. Après avoir fait de bonnes études, dont les résultats avaient été plus solides qu'éclatants, il était entré à l'École normale, et, au sortir de l'École, avait débuté dans la carrière universitaire en allant remplir au lycée de Douai les fonctions de professeur de quatrième. Là, il avait retrouvé une ancienne amie de sa famille, veuve d'un magistrat, madame de Fontillac, et ses deux filles, toutes deux également favorisées par la nature, mais inégalement partagées par le sort. L'ainée, Hermance, fille d'un premier lit, possédait deux cent mille francs qui lui venaient de son père; la seconde, issue du second mariage, et qui se nommait Valentine, ne possédait rien qu'une taille élégante et deux beaux yeux bruns à fleur de tête... Constant Fauvel s'éprit tout de suite de ces yeux-là, et pendant qu'Hermance choisissait, entre vingt partis, Va

lentine s'estima fort heureuse de devenir la femme du jeune professeur.

Constant Fauvel n'avait, du reste, rien dans sa personne qui s'opposât à ce qu'on l'aimât pour lui-même. De taille moyenne, il était très-fort et déjà un peu gros; mais il avait une bonne figure épanouie, de petits yeux vifs et spirituels, un sourire qui reflétait son âme... Valentine, qui, sans être régulièrement belle, jouissait, comme nous l'avons dit, de certains avantages physiques, aima son mari à la folie; et, chose rare, tout en l'aimant, elle apprit aussi à l'estimer.

Au moment où commence notre récit, Constant avait déjà quitté Douai pour monter en grade: il occupait la chaire de troisième dans un des premiers lycées de Paris. Le jeune ménage vivait à cette époque dans une aisance relative.

Ils étaient logés au cinquième étage d'une belle maison située dans une de ces nouvelles rues bien aérées qui avoisinent le Luxembourg. Le nid était charmant dans sa simplicité.

Un ami du mari venait quelquefois, entre neuf et dix heures, sonner à leur porte. Constant courait ouvrir Jui-même; car, à cette heure, la petite bonne était déjà couchée. L'ami prenait une tasse de thé avec un peu de rhum; il causait, il leur apprenait les nouvelles. C'était à la fois, pour le jeune ménage, un plaisir et un honneur de le recevoir; car Victor Marsault, ancien camarade de classe et collègue d'École normale de Constant Fauvel, et qui avait été aussi un instant son collègue dans l'Université, était devenu un des plus brillants journalistes de Paris. Avant qu'il eût atteint ses vingt-six ans, on avait voulu le porter à la députation, et il n'eût tenu qu'à lui d'arriver à une situation considérable; mais il avait préféré garder sa réputation d'homme d'esprit, et se contenter des vingt ou vingt-cinq mille francs qu'il pouvait se faire, bon an, mal an, avec sa plume. C'était d'ailleurs un fort joli garçon.

Constant Fauvel, revenant à Paris après quelques années passées en province, avait été très-flatté que son ami Victor, le grand Victor, comme on l'appelait quelquefois, moitié ironiquement, moitié sérieusement, eût daigné le connaitre encore, que dis-je? qu'il l'eût accueilli avec le même sans-gêne et la même cordialité qu'autrefois. Ce fut pour lui une vraie fèle, que la première visite qu'il reçut de son ancien condisciple. Constant était une de ces natures loyales, généreusement imprudentes, qui ne s'aperçoivent du danger que lorsqu'il est déjà trop tard pour s'y soustraire. Il avait vanté, exalté Victor à Valentine; il lui avait rebattu les oreilles du mérite de son ami. Elle ne l'avait donc vu qu'à travers un prisme, le front entouré d'une auréole; elle comprit et partagea l'admiration enthousiaste

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