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l'intérêt général de la nation, pour n'envisager que l'intérêt du pays, sentir par où on se touche, par où on se comprend, par où on est uni d'intention, de volonté, de convictions, et constituer ainsi une armée vigoureuse qui résiste au nouvel envahissement des barbares sur l'Europe. »

La même inspiration, fortifiée par les événements, le guida sous l'Empire. Elle le détermina, malgré sa répugnance, à entrer au Corps législatif. Jusqu'à son dernier jour il y demeura fidèle. Le 25 août 1868, il nous écrivait:

« L'accord des hommes de bonne foi, amis de l'ordre et de la liberté, est un devoir impérieux, dans la déplorable situation des vrais intérêts de la France au dedans et au dehors. Ces intérêts sont fatalement compromis par les extravagances et les calculs égoïstes et corrupteurs du gouvernement personnel. Après tant de révolutions que notre malheureux pays a traversées depuis le commencement de ce siècle; après l'épuisement et la chute des gouvernements qui se sont succédé comme des expédients salutaires dans des circonstances périlleuses, mais comme des expédients sans garantie de durée, sans conditions réelles de stabilité, il est impossible de prévoir ce que sera la forme et la nature du gouvernement qui sortira d'une crise nouvelle. Tout est possible; mais, quelle que soit la forme du gouvernement qui triomphe en des jours d'orage, ce gouvernement ne pourra vivre qu'à la condition d'accepter, de consacrer les libertés publiques, de les pratiquer loyalement. Le régime constitutionnel sera la loi et la condition vitale de l'avenir. Empire, royauté, république, ne pourront, si ce n'est s'établir, du moins subsister quelque temps avec honneur, qu'en assurant au pays, dans la libre action de députés régulièrement et librement élus, le selfgovernment. Que tous ceux donc qui veulent de bonne foi et avec intelligence cet ordre de libertés pour tous, en fassent la principale de leurs préoccupations et l'objet commun de leurs efforts, quels que soient le mode et la nature de la constitution du pouvoir exécutif, desquels ils peuvent attendre le plus de garanties du maintien des libertés publiques.

« Poursuivez ce but, mon cher de Lacombe. Nos efforts pour l'atteindre, en nous dégageant de l'esprit de rancune, de nos préjugés, de nos préventions; nos efforts actifs et sincères seront l'accomplissement d'un grand et sévère devoir envers la patrie, dont nous nous sommes appliqués, sous tous les régimes que nous avons désirés ou subis, à servir les véritables et permanents intérêts. » (25 août 1868.)

Mais cette résolution n'entrainait de sa part, bien loin de là, aucun oubli de la cause à laquelle il s'était voué, et, prévoyant le

cas où il aurait à faire connaître au pays, convoqué pour les élections générales, la pensée qu'il exprimait à ses amis, il nous adressait encore ces lignes, que nous devons reproduire, pour lui garder jusqu'à la fin, comme il le désirait, l'intégrité de ses convictions et l'unité de sa vie :

<< Si j'avais voulu écrire pour le public, je vous aurais rappelé ce que je n'ai nul besoin de dire en ne parlant qu'à vous. Pour être entièrement vrai et loyal, si je m'adressais aux hommes des différents partis politiques, en disant que, quel que soit l'avenir gouvernemental de notre pays, que ce gouvernement soit ou la royauté, ou la république, ou même l'empire, il ne pourra se maintenir, et donner au pays quelque assurance de durée qu'en développant avec fermeté le régime des libertés politiques; j'aurais besoin de répéter que, dans ma profonde et persévérante conviction, la plus sérieuse, la plus puissante garantie de l'ordre constitutionnel serait dans une consécration solennelle de la base de notre droit national, constitué par les siècles, et reposant sur le principe de l'hérédité de la couronne, dont M. le comte de Chambord est seul le vivant et légitime dépositaire.

« Oui, mon cher ami, je demeure fidèle à cette profession de foi, et je ne voudrais pas qu'on pût croire que, par des calculs peu sincères, je la déserte ou la dissimule un seul jour; mais, avec une égale sincérité, si notre malheureuse France, fatiguée et menacée encore de tant de révolutions, ne doit pas se reposer enfin dans la vérité des libertés publiques, sous la grande garantie de la stabilité et de la continuité du pouvoir souverain, je n'en suis pas moins voué au triomphe de l'ordre constitutionnel. » (2 septembre 1868.)

Et maintenant il faut conclure qu'eût fait M. Berryer dans la situation présente?

Plus que jamais il eût proclamé, dans son ardent patriotisme, dans son attachement réfléchi aux libertés publiques, la nécessité du principe héréditaire pour relever le pays et lui rendre un avenir. Son âme si française se fût émue à la pensée du rôle que pourrait reprendre, unie à la tête de la nation réconciliée, celte grande maison de Bourbon, dont M. Thiers disait naguère à la tribune: «Craindre de prononcer le nom de la grande et illustre famille de Bourbon, ce serait ne pas oser prononcer le nom de la France1. »

Plus que jamais aussi, dans la sincérité de son dévouement, au nom même de la fidélité de toute sa vie, il aurait fermement insisté sur les moyens de rendre possible le retour de ce gouvernement qu'il jugeait nécessaire. Le langage, qu'il tint toujours à la royauté

↑ Séance de l'Assemblée nationale, 8 juin 1871.

comme à la France, il le leur eût encore fait entendre. Qui peut dire ce qu'aurait produit une adjuration solennelle dans une telle bouche?

Mais revenons au point précis : la loi du 20 novembre a été faite, dans des conjonctures dont personne n'a perdu la mémoire. Le débat va s'ouvrir sur les lois constitutionnelles.

Quelle eût été la conduite de M. Berryer?

En 1851, la révision de la constitution était à l'ordre du jour de l'Assemblée législative. M. Berryer, après avoir pris soin de déclarer à plusieurs reprises qu'il n'avait point provoqué la discussion, et rappelé les services que, pendant trois ans, son parti avait rendus à la société, exposa, en termes admirables, les bienfaits de la royauté et la supériorité, dans une nation comme la nôtre, du principe monarchique sur le principe républicain. Mais, comprenant que la majorité légale ne serait pas acquise à la révision; voyant, d'un autre côté, le pays en face de deux périls : la révolution démagogique et la dictature inconstitutionnelle, il ne se cantonne point dans la satisfaction d'avoir proclamé sa foi; il ne se croit pas quitte envers la France, et lui, le vieux royaliste, qui n'a pas voté la république, qui, presque seul de son parti, a repoussé la constitution de 1848, il cherche, faute de mieux, dans cette constitution, un point de ralliement pour les hommes d'ordre: « Je supplie mes concitoyens, je supplie les membres de la majorité de respecter et de maintenir la constitution tant qu'elle ne sera pas régulièrement revisée. Armons-nous de la légalité dans des temps qui sont bien difficiles... Une loi telle quelle, une loi mauvaise, mais une loi dominant encore le pays, vaut mieux que de n'avoir pas de loi. C'est la scule force qui nous reste; je supplie mes concitoyens de l'employer avec ardeur.» (16 juillet 1851.)

S'il parlait ainsi d'une constitution à laquelle il s'était opposé, et dont le principe, ouvertement proclamé, était contraire au sien, comment croire que dans la crise présente, après des calamités inouïes, devant les anxiétés de l'avenir, il eût hésité à soutenir, à fortifier, à organiser, sur les bases d'un régime constitutionnel, avec l'institution, essentiellement monarchique, de deux Chambres, un gouvernement formé par les conservateurs, dans le seul intérêt de la défense sociale?

Comment n'aurait-il pas tenu la même conduite qu'en 1851, les périls étant devenus plus grands et les exigences moindres!

Ce gouvernement, il se fût applaudi, dans nos jours d'épreuves, de le rencontrer. En 1851, à l'approche de l'élection présidentielle, désolé de n'apercevoir devant lui que des candidats dont le caractère inquiétait ses convictions, il appelait de ses vœux un homme 56

25 NOVEMBRE 1874,

qui, étranger aux partis, pût les réunir tous : « Qu'il se lève, écrivait-il; il ne sera pas notre candidat, mais le candidat des amis de l'ordre, de ce grand parti qui, depuis trois ans, a sauvé la France malgré la diversité des éléments qui le composent, et grâce au silence des prétentions particulières des divers partis. C'est à ce candidat que nos suffrages donneront la préférence. »

Ne dirait-on pas qu'il traçait dans ces lignes le portrait du maréchal de Mac-Mahon?

Non, dans une telle situation, il n'aurait point hésité. Il eût repoussé comme un crime l'idée que, parce qu'il n'avait pu donner à la France le gouvernement de son choix, legouvernement qu'il ne cessait de juger le meilleur et d'espérer pour l'avenir, il dût ne lui en laisser aucun. Ne lui dites pas que de l'excès du mal le bien pourra sortir. Son cœur se révolte à la pensée qu'on puisse lui supposer un tel calcul: « Ce n'est pas nous qui, jamais, dans la sincérité de notre foi politique, avons rêvé des malheurs pour réaliser je ne sais quelles espérances chimériques d'un avenir peut-être meilleur. Ce n'est pas nous qui considérerons jamais ainsi les choses de la France.» (15 janvier 1844)

Il eût persévéré dans cette noble manière de voir, el, pénétré des maux du pays, ajoutant aux craintes de l'avenir les leçons de l'expérience, aux prévisions nouvelles les prévisions réalisées, il eût redit, dans l'intérêt, pour l'honneur, pour la pure renommée de sa ca us aussi bien que dans le souci pressant de la France, il eût redit à ses amis, à ses alliés, aux bons citoyens de tous les partis, ses paroles de 1851 : « Ah! mes amis, messieurs de la majoritė, comprenez bien, reconnaissez les voix qui nous entretiennent de nos dissensions passées, qui aigrissent nos ressentiments, qui approfondissent nos divisions, reconnaissez ces voix, comprenez-les; que ce vous soit un grand avertissement. Unissons-nous de plus en plus; majorité, tous de la majorité, soyez inséparables en face des dangers et de la sédition et de l'ambition; soyez inséparables dans l'ordre légal: rappelez-vous comment nous avons traversé les mauvais jours; que ce souvenir douloureux soit une leçon immense, une leçon toute-puissante en face des périls qui s'avancent. » CHARLES DE LACOMBE.

Disc. parlem., t. IV.

POÉSIE

LA CROIX DE CUIVRE

I

Au village, en hiver, aimez-vous la veillée?
- Le feu flambe. Tandis que, sèche et dépouillée,
La ramure, au dehors, lutte contre le vent,
Les paysans vermeils, en cercle assis devant

L'âtre cher aux grillons, jasent dans la chaumine..
Mais voici le Prussien, le deuil et la ruine!
Hier, l'envahisseur a passé par ici,

Et ce soir, le hameau, sous le ciel obscurci,
Est désert. Dans la rue, où s'acharne la bise,
Nul buveur attardé, nulle lampe qui luise
Aux vitres des maisons, qu'un silence de morl
Enveloppe avant l'heure où le hameau s'endort.

Pourtant, là-bas, le long de la ruelle sombre,
Quelle forme apparaît et s'agite dans l'ombre,
Comme un fantôme noir qui s'attache aux murs blancs?
Est-ce un homme qui rampe et s'avance à pas lents,

Se traîne, puis s'arrête et s'appuie immobile
Un instant, et repart, tantôt, comme un reptile,
Se glissant, et tantôt trébuchant?... On dirait

Qu'il tombe... il se relève... il frappe un coup discret

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