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à la mémoire des soldats tombés pour l'unité italienne, la municipalité n'a voulu, j'y consens, que rendre hommage à des morts; mais cet hommage, aux lieux où la papauté habite encore, se change en un outrage au pontite qu'on prétend environner de respects. Qui sait? Dans son empressement à honorer le héros qu'on a eu la douleur de battre à Aspromonte et de laisser battre à Mentana, peut-être n'a-telle même pas soupçonné ce qu'il y avait d'indécent pour les chrétiens et de ridicule pour tout le monde à baptiser du nom de Garibaldi la rue qui conduit au Janicule, où fut martyrisé saint Pierre. En eflaçant partout où elle le pourra le cachet des papes pour le remplacer par la marque de la royauté, en faisant ou en s'efforçant de faire d'une ville religieuse une ville politique, d'une ville antique une ville moderne, d'une ville historique et légendaire une ville industrielle et banale, elle est condamnée à bien d'autres contre-sens encore. Quand on s'appelle Rome, c'est jouer un jeu de dupe que de vouloir prendre la place de Turin, et lorsqu'on a été la capitale du monde, c'est bien descendre que de devenir la capitale de l'Italie : loin de dissimuler cette chute, tous les travaux, les boulevards, les quais, les plaques de marbre, les cordeaux, les fils-à-plomb et les coups de pioche de la municipalité ne feront que l'accuser davantage. La Rome des papes était unique au monde; la Rome de VictorEmmanuel ne s'élèvera jamais à la hauteur de Lisbonne ou de Bruxelles.

VICTOR FOURNEL.

M. BERRYER

ET LA SITUATION PRÉSENTE

Qu'aurait fait M. Berryer, s'il eût vécu de nos jours? Quelle conduite aurait-il tenue? Quels conseils aurait-il donnés?

C'est une question qui s'est posée sur bien des lèvres depuis quatre ans. Et à juste titre. Elle atteste le vide immense qu'a laissé ce grand esprit, et l'espoir que, dans nos épreuves, on eût fondé sur

son concours.

Quand on pense à l'influence que quelques hommes ont exercée, de notre temps, sur les destinées de la France et de l'Europe, on ne saurait mettre en doute l'importance du rôle qu'aurait rempli M. Berryer. L'autorité de son caractère, la puissance de sa parole, relevée par la majesté des derniers jours, l'empire que son patriotisme incontesté, son attachement inébranlable à la monarchie et à la liberté, lui auraient donné sur tant d'opinions diverses, le droit qu'il eût puisé dans l'ancienneté des services rendus à ces deux causes de faire entendre à tous ses représentations et ses conseils, l'esprit de sagesse et de conciliation dont il était animé et qui, sans rien sacrifier des principes, savait faire leur part aux sentiments contraires; les accents pathétiques avec lesquels, évoquant au-dessus des luttes des partis l'image de la France, il eût convié tous les bons citoyens à s'unir pour la sauver, on ne peut ranimer ces traits, réveiller ces souvenirs, ressusciter cette existence, sans songer aux changements que l'intervention d'un tel homme eût imprimés à la face des choses.

Mais la politique ne vit pas de suppositions. Il faut prendre les faits au point où ils en sont. Dans les circonstance présentes, la loi du 20 novembre ayant été rendue, les lois constitutionnelles étant proposées, l'Assemblée nationale à la veille de prendre des détermi

nations suprêmes, quelle eût été l'attitudejde M. Berryer? Quel serait son langage?

On peut en juger par l'ordre habituel de sa vie, de ses pensées, de ses conseils, de ses relations politiques. On peut juger de la ligne qu'il eût adoptée par celle qu'il a toujours suivie, de la politique qu'il eût repoussée par celle qu'il a toujours combattue et déplorée.

Si nous entreprenons cette étude, c'est que la confiance de M. Berryer nous en a donné le droit. On le verra dans la lettre qu'on va lire. Nous la reproduisons même en ce qui nous touche, parce que, tout en exposant sa pensée politique, elle constitue comme notre lettre de créance auprès du public.

Notre intention n'est pas, en ce moment, de raconter dans le détail la vie de M. Berryer. Nous ne voulons qu'en détacher quelques traits, en nous inspirant de ses discours, de ses conversations, de la correspondance qu'il a entretenue avec nous, des communications qu'il nous a faites, des notes que nous tenons personnellement de sa main. L'heure présente est une de celles où il fut vrai de dire qu'il est souvent plus difficile de connaitre son devoir que de le remplir. Peut-être les vues et les exemples de M. Berryer, fidèlement rapportés, seront-ils de quelque secours pour plusieurs esprits sincères.

Voici comment, dans une lettre dù 9 octobre 1865, nous parlant du projet de publication de ses œuvres, il résumait lui-même sa pensée politique«...Ce n'est pas le choix des discours qui me semble être difficile, mais l'à-propos dans le choix des souvenirs et des correspondances qui doivent accompagner ce qu'il peut être bon de publier comme œuvres de la tribune et du barreau. Là vos avis me seront précieux, et je serai heureux d'obtenir votre rédaction ou tout au moins vos corrections. Ce qui m'importe le plus, ce que je ne puis confier qu'à vous, c'est l'exposé historique de la ligne politique que j'ai suivie; c'est de montrer que, depuis près de quatre-vingts ans, cette ligne a été nettement et fermement tracée et suivie par une portion considérable du parti royaliste, c'est d'expliquer comment les événements que j'ai traversés m'ont attaché aux principes de la monarchie constitutionnelle. Le roi Charles X m'a donné en quelque sorte l'épigraphe et peut-être les premiers mots de cet exposé. Après la révolution de 1830, j'allai rendre visite à Sa Majesté à Toeplitz. A la première audience qu'il m'accorda, après que nous eûmes beaucoup parlé des fatales ordonnances, des trois journées, de la nouvelle situation de la France, le roi me demanda ce que je pensais de l'avenir de notre pays et des conditions dans lesquelles il était possible de rétablir le gouvernement légitime. « Sire, lui dis-je, il ne faut qu'exécuter fidèlement la Charte, en en développant les

principes par un système plus large des lois électorales. » « Ah! me dit-il, vous me rappelez Çazalės, quand il quitta l'Assemblée et vint nous joindre au camp des émigrés. Nous lui demandâmes ce qu'il pensait qu'il y avait à faire. « Monseigneur, me répondit-il, il faut convoquer les états généraux. » Ce mot de 1791 renferme en germe les principes et les règles de conduite politique que les royalistes constitutionnels ont mis en pratique, et dont j'ai été l'écho sincère, selon que j'ai été inspiré par le spectacle des choses et des hommes de mon temps. La tradition non interrompue des doctrines libérales dans le cœur et dans la tête des plus intelligents et dévoués défenseurs de la cause royale est écrite dans les œuvres et dans les actes d'un grand nombre d'entre eux. Les cahiers des états pour la convocation de la Constituante, les Mémoires du comte de la Marck, les œuvres de Mallet du Pan, la vie de M. Becquey, par Beugnot, les discours de Royer-Collard, que notre ami Moreau a fort bien résumés dans une excellente brochure; Villèle avant qu'il ne fût ministre, Chateaubriand, le vieux Fitz-James, Brézé, le livre de Larcy 2, et vos judicieuses réflexions sur la politique d'Henri IV nous donnent d'imposants témoignages de cette fidélité du parti que je crois avoir servi quelque peu. La lettre que M. le comte de Chambord m'a adressée de Venise me paraît compléter un résumé de cet exposé politique.» (9 octobre 1865.)

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Royaliste constitutionnel! Ainsi se définit M. Berryer. C'est avec raison que, cherchant les origines du groupe auquel il se rattache, il remonte au règne d'Henri IV. Les hommes se ressemblent à travers les âges, et lorsqu'on reprend depuis trois siècles l'histoire de nos vicissitudes, on est frappé de retrouver, dans les divers partis, les mêmes caractères, les mêmes maximes, les mêmes conduites. Il est bien des figures du passé sur lesquelles on mettrait des noms contemporains, et bien des figures contemporaines auxquelles on donnerait les noms des hommes du passé.

Ce que furent, depuis la révolution, les royalistes constitutionnels, les politiques l'étaient au seizième siècle.

Henri IV fut le premier d'entre eux.

Les politiques étaient des hommes de transaction. Venus de points divers, ils avaient senti que la France périssait dans les déchirements, et que l'accord nécessaire, pour la sauver, ne pouvait s'obtenir qu'au prix de concessions mutuelles. Ils se vouèrent à cette œuvre, sans considérer les accusations qui, des deux camps, s'éle

1 Royer-Collard et la Restauration, par M. Henry Moreau. Correspondant du 25 septembre 1859. M. Berryer, qui avait pour M. Moreau la plus vive affection, recommandait à tous ses amis politiques la lecture de cet article.

2 Les vicissitudes politiques de la France, in-8, par M. de Larcy.

vaient contre eux. Henri IV se mit à leur tête. Cette inspiration lui rendit le trône; il en fit l'âme de son règne. Mêlé aux luttes des partis, les connaissant d'autant mieux qu'il avait été tour à tour des vaincus et des vainqueurs, il sut se dégager de leurs passions et leur faire à tous, malgré leurs oppositions réciproques, une justice égale. Ligueurs et protestants ne furent pour lui qu'un seul peuple. Il identifia les voeux et les droits de tous avec le triomphe de son droit, pendant qu'au dehors il travaillait, par ses ménagements habiles, à se créer partout des alliances.

M. Berryer, dans les notes que nous tenons de lui, cite souvent Henri IV. Il rappelle sans cesse le mot du roi sur «< ceux de Paris et ceux de Tours. »

Ce mot, en voici l'histoire :

Les membres du parlement de Paris s'étaient divisés, pendant les guerres civiles: les uns, fidèles à la couronne, s'étaient retirés à Tours, après la journée des Barricades; les autres étaient demeurés dans la capitale. D'abord engagés dans les égarements de la Ligue, ceux-ci avaient fini par se relever sous la violence des factions. Ils avaient défendu contre elles et contre l'Espagne les principes de la loi salique, et, sans se prononcer encore pour le roi légitime, exerçant sur le peuple d'autant plus d'influence qu'ils étaient, au début, entrés dans son esprit, groupant autour d'eux les résistances, ils avaient préparé ce mouvement, qui devait se traduire, au retour d'Henri IV, par le cri de Vive le roi, la paix et la liberté !1 Cependant les royalistes ardents n'oubliaient pas les erreurs du parlement de Paris. Ils se plaignaient que le roi ne les lui fit pas sentir. Mais lui, démêlant avec sa finesse ordinaire les services de chacun : « Ceux de Tours, répondait-il, ont fait leurs affaires; ceux de Paris ont fait les miennes. >>

C'était encore en songeant à ce beau règne que M. Berryer écrivait : « Il ne faut pas confondre, je ne le veux pas, la cause du roi et la cause du parti royaliste... Le roi qui se doit à tous, le roi qui doit régner pour tous et gouverner cette société française au profit de tous et avec le concours de tous, doit aussi distinguer profondément la cause royale, c'est-à-dire celle des grands intérêts, de la force et de la sécurité de la France d'avec les intérêts du parti qui le défend et qui lui est resté noblement et chaleureusement fidèle. C'est là ce qu'on ne manquera pas d'appeler l'ingratitude des rois; ce fut le cri des d'Aubigné et des Mornay contre Henri IV. »

Changez les noms et les dates, vous retrouverez la pensée des politiques chez les royalistes constitutionnels. « M. Berryer, aimait à

1 L'Estoile, Journal d'Henri IV.

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