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qu'elle faisait voile vers l'Écosse? Quels étaient les crimes de Marie, lorsque Moray et ses complices, furieux d'être écartés des affaires par son mariage avec Darnley, prirent les armes contre elle, dans le but de l'enlever et de la détrôner? De quel crime s'était-elle rendue coupable lorsque la faction de ce même Moray, pour reconquérir le pouvoir, assassina Riccio qui l'en écartait, tint la reine prisonnière, promit de donner sa couronne à Darnley et délibéra s'il fallait la mettre à mort ou l'enfermer dans une forteresse pour le reste de ses jours'. Tant qu'elle permit à la faction dominante de diriger les affaires du royaume, on lui accorda la paix; dès que, par son mariage avec Darnley, elle se fut déclarée indépendante, Moray et sa faction se tournèrent aussitôt contre elle, sous prétexte que leur religion était menacée, et les conspirations succédèrent aux conspirations jusqu'à sa chute. L'histoire ancienne et l'histoire moderne n'offrent pas d'exemple d'hommes plus pervers que ceux par lesquels cette révolution fut accomplie. A toute l'énergie du Nord ils unissaient toute la perfidie du Midi. « Courtisés à cette époque de réforme par la France et par l'Angleterre, ils étaient également prêts à accepter l'argent de ces deux puissances et à les trahir tour à tour. » Deux minorités successives avaient laissé le champ libre à leur ambition et à leurs rapines; ils avaient maintenant la perspective de voir s'ouvrir une troisième minorité. Afin d'assurer pour des années le triomphe de leur faction, il leur suffisait de détruire la réputation de la reine2.

Quels furent les accusateurs de Marie Stuart, sinon les assassins de Riccio et de Darnley? Toutes les preuves artificieusement accumulées contre elle se sont évanouies peu à peu, grâce à de précieuses et nouvelles découvertes, grâce à l'examen plus attentif et plus désintéressé de la critique moderne. L'assassinat de Darnley ne doit être imputé qu'à la noblesse turbulente et sanguinaire de l'Écosse, et Bothwell ne fut, à vrai dire, entre ses mains qu'un aveugle instrument. Quelle nécessité pour la reine de commettre ce meurtre, puisqu'il lui était si facile de divorcer après avoir rétabli la juridiction du primat, de l'archevêque de Saint-André, et en obtenant l'adhésion de la plus haute noblesse du royaume? L'acquittement de Both well par le jury, qui se prononça en sa faveur à l'unanimité, la sanction de cette sentence par le parlement, la déclaration des nobles en faveur de l'innocence de Bothwell, tout dut faire croire à la reine que celui qui s'était montré jusque-là le plus dévoué de ses sujets n'était pas plus coupable qu'elle-même. Le mariage de la reine

1 J. Gauthier, t. II.

Hosack, Mary queen of Scots and her accusers, t. I", p. 332.

25 NOVEMBRE 1874.

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avec le meurtrier de Darnley fut projeté de longue main par la faction de Moray, afin de la détruire ensuite par le poison de la calomnie. Le bond du souper d'Ainslie, souscrit par vingt-huit des plus grands seigneurs du royaume, ouvrit pleine carrière à l'audace et à l'ambition de Bothwell. Et lorsque, par le rapt, par la lecture du bond qui approuvait le mariage, et par les pratiques de la magie, si puissante sur les imaginations du temps, le bandit eut triomphé des résistances de la reine et l'eut traînée à l'autel, alors la plupart de ces mêmes hommes qui avaient donné leur adhésion à ce mariage et déclaré Bothwell innocent, furent les premiers à l'accuser du régicide et à semer le bruit que la reine était sa complice. « Cette monstrueuse union, on peut l'affirmer, ne fut donc pas la cause de la révolte des lords; elle n'en fut que le prétexte1. » Et ce prétexte, qui l'avait fait naître, sinon ces mêmes lords? « Tous ces complots se ressemblent, dit, avec autant de vérité que d'autorité, l'un des plus récents historiens de Marie Stuart, M. Jules Gauthier: c'est la même mise en scène, les mêmes conspirateurs, le même but et les mêmes causes. Et ces causes sont la cupidité des nobles, leur crainte de perdre tôt ou tard les biens qu'ils avaient usurpés sur l'Eglise et la couronne, la haine furieuse des ministres de la réforme contre le papisme, et, par-dessus tout, l'or et les puissantes intrigues de l'Angleterre; c'est aussi, on ne peut le méconnaître, l'excessive confiance de Marie, et sa facilité à pardonner à des traîtres qui ne profitaient de sa clémence que pour conspirer de nouveau. En sorte qu'un historien a pu dire avec raison que les quelques années du règne de Marie Stuart « ne furent qu'une série de complots et de pardons 2. >>

Il nous reste à parler des dernières péripéties de ce drame terrible, qui se dénoue, à Langside, par la chute finale de la reine, et par sa fuite en Angleterre.

1 J. Gauthier, t. II, pp. 87 et 88.

2 Chalmers.

La suite prochainement.

CHANTELAUZE.

LE

VÉNÉRABLE J.-B. DE LA SALLE

INSTITUTEUR (1651-1719)

J'ignore s'il est saint aux yeux de la religion, mais il est un héros aux yeux de la saine politique.

DE BONALD.

L'enseignement élémentaire des classes laborieuses, qui a reçu de nos jours le nom d'instruction primaire, a été souvent considéré à tort comme un des bienfaits que nous devons aux principes démocratiques que croit avoir inaugurés la révolution de 1789. Cette idée de civilisation et de moralisation par l'instruction n'est cependant pas, comme l'a prétendu autrefois l'école dite libérale et comme le prétend aujourd'hui l'école socialiste, une découverte que nos prédécesseurs n'avaient pas pressentie.

L'éducation du peuple, en général, et des classes pauvres en particulier, avait déjà, dès le huitième siècle, éveillé l'attention de l'Église et des rois.

Une étude, même superficielle des faits, ne laisse aucun doute à cet égard à un esprit impartial; mais l'œuvre forcément interrompue par les désastres des diverses invasions fut toujours reprise aussitôt que la tranquillité d'une phase de paix rendait le calme aux esprits et aux corps.

L'égalité chrétienne a une avance de dix-huit cents ans sur l'égalité civile, et les évêques du moyen åge fondaient et entretenaient les écoles d'enfants pauvres avec le principe absolu de la gratuité; et l'obligation aux parents d'en faire profiter leurs enfants fut par eux imposée par tous les moyens moraux dont ils disposaient.

L'enseignement de la religion était complété par celui de la lecture, de l'écriture et plus tard du calcul et du chant.

La découverte de l'imprimerie et celle de la fabrication du papier, remplaçant le parchemin, avaient donné de grandes facilités à l'enseignement de la lecture et avaient popularisé l'art de l'écriture.

Ce qui manquait, c'était une pépinière non interrompue d'instituteurs capables et honorables qui consentissent à remplir ces fonctions toute leur vie, et non comme un pis aller et par hasard.

Dès la fin du dix-septième siècle, le vénérable de la Salle combla cette lacune immense par la fondation de l'Institut des Frères de la Doctrine chrétienne religieux séculiers, liés par des vœux dont l'un leur interdit d'aspirer au sacerdoce, condition essentielle pour persévérer utilement dans l'ordre d'idées qui avait présidé à la création de l'Institut.

Dans les dernières années du dix-septième siècle, le 24 février 1688, un chanoine du diocèse de Reims vint, à la sollicitation du curé de la paroisse de Saint-Sulpice, prendre à Paris la direction d'une école de garçons, située dans une pauvre maison de la rue Prin

cesse.

Les succès obtenus par l'abbé de la Salle dans la création des écoles de Reims, de Laon, de Rouen, de Rethel et de Guise, avaient attiré l'attention de ceux que préoccupait l'éducation des enfants du peuple, et le curé de Saint-Sulpice, M. de la Barmondière, était de ce

nombre 1.

Quelques détails sur la famille et les antécédents de l'abbé de la Salle nous paraissent ici nécessaires avant d'entrer dans le récit de sa vie active et d'aborder l'exposition de ses méthodes d'enseignement.

Jean-Baptiste de la Salle naquit en 1651, à Reims, où son père exerçait les fonctions de conseiller du roi au présidial. Il était l'aîné de sept enfants, dont quatre se consacrèrent à la vie religieuse. Après d'excellentes études, il succéda, avant l'âge de seize ans, au canonicat de l'un de ses parents, Pierre Dozet, chanoine et chancelier de l'université de Reims, qui se démit en sa faveur après cinquante-trois ans d'exercice, et mourut l'année suivante. Il fut envoyé par son père à Paris pour poursuivre ses études et obtenir le grade de docteur. Entré en 1670 au séminaire de Saint-Sulpice, il -perdit sa mère en 1671 et son père en avril 1672. Devenu par ce double événement chef d'une famille de six enfants, il dut quitter

1 Vie du vénérable J.-B. de la Salle, par un frère. - Fleury, Rouen, 1874. Histoire du vénérable J.-B. de la Salle, par M. Ravelet, Palmė, Paris, 1874.

le séminaire et revenir à Reims pour s'occuper de ses frères et sœurs. A cette époque, une partie de sa famille tenta, en lui mɔntrant ses nouveaux devoirs, d'ébranler sa vocation; mais, quoiqu'il ne fût alors engagé que dans les ordres mineurs, sa résolution était prise.

Il fut peu après ordonné sous-diacre à Cambrai, en 1672, à l'âge de vingt et un ans. Reçu plus tard licencié en théologie à Reims, il fut ordonné diacre en 1677. Il était lié d'amitié avec un riche bourgeois, chanoine de Reims, M. Roland, qui consacrait toute sa fortune et tout son temps à l'éducation et à l'instruction d'une quantité d'orphelins et d'orphelines de la ville.

Tout en le secondant dans ses études, M. de la Salle se préparait à la prêtrise, et fut ordonné, le 9 avril 1678, à Reims, par Mgr Letellier, archevêque, frère de M. de Louvois. L'école dont il avait consenti à accepter la direction à Paris, à la sollicitation du curé de Saint-Sulpice, enseignait deux cents enfants.

Le temps y était partagé entre les leçons de l'instituteur et le travail dans une manufacture de laine, sous la direction d'un habile. ouvrier; en un mot, une véritable école professionnelle. L'abbé qui dirigeait cette école n'avait pas les qualités de l'instituteur et était médiocrement secondé par un jeune homme de peu d'expérience.

L'abbé de la Salle, au contraire, qui avait fondé huit ans auparavant, à Reims, l'Institut des Frères des écoles chrétiennes, s'était acquis une notoriété pédagogique, et le clergé de Paris avait dès longtemps un vif désir de mettre à profit ses méthodes en appelant dans les écoles les Frères de son Institut.

Il est nécessaire d'entrer dans quelques détails de l'organisation de cette école, la première fondée à Paris.

Avant la prise de possession par les Frères, les enfants étaient tous placés dans une même salle où chacun d'eux recevait individuellement les leçons du maître.

L'abbé de la Salle leur fit subir lui-même un sérieux examen, à la suite duquel il les divisa en trois catégories principales, en rapport avec leur aptitude et leur degré d'instruction.

Chacune d'elles eut un maître spécial et une classe séparée.

Le règlement détermina avec soin le moment de la rentrée des classes et celui de la sortie; les heures des leçons et celles du travail manuel furent distribuées et combinées avec intelligence. La surveillance, de la part des Frères, devait être continuelle. C'est par leur exemple qu'ils devaient surtout habituer les élèves à l'amour de l'ordre et à l'obéissance aux moindres prescriptions du règlement.

La connaissance de la religion était le but essentiel de l'Institut,

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