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elle. Les conjurés pensèrent que l'heure était venue; « ils ne perdaient pas de temps. Ils étaient prêts à rappeler Moray, leur véritable chef, dès qu'ils auraient besoin de ses services; ils étaient sûrs de Lethington; mais il était nécessaire d'agir avec prudence. Bothwell était d'une autre trempe que son prédécesseur, et, outre ses nombreux vassaux, il était le maître des deux plus grandes forteresses de l'Écosse, Édimbourg et Dunbar1. » Ils se concertèrent donc dans le plus grand secret, et prirent la résolution de recourir aux armes « pour renverser Bothwell et forcer la reine à abdiquer 2. »

Marie, avertie de la conspiration, donna l'ordre à ses sujets (28 mai) de se réunir en armes à Melross, pour le 15 juin, « sous prétexte d'une expédition dans le Liddesdale 3. » Les conjurés, surpris de cet acte de vigueur, essayèrent aussitôt de donner le change sur le but de cet armement. Ils firent courir le bruit que la reine voulait écarter la noblesse de ses conseils, établir le pouvoir absolu et s'emparer de Stirling pour y enlever le prince royal. Vainement Marie essaya de démentir ces impudentes calomnies. Les lords, s'appuyant sur l'opinion, qui s'était rangée de leur côté, se hâtèrent de lever une armée, avant que celle de la reine pût être mise sur pied. Les hommes pervers qui avaient poussé la malheureuse princesse dans les bras de Bothwell étaient maintenant les premiers à faire appel « à tous les sujets loyaux pour la délivrer de cette servitude *.» Cecil les avait pressés de prendre les armes contre Bothwell, « sous peine de partager son infamie; » et ce furent les plus coupables d'entre eux, qui dans la crainte d'être soupçonnés, se montrèrent les plus ardents à réclamer la vengeance du crime. Holyrood était devenu un désert. Tous les lords avaient abandonné la cour, en n'y laissant que Lethington, qui sous couleur de remplir ses fonctions de secrétaire, était chargé de surprendre tous les secrets de la reine. Il fut découvert, et Bothwell, dans un transport de rage, se précipitait déjà sur lui la dague au poing, lorsque Marie se jeta résolûment entre eux et détourna le coup. Lethington, sauvé par la reine, put s'enfuir le jour suivant et alla rejoindre l'un des chefs des conjurés, le comte d'Athol. Tel était le malheureux sort de cette princesse que 'eux de ses amis qui se fussent volontiers dévoués pour elle, osaient peine intervenir en sa faveur, de peur d'être accusés de prendre la défense de Bothwell.

1 Hosack, Mary queen of Scots and her accusers, t. I, p. 335.

* Ex his nuptiis cum Bothvvellio... suspicio reginam cædis fuisse consciam apud omnes invaluit, quam conjurati missis litteris passim auxerunt, et occultis coitionibus Dunkeldiæ, in reginæ abdicationem et Bothvvellii exitium statim conspirarunt.» (Camden, ibid., p. 113.)

Diurnal of occurrents, p. 112, et Keith, t. II; J. Gauthier, t. II.

4 Walter Scott.

En ce moment, les lords rebelles jouaient un double jeu qui leur réussit pleinement. A Élisabeth, qui leur avait promis des secours à la condition qu'ils remettraient entre ses mains le prince d'Écosse, ils laissaient espérer que ce désir serait satisfait, tout en lui faisant craindre que, si elle ne leur prêtait main-forte, ils s'appuieraient sur la France; et à l'ambassadeur de France, ils juraient par la Bible qu'ils n'avaient et n'auraient aucune relation avec l'Angleterre, si Charles IX consentait à être le protecteur du prince d'Écosse1.

Avant d'entamer les hostilités, les conjurés pensèrent qu'il leur était indispensable d'être maîtres du château d'Édimbourg, la plus forte place du royaume. Ce fut l'astucieux Lethington, qui fut chargé par eux de gagner Balfour, commandant de la place. Comment un scélérat de la trempe de Balfour eût-il pu résister aux arguments d'un homme aussi profondément habile que corrompu? Lethington le glaça de crainte en lui insinuant que s'il ne faisait cause commune avec les lords, il passerait pour le complice de Bothwell et qu'il subirait le même sort que lui. En même temps il lui promit honneurs et richesses s'il consentait à se ranger du parti des lords et à trahir Bothwell. La conférence dura trois heures et Balfour consentit enfin à la trahison. Mais, connaissant les fourbes avec lesquels il avait à traiter, il eut soin de prendre ses précautions. Il exigea d'eux qu'ils lui garantiraient, par un contrat signé de leur main, qu'il ne serait jamais inquiété pour aucun de ses actes, qu'il recevrait honneurs et profits, et qu'enfin il serait maintenu dans le commandement du château. « Les honnêtes vengeurs de Darnley » souscrivirent à tous les articles qu'exigeait d'eux cet homme infâme. Maîtres d'avance d'Édimbourg par sa forteresse, ils fixèrent le lieu de leur prise d'armes à Liberton, dans le Mid-Lothian, pour le 8 juin. Ils comptaient de là marcher sur Holyrood sans défense et s'emparer facilement de la reine et de Bothwell.

Avertis à temps, Marie et Bothwell s'enfuirent en secret pendant la nuit du 6 au 7 juin, et, presque certains de la trahison de Balfour, ils se réfugièrent dans le château de Borthwick, à 8 milles au sud de la capitale. Après avoir mis la reine en sûreté, Bothwell courut à Melross à franc étrier, dans l'espoir d'y trouver quelques

Dépêche de du Croc, dans Labanoff et Teulet; J. Gauthier, t. II, p. 64.

2 Lettre de James Beaton à l'archevêque de Glasgow; Laing, t. II, p. 110; llosach, t. I, p. 334.

Mémoires de Melvil; Archives du comte de Morton, miss Strickland, t. V; J. Gauthier, t. II, p. 65. M. Hosack dit que ce fut Lethington qui fut chargé de corrompre Balfour, et il ajoute que les conditions de leur pacte sout restées inconnues. D'autres historiens nomment Robert Melvil comme ayant été chargé par les lords de préparer cette trahison.

* Keith; t. II; Chalmers; J. Gauthier, t. II; Hosack, t. Ier, p. 333.

uns de ses amis. Aucun d'eux ne s'était rendu à son appel. Il revint à Borthwick, plus découragé que surpris de cet abandon1.

Cependant le comte de Morton, qui dirigeait cette nouvelle conspiration comme il avait présidé au meurtre de Riccio, fit appel, avec lord Hume, aux chefs des borders, et, à la tête de mille à douze cents chevaux environ, ils marchèrent sur Borthwick. Les conjurés tentèrent de s'en faire ouvrir les portes en se disant des amis de Bothwell que poursuivait l'armée rebelle. Mais celui-ci ne donna pas dans le piége, et, certain du sort qui l'attendait s'il tombait vivant aux mains de ses ennemis, il se sauva par une poterne hors de la vue des assaillants, abandonnant la reine à qui, pour toute défense, il ne restait que quelques-uns de ses serviteurs3. Dès que les lords eurent appris sa fuite, afin de laisser supposer qu'ils n'en voulaient qu'à lui seul, ils tournèrent bride sans forcer les portes de Borthwick et marchèrent sur Édimbourg. Chemin faisant, ils furent rejoints par le comte de Marr, qui, mettant en oubli tous les bienfaits de la reine, se déclarait hautement pour la révolte et la propageait par son exemple.

D'un autre côté arrivaient lord Lindsay et les lairds de Lochleven, de Tullibardine et de Grange, avec sept ou huit cents chevaux. Vainement la reine avait demandé du secours aux bourgeois d'Édimbourg. Il fut ordonné par le conseil, sous prétexte que le pillage était à craindre, que personne ne sortirait de la ville. Pendant ce temps-là, les amis de Marie, Huntly, beau-frère de Bothwell, l'archevêque de Saint-André, les évêques de Ross et de Galloway, l'abbé de Kilwinning, se disposaient, avec leurs gens, à défendre les portes de la ville, complant sur l'assistance du prévôt, qui les trahissait, et des bourgeois, qui avaient été travaillés par les ministres presbytériens". Lorsque les rebelles arrivèrent, le 11 juin, devant les portes, ceux à qui la garde en était confiée les laissèrent pénétrer sans la moindre résistance, et les amis de la reine, se voyant abandonnés, cherchèrent un refuge dans le château ".

1 Récit du capitaine d'Inchkeith, dans Teulet, Lettres de Marie Stuart, Supplément, p. 115.

2 « Il est inutile de rappeler que ces deux chefs avaient signé le bond favorable au mariage de la reine et de Bothwell, dont ils conspiraient maintenant la ruine. >> (Hosack, t. I, p. 353.)

3

Drury à Cecil, 12 juin 1567; State papers office; J. Gauthier, t. II, p. 65.

4 Récit du capitaine d Inchkeith, dans Teulet, Supplément, p. 116; Diurnal of occurrents, p. 112; Du Croc au roi, dans Labanoff, t. VII, p. 103; J. Gauthier, t. II, p. 66.

Récit du capitaine d'Inchkeith, dans Teulet, p. 116, el Beaton à son frère, dans Laing; J. Gauthier.

6 Jules Gauthier, t. II.

Aussitôt les lords, s'emparant du pouvoir, établirent un gouvernement provisoire auquel ils donnèrent le nom de conseil secret'. S'arrogeant le titre de Lords de la noblesse et du Conseil du royaume, ils lancèrent une proclamation aux habitants d'Édimbourg, dans laquelle ils soutenaient que la reine, n'étant plus libre, était hors d'état de gouverner son royaume et de punir les régicides. En conséquence, ils les appelaient aux armes, dans le but, disaient-ils, de la délivrer, de sauver le prince enfant et de laver dans le sang des meurtriers la honte de l'Écosse. Ils enjoignaient en même temps aux magistrats, sous peine d'être déclarés complices du meurtre de Darnley, du rapt de la reine et ennemis du prince royal, de rétablir le cours de la justice. Dès que la nouvelle parvint à Marie que les lords étaient maîtres d'Édimbourg, elle donna l'ordre au commandant de la citadelle de les en faire sortir « de gré ou de force. » Mais le traître, levant le masque, se hâta de leur communiquer cet ordre et resta dans l'inaction. Le lendemain, 12 juin, les rebelles ayant établi le siége de leur gouvernement au Tolbooth, publièrent une nouvelle proclamation: « Les lords du conseil secret et de la noblesse, y disaient-ils, considérant que le comte de Bothwell a porté des mains violentes sur la très-noble personne de la reine, le 24 avril dernier, qu'il l'a ensuite détenue prisonnière à Dunbar et ailleurs, sous la garde d'hommes d'armes et de parents dévoués à ses projets, privée de tout conseil et de tout serviteur; que, pendant ce temps-là, usant de moyens pervers, il l'a contrainte à un mariage honteux, et que, par cela même, ce mariage est nul et sans effet; en conséquence, les lords ont résolu de la délivrer de sa captivité, de poursuivre Bothwell et ses complices pour le meurtre du roi, le rapt et l'emprisonnement de Sa Majesté, et de faire avorter le complot contre la vie du prince royal. » Ordre était ensuite donné, dans ce but, à tous les sujets fidèles, de venir se joindre aux lords et en armes, dans le délai de trois jours 3.

Du Croc, avec l'assentiment de la reine, ayant offert aux lords sa médiation, ils firent valoir devant lui, pour justifier leur prise d'armes, les mêmes motifs qu'ils avaient mis en avant dans leurs proclamations. L'honnête ambassadeur n'hésita point à leur déclarer que leur conduite était une violation flagrante de l'engagement qu'ils avaient pris envers Bothwell «< de soutenir son innocence envers et contre tous, et d'approuver, en l'appuyant, son mariage avec la reine, <«< ce qui, disait-il, avait déterminé Sa Majesté à le conclure, dans l'es

Hosack, t. Ier, p. 334.

* Déclaration des lords, 11 juin 1567; Anderson, t. I; Keith et J. Gauthier. 3 Anderson, t. I, et J. Gauthier, t. II.

poir qu'elle y trouverait son repos et le contentement de son royaume1. » A peine sortis de chez du Croc, à qui ils avaient promis une réponse définitive dans les trois jours, ils tinrent une conférence où ils résolurent de poursuivre leur entreprise. Ils s'emparèrent du trésor; ils battirent monnaie avec tout ce qui leur tomba sous la main, même avec les fonds baptismaux en argent massif qu'Élisabeth avait offerts à Marie pour le baptême de son enfant ; ils firent afficher dans les rues des libelles en vers et en prose contre la reine; du haut des chaires les ministres l'accablèrent d'imprécations, et cinq livres par mois furent promises à tout bourgeois qui prendrait les armes pour la cause des lords. Malgré ces promesses et ces excitations, ce fut à peine s'ils purent réunir deux cents arquebusiers, tant ces «vengeurs de la liberté, » comme l'avouaient eux-mêmes Knox et Buchanan, « trouvèrent de grandes difficultés à cause de la froideur du vulgaire. » Hors quelques fanatiques et quelques intéressés, nul n'était dupe de « ces quelques nobles qui, sous prétexte de mettre la reine en liberté et Bothwell en jugement, n'avaient d'autre motif que de s'emparer du pouvoir par la révolte et de s'enrichir ensuite, ainsi que le prouva leur conduite ultérieure. >>

En présence du danger, la reine agit avec décision et promptitude. Le 11 juin, vers les dix heures du soir, déguisée en homme, elle quitta furtivement Borthwick, monta à cheval et, donnant de l'éperon, elle courut rejoindre Bothwell, qui l'attendait, avec quelques cavaliers, à un mille de distance. La petite troupe partit à fond de train et, à trois heures du matin, elle arrivait à Dunbar. Marie fit aussitôt appel à ses sujets fidèles pour marcher avec elle dans les vingtquatre heures sur Edimbourg. Un grand nombre de gentilshommes des comtés voisins se hâtèrent d'accourir avec leurs vassaux, et, le 14, elle sortait de Dunbar avec deux cents arquebusiers et quatrevingts chevaux. Quelques nobles, déserteurs de la bannière de lord Hume, vinrent se joindre à elle. Prendre l'offensive était une faute capitale. En s'enfermant avec ses arquebusiers dans le château de Dunbar, Marie eût été à l'abri de ses ennemis, dépourvus d'artillerie et de munitions. « Si, de là, elle eût publié le bond du souper d'Ainslie, elle pouvait sans effort recouvrer son autorité. » Tous ceux des

Du Croc à Charles IX, 17 juin, Annexe à la dépêche de ce jour, Labanoff, t. VII, p. 125.

2 Lettre de Beaton, dans Laing, Appendix; J. Gauthier; Hosack, t. Ier, p. 334. Ibidem; Chalmers, t. I, et J. Gauthier, t. II.

4 Knox, Buchanan, Spotiswood; J. Gauthier.

Historie of James the sext, citée par J. Gauthier.

• Toutes ces considérations que fait valoir M. Jules Gauthier sont de la plus grande justesse, et dénotent une fois de plus avec quelle profondeur et quelle

10 NOVEMBBE 1874.

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