Page images
PDF
EPUB

modérés, à la condition de n'être jamais oisifs, restent toujours les maîtres que d'exemples leurs annales nous en fourniraient en Angleterre ! Et puis, il y a dans notre humanité, surtout chez les nations comme la nôtre où tout est rapide, une loi de réaction faite pour rétablir l'équilibre dans les mouvements de nos multitudes, pour les ramener de leurs excès, pour corriger leurs désordres : le philosophe voit cette loi dans l'histoire; le politique la sent agir dans les masses plus ou moins lentement; il met en elle sa confiance et, selon l'heure, il en seconde l'action avec une énergie ou plus vive ou plus calme. Comptons-y donc. La monarchie peut se reposer à l'écart des vagues et des vents soulevés maintenant contre elle; ses voiles sentiront encore la faveur du ciel; elle retrouvera son chemin sur ces océans où elle a porté pendant quinze cents ans la fortune et le nom de la France. Elle est comme ce vaisseau, qui, pendant que l'eau est basse et qu'elle couvre le littoral de plus de fange que d'écume, se retire sur le promontoire le plus élevé du rivage pour dire de là, selon cette fière parole d'un étranger1: « J'attendrai que la mer soit assez haute pour me faire flotter. »

Proclamation de la république! tel est, au mépris de la légalité, de l'intérêt public et des traditions, le cri que les républicains et les radicaux ont eu pour mot d'ordre dans les élections municipales d'avant-hier. M. Gambetta, dans une lettre fastueuse, avait intimé à ses partisans de n'inscrire sur leurs listes de candidats que des noms de républicains: il a été obéi, jamais la populace d'Athènes ne fut plus docile à son Cléon; l'ostracisme a été impitoyable partout où les radicaux pouvaient joindre la force du nombre à celle de la discipline. M. Turquet a parlé de même pour la gauche lui aussi a répudié toute idée de conciliation; lui aussi a voulu que les conseils municipaux fussent élus pour proclamer la république. Mais, comme de coutume, et selon la loi que l'histoire et la fatalité même des choses indiquent également, cette union des républicains et des radicaux s'est rompue, partout où ce fragile lien d'un mot leur devenait inutile, dans toutes les localités où le titre de la république n'étant pas en conteste, c'était de la nature du régime que les deux partis avaient à disputer. On a vu, au conseil municipal de Paris, les radicaux profiter des dernières séances pour former tous les vœux illicites qui pourraient leur gagner le coeur de la multitude: laïcité de l'enseignement, salariat municipal, impôt progressif, amnistie de la Commune, aucune des utopies qui caressent les convoitises sociales, aucune des revendications qui flattent les haines populaires n'a été oubliée parmi ces honteuses et dangereuses séductions du radicalisme; ne fallait-il pas, à M. Floquet et autres, les appâts de ces promesses pour mériter les suffrages de Paris? Ces programmes énoncés à l'Hôtel de Ville, les

1 Citation d'un écrivain allemand faite par M. Thiers dans un de ses discours de 1846.

candidats et les clubs du radicalisme les ont complétés, en déclarant incompatibles les fonctions de député et de conseiller municipal. Mais les républicains pouvaient-ils accepter ces principes ou agréer ces chimères? Difficilement. Le Journal des Débats et le Temps ont plus ou moins timidement fait leurs réserves. C'était l'épreuve inévitable. Quelques républicains, par lassitude ou par dégoût, ont retiré leurs candidatures, comme M. Vautrain; d'autres, bien que trahis par la popularité, ont résolu de lutter, comme M. Beudant. En définitive, voilà que se brise, selon la prophétie mille fois entendue en vain par le centre gauche, cette étroite alliance qu'on célébrait récemment comme une amitié parfaite et comme une entente éternelle.

Les politiques effrayés du centre gauche ont eu beau crier aux électeurs que donner leurs votes aux candidats de tant de folies ou de fureurs, c'était jeter la république de M. Casimir Périer dans les risques où M. Barodet compromit jadis la république de M. Thiers. Ces avertissements ont été méconnus. Et comment s'en étonner? Le suffrage universel, que M. le comte Jaubert, il y a quelques jours, proposait de restreindre au moins selon les conditions prescrites par les législateurs républicains de 1793, le suffrage universel est plus qu'un instrument de travail politique pour le citoyen, c'est une arme de destruction sociale pour le prolétaire : quand un homme a une fois cru que son vote a le pouvoir de changer sa fortune en renouvelant la société, comment voulez-vous que le moindre tribun du radicalisme ne conduise pas docilement jusqu'à l'urne cet homme avide d'assouvir son appétit de félicité? Comment voulez-vous qu'il n'abuse pas cet homme crédule, à qui on a fallacieusement assuré que son bulletin est un tout-puissant moyen de bonheur? Non, ne nous étonnons pas qu'à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, partout où le radicalisme exploite cette faim sociale dans une grande population d'ouvriers, les radicaux aient été victorieux dans ces élections. Constatons, toutefois, par une juste compensation, que dans la plupart des villes où, comme à Orléans, les conservateurs ont su concilier leurs forces, unir les modérés de tous les partis, limiter le débat dans le cercle des affaires municipales, faire leurs choix avec tolérance et rivaliser d'activité avec leurs adversaires, ils ont eu l'avantage dans la lutte. Exemple de discipline et d'énergie que cette antique et glorieuse cité d'Orléans n'aura pas inutilement donné, nous l'espérons, au milieu des villes rouges qui l'entourent à son horizon.

Loin de nous la pensée de vouloir, avec la joie malfaisante de l'ironie, énumérer méchamment au centre gauche les illusions auxquelles il a dû tant de mécomptes, dans ces élections municipales comme dans celle de l'Oise! Depuis un mois, il a éprouvé la vérité de nos craintes. Les radicaux n'ont pas même attendu, pour diviser la république en deux, l'heure où le titre en serait définitivement conquis par les trois gauches. Voici la république de M. Casimir Pé

rier les radicaux la conspuent; M. Lockroy l'appelle « la république des dupes; » M. Louis Blanc démontre que ce n'est pas une république. Voilà la république de M. Gambetta: déjà M. André Rousselle en vent chasser M. Levavasseur à Beauvais; déjà M. Germa en veut proscrire M. Beudant, à Paris; déjà même, à Marseille, M. Labadié, devenu suspect d'on ne sait quel modérantisme, s'en voit exclu par les radicaux, qui le chassent du conseil municipal. Que serait-ce de ces deux républiques, le jour où, possédant l'une et l'autre le nom légal qu'elles envient, ce serait le partage des choses, c'est-à-dire des doctrines et des ambitions, qu'elles auraient à faire? Est-ce que l'une ne serait pas la terre d'exil de l'autre? Combien cette alliance du centre gauche avec l'extrême gauche, si ingénument glorifiée par M. Léon de Malleville, est même difficile avec la gauche, on l'aura constaté dans les élections municipales d'Orléans et de Clermont: quand M. Robert de Massy et M. Bardoux y ont essayé, en effet, de tempérer l'ardeur de leurs amis de la gauche, quand ils les ont priés de ne pas frapper d'exclusion des conservateurs connus pour leurs bons services municipaux, les sages conseils de M. Robert de Massy et M. Bardoux ont-ils été écoutés? Nullement ; et pour ne pas associer leurs propres noms à des actes d'intempérance politique et d'exclusivisme qu'ils désapprouvaient, ils ont dû abdiquer toute candidature. Nous le répétons loin de nous la pensée de railler ces tristesses! Mais quoi! le centre gauche attendra-t-il de plus dures et de plus outrageantes violences pour se séparer de ces amis dont Pétion et Vergniaud se sont séparés trop tard? Attendra-t-il d'autres enseignements plus amers, pour comprendre que c'est de notre côté, parmi les anciens compagnons de la plupart de ses doctrines libérales et de ses sentiments conservateurs, que les transactions sont les plus faciles, les rapprochements les plus naturels, et l'alliance la plus nécessaire?

A l'étranger, aucun des faits qui mériteraient l'attention de la France n'a encore son achèvement. Le parlement que l'Italie vient d'élire avec tant de nonchalance politique, s'est rassemblé hier: on n'y connaît pas encore avec précision l'état nouveau des partis. En Espagne, les républicains ont forcé les carlistes à lever le siége d'Irun; mais, soit impuissance, soit stratégie, peut-être pour les secrets desseins d'ambition personnelle qu'on prétend découvrir en lui, Serrano a donné l'ordre à Laserna de ramener ses troupes sur l'Ebre, dans leurs quartiers d'hiver: le combat d'Irun n'aura donc élé, comme tant d'autres antérieurement, qu'une inutile effusion de sang. A Berlin, on attend toujours le procès de M. d'Arnim rien, pour le public, n'a encore éclairci cette mystérieuse affaire. Le Reichstag siége, et M. de Bismark y règne avec sa toutepuissance ordinaire : l'Alsace-Lorraine se plaint du fond de sa captivité, et le Reichstag reste sourd à cette plainte; M. de Moltke a besoin du landsturm, et c'est avec une promptitude inusitée que le Reichstag prépare la loi qui l'organisera.

L'Angleterre est attentive à l'injuste polémique que M. Gladstone a engagée contre les catholiques: M. Gladstone, insultant à leur patriotisme, accuse leur religion de supprimer dans leurs âmes les sentiments d'obéissance et de fidélité qu'ils doivent aux lois de leur pays. Que M. Gladstone daigne jeter les yeux sur nous, sur nos champs de bataille de 1870, sur nos mêlées politiques. A-t-on vu des rebelles aux rangs de ces catholiques qui allèrent mourir à Patay, sur un signe de M. Gambetta lui-même. Et dans nos luttes civiles d'aujourd'hui, les catholiques comptent-ils donc parmi eux des révoltés, armés par leur foi contre la société? Cet esprit de secte dont M. Gladstone se montre animé est agréable à M. de Bismark: M. Gladstone lui prête des arguments contre l'Église. M. Disraéli, au contraire, plaît peu à M. de Bismark, qui le sait plus bienveillant à notre patrie; et l'on a feint de s'irriter beaucoup à Berlin de ce discours prononcé au banquet de Guildhall, où M. Disraéli, répondant à notre zélé ambassadeur, M. de Jarnac, a dit qu'en Angleterre les citoyens n'avaient à craindre « ni arrestations arbitraires, ni visites domiciliaires. » Par des sentiments divers, les ombrageux amis de M. de Bismark, aussi bien que ses malicieux ennemis, ont voulu voir dans ces paroles une allusion aux traitements subis par M. d'Arnim. Le Times, toujours complaisant à M. de Bismark, lui a même présenté des excuses qu'assurément M. Disraéli n'autorisait pas M. Disraéli est un homme d'État anglais, il a l'indépendance des ministres de son pays, et c'est l'outrager, c'est méconnaître son caractère comme sa nation, que de le supposer capable de demander pardon à M. de Bismark d'une allusion fortuite, et cela dans le Times, dans un journal mercantile et reçu du monde entier! Pour nous, nous sommes reconnaissants à M. Disraéli des témoignages de sympathie que, dans ce même discours, il a donnés à la France; et nous regretterons la maladroite rigueur ou plutôt la légèreté avec laquelle certains de nos journaux ont jugé M. Disraéli et l'Angleterre en cette occasion. Notre patriotisme sera-t-il donc toujours imprévoyant? Et ne saurons-nous jamais ce que savent si bien les journalistes allemands et anglais, servir par notre discrétion les intérêts diplomatiques de notre pays?

AUGUSTE BOUCIIER.

L'un des gérants: CHARLES DOUNIOL.

PARIS.- IMP. SIMON RAÇON ET COMP., RUE D'ERFURTH, I.

L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE

ET LES ÉCOLES CONGRÉGANISTES

Au lendemain de nos désastres, la France, se demandant à quelles causes elle devait attribuer tant de revers, reconnut aussitôt que sous les dehors brillants du régime impérial une effroyable décomposition avait gagné le corps social les caractères avaient perdu leur ressort, et le patriotisme lui-même s'était éteint dans une partie considérable de la nation. Une éducation populaire plus virile et plus religieuse que celle qu'on avait donnée jusque-là parut seule capable de remédier au mal, et dans tout le pays la réorganisation de l'enseignement fut déclarée aussi nécessaire et non moins urgente que la réorganisation de l'armée.

Réorganiser l'enseignement de manière à préparer un meilleur avenir, c'était une œuvre extrêmement délicate et difficile. Dans le désarroi général et au milieu des luttes de parti où nous nous trouvions, il fallait étudier à fond les réformes à introduire, consulter l'opinion, laisser toutes les tendances se manifester et voir où chaque parti voulait nous conduire. La préparation du rapport exigea donc un temps relativement long. Mais ce rapport est déposé depuis près de trois ans ; il est même à l'ordre du jour depuis deux ans, et cependant il nous est jusqu'ici impossible de prévoir quand il viendra en discussion. Faisons largement la part des graves questions que la Chambre a eu à résoudre; le pays n'en a pas moins le droit et le devoir de se demander si toutes les discussions auxquelles nous assistons sont d'un intérêt tel qu'il faille les faire passer avant celle de la loi sur les écoles primaires.

Tandis que cette loi subit des délais qui nous paraissent profondément regrettables, le parti radical, ce grand ennemi du bien public, poursuit résolument son œuvre. A la Chambre, il multiplie outre mesure ses interpellations, qui ont pour lui le double avantage N. SÉR. T. LXI (XCVII DE LA COLLECT.). 5° LIV. 10 DÉCEMBRE 1874.

59

« PreviousContinue »