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mettons par ces présentes... de grâce special et de l'auctorité royal... et la ditte suppliante retournons à sa ditte fame (renommée) au païs de son dit feu mari et siens. Si donnons en mandement au prevost de Paris et à touz les autres justiciers du royaume... que la ditte femme et enfant facent et laissent joir et user paisiblement de nostre présente grâce... »

L'autre lettre est accordée par le régent, à la date du 1er septembre 1358, à Jehan de Lens, chirurgien-clerc, au sujet d'un hornicide commis par lui à Saint-Denis sur un Navarrais, nommé Jacquemin Vincent. Jean de Lens hébergeait à Saint-Denis le panetier du roi de Navarre, lequel, en quittant la ville, vola les deux chevaux de son hôte et les emmena à Saint-Cloud. Ce vol suscite les plus étranges complications et, finalement, cause le meurtre d'un homme, Jacquemin Vincent, appartenant à la maison du panetier. Jean de Lens, emprisonné, fut d'abord mis en liberté à la requête d'une jeune fille, sa fiancée, qui se présenta devant le roi de Navarre «< en li suppliant que pour ledit fait ne vousist que ledit Jehan, que elle entendoit prendre à mari, prensist ou receust mort, mais li vousist donner, se (si) condempnez y devoit estre ; qui li ottroia. » C'était une touchante coutume, consacrée par le vieux droit français, que la fiancée obtint la délivrance du condamné à mort. Mais Jean de Lens n'était point complétement sauvé; les amis du défunt avaient juré la mort du chirurgien, et ils se mirent à sa poursuite. Jean dut la vie à l'intervention d'un Anglais en garnison à Saint-Cloud. « Et eust esté mis à mort, disent les lettres de rémission, se ne feust ce que un escuier anglois, appelé Charues Sefelc, lequel Jehan avait eu cure, vint par devers le dit roy (Charles le Mauvais) et supplia que ledit cirurgien li donnast à faire sa voulenté; qui li ottroia. >>

Une troisième lettre, concernant un certain Regnault Martin, marchand de draps à Paris, constate la prise d'Argenteuil et de Creil par lcs Anglais. Creil fut pris le 15 juillet 1558.

. Ces documents commentent d'une façon aussi claire qu'imprévue cette clause énigmatique qui mentionne la remise par les Anglais des places de Poissy et de Saint-Cloud; ils achèvent de démontrer ainsi la pleine authenticité du traité; ils montrent, contrairement à l'opinion de M. Perrens, que les Anglais soudoyés par Marcel et chassés par le peuple de Paris, appartenaient bien au prince qui traitait du démembrement de la France avec l'allié du prévôt des marchands. Quel contraste ces lettres, signées d'un nom royal et s'occupant avec une bonté toute paternelle de protéger, contre les erreurs ou les rigueurs excessives de la justice, les plus humbles des enfants du peuple, quel contraste elles nous offrent avec ces déclamations violentes dont retentissaient naguère les rues de Paris! Comme les

nobles sentiments de commisération qu'elles expriment, parfois avec une si naïve et touchante effusion, nous reposent des bassesses et des vilenies auxquelles nous venons d'assister!

V

Telle est, dans leur ensemble, la signification évidente des documents retrouvés ou mis en lumière par M. Siméon Luce; telle est la vérité, sans inductions ni interprétations, surgissant des faits les mieux établis. Telle est l'histoire : elle nous montre dans Étienne Marcel un mauvais Français, un mauvais magistrat, un mauvais citoyen. Il y a là de quoi jeter quelque ombre sur l'apothéose du trop fameux prévôt de Paris, et cela nous donne un exemple frappant des erreurs historiques où peut conduire la légende révolutionnaire.

A cinq cents ans de distance, si nous n'avons pu nous défendre d'une certaine émotion en retraçant les douloureuses péripéties de cette crise de 1358 où faillit sombrer la France, crise marquée par les plus basses défaillances et par les plus sanglantes atrocités, c'est que nous sentions là de l'histoire contemporaine.

Il y a trois ans, n'avons-nous pas assisté à pareil drame?

1358 et 1871, deux dates néfastes dans nos annales! Nous avons vu à ces deux dates Paris révolté, essayant par ses provocations d'entraîner le pays entier dans sa rébellion. Notre temps a eu aussi ses Navarrais, qui ont cherché dans le mouvement insurrectionnel un levier pour leur politique d'ambition. La Commune de 1871 n'a-t-elle pas eu sa jacquerie, intérieure cette fois, dans laquelle l'assassinat, l'incendie et le pillage se sont, comme jadis, donné libre carrière? Et, pour comble de misère et de honte, n'est-ce pas sous les yeux d'un envahisseur victorieux, comptant avec joie les coups portés et reçus dans cette lutte fratricide, que la Commune de Paris, en 1871 et en 1358, a eu le triste courage de fouler aux pieds la patrie mourante pour courir après je ne sais quelle chimère d'organisation politique ou sociale?

Un article récent d'un journal anglais, qui avait eu connaissance, par la mention que nous en avons faite au Journal officiel, des recherches de M. Luce, établissait un minutieux parallèle entre la situation de Paris et de la France telle qu'elle fut en 1558 et telle qu'elle était en 1871.

M. Perrens proteste avec vivacité contre ce rapprochement, qui pourtant s'impose. Suivant lui, « les bourgeois de 1558 n'ont rien à redouter d'une comparaison avec la populace de 1871. » Pourquoi? Par cette.considération principale que « Paris, en 1556, ne se mit à

1 La Démocratie en France, avant-propos, p. vin et ix.

la tête du royaume que pour le mieux défendre, pour suppléer le roi captif, son fils trop jeune, sa noblesse dispersée; pour rallier en un faisceau les bonnes villes dont l'union eût fait la force. »

Un pareil plaidoyer a de quoi nous surprendre. M. Perrens ne nie pas certaines analogies; elles sont nombreuses, il est vrai; elles jaillissent à la fois de tous côtés; elles vous pressent, elles vous étonnent. Mais il soutient qu'Etienne Marcel avait honnêtement entrepris une œuvre de salut. Nous savons maintenant ce qu'il faut penser de cet honnête sauveur; les propres aveux de son avocat suffisent à sa condamnation. Eh quoi! c'était défendre le royaume que de le livrer à l'allié d'Édouard III, d'y allumer la guerre civile, d'y favoriser ou d'y susciter la hideuse jacquerie? C'était suppléer le roi captif et son fils trop jeune que de se révolter contre ce fils, de s'emparer par la force du Louvre et de soutenir contre le dauphin les prétentions de Charles le Mauvais ! C'était suppléer la noblesse dispersée que de soudoyer des troupes anglaises, de massacrer les maréchaux de Champagne et de Normandie et de parler de réformes alors qu'il ne devait être question que de combattre l'envahisseur!

Il y a d'ailleurs une chose qui domine tout dans les deux insurrections de la Commune de Paris et qui leur imprime un caractère commun ineffaçable, c'est l'idée de la dictature parisienne faisant peser la terreur sur le pays entier au moyen des villes confédérées1. Si ce rêve sinistre, qui réapparaît toujours aux périodes les plus néfastes de nos annales, devait jamais s'accomplir, c'en serait fait de la France.

Ne fût-ce que par pudeur patriotique, qu'on cesse donc de nous vanter Marcel et son œuvre; qu'on cesse de déplorer l'avortement de sa tentative!

Glorieuse tentative, en vérité, que celle d'une bourgeoisie affolée qui s'en prend à tout des malheurs publics! Est-ce en une telle effervescence qu'il convient d'aller chercher le germe des libertés fécondes dont le sage développement reste l'honneur et l'apanage des peuples vraiment forts? Est-ce parmi les hommes qu'un sort rigoureux condamne à conduire ces orgies politiques qu'il faut s'attendre à rencontrer les idées justes, les vues élevées qui font les grands citoyens et les hommes d'État? C'est bien quelque chose de pouvoir dire, en pareil cas, d'un démagogue: Il a fait moins de mal qu'on n'en avait à craindre.

C'est tout juste, croyons-nous, l'éloge qui convient au drapier Étienne Marcel.

FERDINAND DELAUNAY.

1 Augustin Thierry a nettement indiqué cette tendance de la commune de 1358. (Essai sur le Tiers-État, tome I, p. 52.)

LA CHRONIQUE EN ITALIE

1

Rome est la patrie commune de tous les catholiques. De quelque côté qu'ils y viennent, ils sont sûrs de s'y retrouver chez eux et d'y vivre en famille. Cette vérité banale devient plus indiscutable encore s'il s'agit des Français. Nulle autre nation n'a mieux que la nôtre marqué sa trace à Rome, et n'a eu l'honneur d'associer plus intimement son histoire à celle de la Ville éternelle. On y rencontre la langue, les souvenirs, les établissements et les fondations de notre pays à chaque pas, depuis la Villa-Médicis, d'où est sortie l'élite de l'école nationale, jusqu'à la Trinité-des-Monts, construite par Charles VIII, restaurée par Louis XVIII, dont les armes de France décoraient jadis le portail, et au seuil de laquelle les religieuses du SacréCoeur parlent notre langue au pèlerin; depuis l'église Saint-Louisdes-Français, bâlie aux frais de Catherine de Médicis, décorée par Natoire, Parrocel et Lemoyne, à côté du Guide et du Dominiquin, où les murs des chapelles, les plaques des piliers et les inscriptions des tombes nous parlent des cardinaux d'Ossat et de Bernis, de Claude Lorrain, de Seroux d'Agincourt, de Chateaubriand, de Pierre Guérin, de Pimodan, en associant à ces noms illustres les noms obscurs de nos pensionnaires de l'Académie de France, morts pendant le cours de leurs études, et de nos soldats tombés pendant le siége de Rome en 1849, jusqu'au séminaire français de SantaChiara, aux Trappistes de Saint-Paul alle tre fontane, aux Frères de la Doctrine chrétienne établis dans un coin du palais Poli, et aux humbles Sœurs de la Providence, qui prodiguent leurs soins maternels à l'éducation de l'enfance des deux sexes. Nos diverses provinces y ont aussi leurs établissements pieux, et sur la liste des 389 églises de Rome, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Claude-desBourguignons et Saint-Nicolas-des-Lorrains tiennent leur place non

loin de Saint-Jacques-des-Espagnols et de Saint-Jérôme-des- Escla

vons.

La basilique de Saint-Pierre est la paroisse du monde entier. Cette idée s'exprime sous une forme visible et très-grande en sa simplicité, par les confessionnaux du transsept, dont chacun est affecté à une nationalité spéciale, et où, à certaines heures, se chuchottent en même temps, dans le murmure des aveux et l'échange des entretiens sacrés entre Dieu et l'âme pénitente, tous les idiomes qui se parlent sur la face du globe.

Le caractère cosmopolite de Rome se retrouve dans les visiteurs qu'elle attire. On y vient en pèlerinage artistique ou religieux de toutes les parties de l'univers. La table d'hôte de la Minerve ressemble à une académie polyglotte. Dès le milieu de septembre, après la saison des fièvres, l'Europe et l'Amérique s'ébranlent pour se mettre en marche sur Rome. Murray, Boedeker et Du Pays guident des flots d'émigrants à la conquête d'une des plus grandes jouissances réservées ici-bas à un esprit cultivé et à une âme chrétienne. Le yes et le ia se croisent à tous les coins de rues avec le si et le oui des races latines. Toutefois, l'Anglais des derniers jours de septembre et des premiers jours d'octobre n'est qu'une avant-garde dédaignée des hôtels de premier ordre. C'est le commerçant de la Cité, le snob de moyenne envergure, le cockney débonnaire qui, toute sa vie, a rêvé le voyage à Rome et fait des économies pour réaliser son rêve: moyennant cinquante livres, un entrepreneur l'a expédié sur le Corso avec une caravane d'autres cockneys aussi modestes et aussi dociles que lui. Tout est réglé d'avance: le rosbif qu'il mange à dîner, la tasse de thé qu'il boit le matin et le soir, la ruine qu'il doit admirer aujourd'hui et le monument devant lequel il poussera en chœur, avec ses compagnons, l'aoh traditionnel. Chaque jour il avale consciencieusement sa dose de tableaux et la bouteille de vin de bordeaux frelaté à laquelle il a droit. On lui dit : « Venez ici, » et il vient; «Allez là, » et il y va; « Regardez ceci, » et il regarde; « Tournez la tête à droite, à gauche, en haut, en bas, en avant, en arrière, » et il la tourne. On lui apprend la longueur exacte de SaintPierre, la hauteur de la coupole et la dimension des statues ces renseignements instructifs et substantiels enchantent le snob, et il rentre se coucher, pour aller le lendemain matin faire processionnellement le tour du Colisée, monter au sommet, regarder la vue que recommande Murray, compter le nombre des marches et des arcades, et noter sur son calepin que l'amphithéâtre a 546 mètres de circonférence; l'arène 92,57 sur 59m,11; que les gradins et la terrasse pouvaient contenir 107,000 spectateurs, et que le velarium se composait de 240 voiles, maniées par 480 hommes. Le véritable

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