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reçut des lettres patentes, enregistrées en 1725, qui lui conférèrent une existence légale.

A la même époque, le pape Benoit XIII accordait à cette congrégation des bulles de reconnaissance qui furent reçues, en assemblée générale, à la maison de Saint-Yon, le 6 août 1725.

Lors de la réorganisation de l'Université, en 1808, le décret du 17 mars leur conféra à nouveau une existence légale. On vit, à cette époque, des Frères d'un âge avancé reprendre les actives et pénibles fonctions d'instituteurs, en attendant que le recrutement de l'Institut, interrompu pendant la Révolution, vint leur permettre le repos des dernières années.

Les Frères des écoles chrétiennes comptent en France plus de 1,300 écoles, fréquentées par 500,000 enfants, sous la conduite de 8,000 maîtres.

Il n'entre pas dans le cadre de cette modeste étude de donner un aperçu statistique du développement de l'Institut en Europe. Mon but se trouvera suffisamment rempli, si j'ai pu donner quelque idée de la valeur de l'homme qui a attaché son nom à la fondation d'une des congrégations les plus utiles pour le maintien de l'ordre social par la moralisation des classes laborieuses.

GABRIEL CARRON.

JOURNAL DE LA BRUYÈRE

DANS LA MAISON DE CONDÉ1

1684-1685

DÉCEMBRE, JANVIER, FÉVRIER, MARS

LES DÉBUTS DE LA BRUYÈRE A LA COUR

I

Le moment tant désiré de M. le Duc approchait : à Chambord, à Fontainebleau, et surtout depuis que la cour était revenue à Versailles, mademoiselle de Nantes attirait tous les regards; dans les bals, dans les ballets, elle dansait avec un succès fort remarqué. Sa grâce et sa beauté, qui tenaient, disait-on, du roi et de madame de Montespan un caractère particulier, empruntaient à son extrême jeunesse et à son innocence une fraîcheur exquise que les vieux courtisans ne se lassaient pas d'admirer. La faveur du roi brillait sur elle de mille manières : il la conduisait fréquemment dans son carrosse, et la faisait voir à toute la cour, à toute la France, avec une complaisance pleine de tendresse qui décelait ses secrets desseins. Rien de plus beau que cette aurore d'un beau jour. On allait donc la marier, et c'était pour cela que M. le Prince était venu de Chantilly. Mais avant qu'il eût pu s'entendre avec Sa Majesté, il tomba malade, et pendant un long mois, la goutte le retint fort souffrant à Paris.

Pendant ce temps-là, M. le Duc ne demeura pas oisif. Il déploya la plus grande activité dans ses fonctions de grand maître de la mai

Voir le Correspondant du 10 août, du 10 septembre et du 25 octobre 1874.

25 NOVEMBRE 1874.

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son du roi, et gagna à son projet ceux qui ne pouvaient sans quelque jalousie en voir l'accomplissement. Il s'appliqua surtout à se concilier dans cette affaire la bienveillance de la princesse de Conti, de cette merveille de la cour dont la beauté était célèbre jusque dans l'empire du Maroc. Il y mit peut-être un peu trop de zèle : les mauvaises langues firent courir les bruits les plus faux contre lui et la princesse de Conti. Qui avait fait ces rapports? Nul ne le pouvait dire. Il fallait cependant, par un exemple sévère, réprimer une si odieuse calomnie. On soupçonna M. de Thermes. Il eut l'imprudence de venir le soir à l'hôtel de Condé, voir M. le Prince, malade : comme, sa visite faite, il se retirait, des Suisses apostés dans l'antichambre le suivirent et le rouèrent de coups. Il fut rapporté chez lui dans le plus piteux état. Le roi l'apprit, dit Dangeau, et en fut bien fâché. Mais il n'y avait pas de preuves du délit : on ne put châtier les coupables. Le 18 décembre, M. le Prince, guéri, revint à Versailles il demanda au roi de lui faire l'honneur d'accorder le mariage de mademoiselle de Nantes avec le duc de Bourbon. Sa Majesté y consentit de grand cœur, et avec une extrême bonté. Le 19 décembre, le roi s'enferma avec M. le Duc l'après-dinée, et régla tous les marchés de la maison de M. le duc de Bourbon. Ainsi Xaintrailles fut nommé son premier écuyer, et demeura capitaine du régiment d'Enghien. Les autres places furent aussi remplies par des hommes qui eurent l'approbation de Sa Majesté. La Bruyère passa dans le nombre: il suffit à M. le Duc de dire qu'il avait été choisi par l'évêque de Meaux et qu'il avait obtenu l'estime de M. le Prince, pour se faire agréer. D'ailleurs, il ne fut point nommé de gouverneur du jeune prince; M. le Duc remplira ces fonctions, si elles sont nécessaires, et il prenait la Bruyère à son service, pour l'employer comme les autres personnes attachées à l'éducation de son fils. M. le Duc était heureux sa hardiesse à entreprendre de grandes choses, sa persévérance à les poursuivre, sa pénétration dans les affaires, la finesse de son discernement, tous ses rares talents allaient obtenir leur récompense: il croyait être sûr d'avoir les grandes entrées. M. le Prince s'en retourna à Chantilly, bien content d'avoir vu couronner ses vœux les plus chers, en assurant le bonheur de son fils et de son petit-fils. On peut supposer que la Bruyère fut informé de la position qui lui était faite. C'était bien peu de chose aux yeux de M. le Duc, mais pour la Bruyère c'était beaucoup. Le voilà fixé dans la maison de Condé, avec une porte ouverte sur la cour, où il pourra voir sans être vu, entendre sans indiscrétion.

Le duc de Bourbon, revenu à la cour, se rapprochait de plus en plus du roi et de mademoiselle de Nantes. Aux fêtes de Noël, il fit ses dévotions à Paris; mais, le 25 décembre, il assista à Versailles

au sermon sur la Nativité que prononça le R. P. Bourdaloue devant Sa Majesté, et il entendit ce compliment, qui mérite d'être remarqué, parce qu'il fixe une date importante dans le siècle de Louis XIV: « Grâces soient rendues au Dieu immortel, qui nous fait voir ce signe de la crèche respecté, révéré et adoré par le premier roi du monde! Je veux dire qui nous fait voir le premier roi du monde fidèle à Jésus-Christ, déclaré pour Jésus-Christ, saintement occupé à étendre la gloire de Jésus-Christ et à combattre les ennemis de son Église et de sa foi. L'hérésie abattue, l'impiété réprimée, le duel aboli, le sacrilége recherché et hautement vengé, tant d'autres monstres dont Votre Majesté, Sire, a purgé la France et qu'elle a bannis de sa cour, en sont d'éternelles preuves. Le dirai-je?... et pourquoi ne le dirais-je pas, puisqu'il y va des intérêts du Seigneur, et que je parle devant un roi à qui les intérêts du Seigneur sont si chers? De ces monstres que Votre Majesté poursuit, et contre qui elle a si heureusement employé son autorité royale, il en reste encore un, Sire, qui demande votre zèle, et tout votre zèle. L'Écriture me défend de le nommer; mais il suffit que Votre Majesté le connaisse, et qu'elle le déteste. Elle peut tout, et la seule horreur qu'elle en aura conçue sera plus efficace que toutes les lois pour en arrêter le cours. Ils ne soutiendront pas sa disgrâce ni le poids de son indignation; et quand elle voudra, ces vices, honteux au nom chrétien, cesseront d'outrager Dieu et de scandaliser les hommes. C'est pour cela, Sire, que Dieu vous a placé sur le trône, etc. » — « Ce compliment-là, dit froidement Dangeau, fut remarquable. » Pourquoi? Ce n'est pas qu'il fût plus brillant, plus flatteur ou plus éloquent que les autres c'est parce qu'il exposait du haut de la chaire chrétienne le programme politique d'un nouveau gouvernement, parce qu'il proclamait le gouvernement de madame de Maintenon, que le roi épousa vers cette époque. Ce mariage fut tenu secret avec le plus grand soin: la plupart des courtisans l'ignorèrent; beaucoup refusèrent d'y croire. Ils ne pouvaient admettre que la Fortune (on n'osait pas dire la Providence) eût infligé au plus superbe des rois une humiliation si profonde, de le mettre sous la direction de la veuve Scarron. « Cependant tous sentirent, dit Saint-Simon, les effets de l'incroyable puissance de cette femme. » La faveur de madame de Maintenon (ce fut le terme dont on crut pouvoir se servir) éclata alors d'une manière si formidable que tout le monde fut bientôt à ses pieds. Cette faveur ne ressemblait point aux autres. Quoi de plus simple? « Le plaisir d'un roi qui est digne de l'être est, dit la Bruyère, d'être moins roi quelquefois, de sortir du théâtre, de quitter le bas de saye et les brodequins, et de jouer avec une personne de confiance un rôle plus familier. » Voilà tout ce qui paraissait. On

avait appelé cela, en plaisantant, épouser la vertu; mais Louis XIV ne plaisantait guère : malheur à ceux qui ne réformeront pas leur vie comme lui! Il « saura, comme dit la Bruyère, punir sévèrement les vices scandaleux, et donner, par son autorité et son exemple, du crédit à la piété et à la vertu. »

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L'un des auteurs et des témoins du mariage secret fut le R. P. de la Chaise, confesseur de Sa Majesté. On a remarqué que les jésuites acquirent alors un crédit extraordinaire. La Bruyère s'en aperçut. Les RR. PP. Alleaume et du Rosel devaient quitter la maison de Condé le temps de leur engagement auprès du duc de Bourbon était fini. Cependant ils restèrent auprès du duc de Bourbon plus puissants que jamais. M. le Duc écrivit de sa propre main au Père général, de la Société de Jésus à Rome, qui connaissait la considération de la maison de Condé pour son ordre, et lui demanda pour eux la permission de demeurer encore deux ans chez lui pour achever et perfectionner ce qu'ils avaient si heureusement commencé, à la grande satisfaction du jeune prince, de son père et de toute sa famille. Cela fut accordé sans peine; et comme ils n'avaient, pas à craindre que M. de la Bruyère leur portât envie, ils lui permirent de travailler ou vivre modestement à l'ombre de leur crédit. Le R. P. Talon écrivait plus que jamais des lettres folâtres à M. le Prince.

<< 5 janvier 1685. En ma qualité de vice-gérant de notre collége de Chantilly, je renvoyai hier à Versailles les deux petits Pères (Alleaume et du Rosel), qui, grâce à Dieu et à Votre Altesse Sérénissime, sont si gros, si gras, si potelés, que chacun les prend ici pour des petits pères douillets. Je les mets aussi parmi les bienheureux de leurs communautés, particulièrement étant sous vos auspices, sous ceux de Monseigneur le Duc et sous ceux de Monseigneur le duc de Bourbon qui, commençant de marcher sur vos traces, ira certainement bien loin; et je ne m'étonne pas d'ouïr ce que l'on en dit. Mais je voudrais de bon cœur que vous eussiez vu et ouï les deux petits Pères, environnés de vingt ou trente bons Pères jésuites, qui tous, les uns après les autres, leur font des questions sur notre aimable jeune prince. L'un leur demande : « Mais est-il vrai que le << roi ait déjà conçu tant d'estime et d'amitié pour lui? » Ce qui donne sujet à un autre de venir aux détails sur l'affaire dont il s'agit. A quoi tous les autres ajoutent leurs questions aussi : « Mais « est-ce vrai, ceci? Mais cela est il encore vrai? » Enfin, ce qui est le plus plaisant, c'est qu'ils concluent tous par un acte d'humilité qui est encore assez glorieux : « Tout cela fait bien de l'honneur à << notre collége; la poussière de nos hautes et basses classes n'a << rien gâté, etc. >>

Le 6 janvier, le R. P. du Rosel écrivait à M. le Prince pour lui

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