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MÉLANGES

LA NATURE ET LA VIE, FAITS ET DOCTRINES

Par FERNAND PAPILLON.

1 vol. in-12, 1874, librairie académique Didier et Ci..

Dans le monde des sciences naturelles, où il y aura toujours des hauteurs inaccessibles et des profondeurs insondables, la plupart des explorateurs aspirent seulement à étudier une province ou un canton; et ce ne sont pas toujours (il s'en faut) les moins actifs et les moins vigoureux qui restreignent le plus les limites de leurs recherches.

Pour établir entre eux des relations qui les éclairent, et pour instruire le public studieux des résultats de leurs travaux, il faut, pour ainsi dire, des esprits voyageurs, qui passent et repassent continuellement d'une science particulière à une autre, et sachent tour à tour se bien renseigner, puis expliquer en langue vulgaire ce qu'ils ont appris des hommes spéciaux, dont les dialectes sont très divers, parfois individuels, souvent obscurs, changeants et pleins d'équivoques.

M. Fernand Papillon avait, dans une mesure très-rare, les aptitudes variées qu'exige le rôle important de ces travailleurs intermédiaires, interprètes, excitateurs et vulgarisateurs. L'activité mobile de son esprit curieux l'a toujours empêché de s'enfoncer indéfiniment dans une subdivision des sciences naturelles; mais il savait fort bien s'arrêter à propos, et poursuivre avec patience les études les plus pénibles, quand il avait l'espoir d'éclairer ainsi quelques points obscurs de la physiologie médicale. Non content de recueillir et de classer des faits, à l'école des anatomistes et des chimistes les plus habiles, il s'appliquait à bien voir ce que prouvent les faits, et quel profit raisonnable il faut en tirer, pour arriver aux causes cachées, aux principes métaphysiques de la nature et de la vie.

Après avoir consacré de longues années à l'analyse microscopique des humeurs et des tissus organisés, il s'exerça à rendre compte, dans les journaux et les revues, des faits constatés et des doctrines enseignées par ses maîtres en histologie et en physiologie. Il débuta en 1870, dans la Revue des Deux Mondes, par un article sur la constitution générale des êtres vivants. A cette date, il était positiviste, et sa science ne s'étendait guère au delà des éléments organiques étudiés minutieusement dans le laboratoire de M. Robin, à l'École de médecine. Mais l'étude même de la matière l'avait amené au seuil de la philosophie spiritualiste, et l'année suivante, il sortit résolûment de l'école positiviste par la porte du dynamisme. Reprenant l'œuvre commencée par Maine de Biran, il s'efforça d'a

mener les chimistes, les physiciens et les physiologistes aux théories métaphysiques du grand Leibniz. Devenu promptement un des écrivains les plus distingués de la Revue des Deux Mondes, il y publia, en 1872 et 1873, une longue série d'articles qui fixèrent immédiatement sur lui l'attention. sympathique des lecteurs sérieux. Tous ces articles sont reproduits dans le volume que j'annonce1. Il y a là des matériaux solides et brillants qui méritent d'entrer dans les constructions durables d'une science plus précise et plus complète. Je souhaite donc à ce recueil un succès plus étendu que celui des articles de M. Littré réimprimés sous ce titre : la Science au point de vue philosophique (1 vol. in-12, 3e édition, 1873). Le chef de l'école positiviste a sans doute une érudition très-variée, très-solide, et trèsdigne d'un meilleur usage; mais sa science n'a rien de philosophique, et n'a pas même l'attrait d'une lumière froide, ou d'une forme vivante; c'est de la matière morte, incolore et désagrégée. Beaucoup plus jeune que M. Littré, M. Papillon n'aspirait pas à une vaste érudition; il concentrait les forces de son intelligence active et pénétrante dans la sphère des sciences physiologiques et médicales, déjà si étendues et si pleines de mystè res; mais, dans ces limites, il a déployé des aptitudes de penseur et d'écrivain que M. Littré n'a jamais eues. Enlevé par une mort prématurée, il n'a eu ni le temps ni la force nécessaires pour concevoir et formuler une théorie complète et incontestable sur la nature et la vie; mais, de la hauteur où il s'est élevé, il a du moins signalé, avec un noble enthousiasme, quelques linéaments d'une vraie philosophie naturelle. Puissent tous ses lecteurs arriver, comme lui, à estimer le mérite suprême de leurs méditations « au degré de l'humble piété avec laquelle ils s'inclineront devant la mystérieuse puissance qui a tout établi ! »>

H. DE VALROGER,

De l'Oratoire.

LA CONQUÊTE DE CONSTANTINOPLE DE GEOFFROY DE VILLEHARDOUIN

Publiée par M. NATALIS DE WAILLY, membre de l'Institut.

Nous avons rendu compte ici même de la belle édition de Villehardouin donnée par le savant éminent auquel on doit la restitution définitive du texte des deux plus anciens historiens qui aient écrit leurs récits en langue française. Sous le titre modeste d'Éclaircissements, M. Natalis de Wailly vient de faire pour Villehardouin ce qu'il avait si bien fait pour Joinville. Les cent et quelques pages auxquelles il a donné ce titre forment, à propre

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1 Voici les titres des articles réunis dans ce volume: La constitution de la matière et le nouveau dynamisme; La philosophie de la nature et les idées de Leibniz; - La La lumière et la vie; La chaleur et la Les médicaments et la vie;

constitution générale des êtres vivants; ·

vie; L'électricité et la vie; - Les odeurs et la vie; Les greffes et les régénérations animales;

Les grandes épidémies, le choléra;

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-

Les ferments, les fermentations et la vie; La physiologie de la mort, la mort apparente et la mort réelle; - L'hérédité au physique et au moral. 2 Préface, page iv.

ment parler, un supplément à l'édition de la Conquéte de Constantinople; elles développent et complètent l'ouvrage, et, par des discussions érudites, jettent une vive lumière sur tout ce qui peut avoir rapport à l'œuvre et à l'historien, ainsi qu'aux événements qu'il raconte.

«Des critiques éclairés, dit en commençant M. de Wailly, ont pensé que je devais joindre au texte de Villehardouin un certain nombre d'explications ayant pour objet d'en faire apprécier plus exactement l'importance et d'en résoudre quelques difficultés. »

Déférant à ce désir, le savant académicien a donc ajouté à sa publication l'examen de diverses questions d'histoire, d'archéologie et de grammaire. Il s'est attaché d'abord à réfuter les objections qui pouvaient porter atteinte au fond même du récit de Villehardouin en le représentant accusation étrange contre l'un des plus importants personnages de l'expédition comme mal informé des motifs qui firent prendre aux croisés la route de Constantinople au lieu de celle de la terre sainte, et en le dépeignant comme la dupe des Vénitiens dont la cupidité aurait, dès avant la conquête de Constantinople, conclu un traité ou plutôt un marché avec le sultan d'Égypte.

Un savant distingué, M. de Maslatrie, dans son histoire de l'île de Chypre, a adopté cette opinion; il était donc nécessaire de la discuter. C'est ce que M. de Wailly a fait avec une clarté, une méthode et une autorité qui nous paraissent devoir porter la conviction dans tous les esprits.

Le seul témoignage opposé jusqu'ici à Villehardouin est tiré d'une chronique, sorte de compilation longtemps attribuée à Bernard le trésorier, mais qu'on peut avec vraisemblance croire l'œuvre d'un valet de Balian d'lbelin, nommé Ernoul. Le savant éditeur de Villehardouin examine avec un soin scrupuleux la chronique d'Ernoul: il fait ressortir l'invraisemblance de ses récits, et, s'appuyant sur l'autorité de son éminent confrère M. de Slane, dont les recherches dans les historiens arabes ne lui ont fait découvrir rien qui justifie l'assertion d'un traité entre Venise et MalekAdel avant la prise de Constantinople, démontre invinciblement qu'on ne peut contredire l'historien, « témoin véridique des faits qu'il raconte, sans contredire aussi la vraisemblance et la raison. »>

L'auteur des Éclaircissements passe ensuite à l'examen de la chronique de Robert de Clari, un brave chevalier qui prit part à la conquête de Constantinople, raconte avec exactitude tout ce qu'il a vu, mais, trop souvent écho des rumeurs populaires, commet de bonne foi des erreurs involontaires, et auquel la mémoire des dates manque constamment. Il ne voit point les choses de haut comme Villehardouin, et des spectacles que celuici nous peint à grands traits, ce sont les détails seuls que voit et qu'énumère Robert de Clari.

Un chapitre intéressant est consacré par M. de Wailly aux Incidents de la croisade. La partie archéologique de ces Eclaircissements amusera autant qu'elle instruira les gens du monde et les femmes. Le costume y tient une grande place, et des planches aident à en bien comprendre la description. La chronique de Robert de Clari fournit ici tous les détails du couronnement de l'empereur latin Beaudoin. Nous copions pour nos lecteurs ce

récit, empreint encore de l'émotion qu'éprouva, à ce spectacle, le témoin de ces merveilles.

« Quand l'empereur fut élu, les évêques le prennent ainsi que les hauts barons et les Français qui en furent bien joyeux, et ils l'emmènent au palais Bouchelion, en bien grande joie et en bien grande fête. Et quand les hauts hommes y furent tous, ils prirent jour pour couronner l'empereur, et quand ce jour fut venu, ils montèrent à cheval, et les évêques et les abbės, et tous les hauts barons, et les Vénitiens et les Français, et s'en allèrent au palais de Bouchelion. Alors ils emmenèrent l'empereur à l'église de SainteSophie, et quand ils furent arrivés à l'église, on mena l'empereur en un détour de l'église dans une chambre. Lå on lui ôta ses habits, et on le déchaussa, et on lui chaussa des chausses vermeilles de satin, et on lui chaussa des souliers tout chargés de riches pierres par-dessus. Puis on le vêtit d'une cotte bien riche qui était toute garnie de boutons d'or par devant et par derrière les épaules jusqu'à la ceinture. Et puis on le vêtit da poële1, espèce d'affublement qui battait sur le cou-de-pied par devant, et qui était si long par derrière qu'il s'en ceignait, et puis il le rejetait en arrière sur le bras gauche tout comme un fanon. Et ce poële était bien riche et bien noble et tout chargé de pierres précieuses. Après on l'affubla par-dessus d'un bien riche manteau qui était tout chargé de riches pierres précieuses; et les aigles qui étaient au dehors étaient faites de pierres précieuses et resplendissaient si fort qu'il semblait que le manteau fût allumé. Quand il fut si noblement vêtu, on l'amena devant l'autel ; et comme on le menait devant l'autel, le comte Louis lui portait son gonfalon impérial, et le comte de Saint-Paul lui portait son épée, et le marquis lui portait sa couronne, et deux évêques soutenaient les deux bras du marquis qui portait la couronne, et deux autres évêques se tenaient à la droite de l'empereur. Et les barons étaient tous bien richement vêtus, et il n'y avait Français ni Vénitiens qui n'eût robe ou de satin ou d'étoffe de soie. Et quand l'empereur vint devant l'autel, il s'agenouilla; et puis on lui ôta le manteau et puis le poële. Il resta ainsi rien qu'avec sa cotte; et on lui détacha les boutons d'or de sa cotte par devant et par derrière, si bien qu'il fut tenu nu å partir de la ceinture jusqu'en haut; et puis on l'oignit. Quand il fut oint, on lui rattacha les boutons d'or de sa cotte, et puis on le revêtit du poēle, et puis on lui agrafa le manteau sur l'épaule. Et puis, quand il fut ainsi vêtu et que deux évêques tenaient la couronne sur l'autel, tous les évêques allèrent et prirent la couronne tous ensemble et la bénirent et y firent le signe de la croix et la mirent sur sa tête. Et puis après on lui pendit au cou au lieu d'agrafe une bien grande et riche pierre que l'empereur Manuel acheta soixante-deux mille marcs. Quand ils l'eurent couronné, ils l'assirent sur une haute chaire, et il fut là tout le temps qu'on chanta la messe, et il tenait en sa main son sceptre, et de l'autre main une pomme d'or avec une petite croix par-dessus ; et les atours qu'il avait sur lui valaient plus que ne vaut le trésor d'un riche roi. Et quand il eut ouï la messe, on lui amena un cheval blanc où il monta, et les barons le remmenèrent en son

1 Robert de Clari emploie le mot palle, en latin palla. Au moyen âge pallium s'employait souvent comme synonyme de palla qu'on traduisait quelquefois par poële.

palais de Bouchelion, et on le fit asseoir sur la chaire de Constantin. Alors quand il fut assis sur la chaire de Constantin, tous le tinrent pour empereur; et tous les Grecs qui étaient là l'adoraient tous comme saint empereur. Et puis les tables furent mises, et l'empereur mangea, et tous les barons avec lui dans le parloir. Quand on eut mangé, les barons partirent et s'en allèrent tous en leurs hôtels, et l'empereur resta en son palais. >>

La profonde connaissance que possède M. de Wailly de la langue du moyen âge lui a permis de nous donner une grammaire complète du français de l'époque de Joinville; il s'est livré au même travail sur le texte de Villehardouin et sur celui de Henri de Valenciennes, dont la langue, quoique soumise aux mêmes règles, en diffère pourtant d'une manière assez notable. Les Éclaircissements contiennent la grammaire la mieux faite du français au treizième siècle. Ce nouvel et savant opuscule est donc, on le voit, le complément indispensable de la belle édition de la Conquête de Constantinople, sortie des presses de la maison Didot.

LÉON ARBAUD.

Nous recevons de notre collaborateur, M. Alfred de Courcy, la lettre suivante :

«On me signale une erreur que j'ai commise sur le sens d'un des articles de la loi constitutive de la Caisse d'assurances contre les accidents. Je connaissais le texte du second paragraphe de l'article 7, ainsi conçu : « L'enfant ou les enfants mineurs reçoivent un secours égal à celui qui est << attribué à la veuve, et qui se cumule avec lui.» Ce texte est tellement. incorrect, que j'avoue ne l'avoir pas compris. Le cumul est, si je ne me trompe, la réunion de droits attribués à la même personne, non à des personnes différentes. On veut bien m'expliquer que cela veut dire que l'enfant ou les enfants mineurs du marin qui aura péri par suite d'un accident de mer recevront un secours de 700 francs, en outre du secours de pareille somme attribuée à leur mère personnellement, si celle-ci a sur

vécu.

« Je reconnais avec empressement mon erreur, et je note les résultats suivants qui sont au moins bizarres :

« Sept enfants en bas âge, déjà privés de leur mère, auraient à se partager, quelle que fût leur détresse, un secours de 700 francs, payable, Dieu. sait au prix de quels embarras et après quels délais, si le père avait disparu avec le navire.

« En revanche, une veuve non indigente, soutenue par un fils unique de, vingt ans, recevrait un secours de 1,400 francs. Telle est, selon un zélé partisan de la loi, une de ses dispositions les mieux conçues.

«Mais je ne veux pas rentrer dans la discussion, mon intention n'étant que de rectifier l'erreur d'interprétation que j'avais commise.

« Recevez, eic.

NOVEMBRE 1874

« ALFRED DE COURCY. >>

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