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termination du dernier Bakalais. Mais quand le jour vint, toute cette ardeur était singulièrement refroidie. On cut grand'peine à rassembler les combattants; ils partirent cependant, entassés dans de grandes pirogues de guerre. A moitié chemin, on avait déjà décidé qu'on tâcherait de palabrer avant de se battre. Aux trois quarts de la route, l'un des Gallois insinua, au milieu de l'approbation générale, que ce serait folie de faire la guerre sans le roi N'Combé, le destructeur de Bakalais, qui était en ce moment en voyage. En conséquence, les pirogues firent volte-face et l'on attendit N'Combé. A son retour, ce nouvel Ulysse dit à ses sujets : « Vous êtes insensés; vous voulez attaquer les Bakalais d'ici, mais ne savez-vous donc pas qu'ils sont préparés à la guerre? Descendez au lac Izanga, nous tuerons tous les Bakalais qui habitent de ce côté-là et qui ne peuvent s'attendre à rien. » Les Gallois admirèrent une fois de plus le génie de leur roi et ils allaient partir pour cette expédition, lorsque l'agent de la factorerie, qui faisait un commerce fort lucratif avec les Bakalais qu'on allait massacrer, offrit à N'Combé et à ses hommes vingt-cinq gallons de rhum s'ils voulaient renoncer à leur vengeance. L'offre était séduisante et fut acceptée : c'est ainsi que ce grand palabre, qui devait faire couler des flots de sang, ne fit couler que des flots de rhum.

Cependant le moment était venu de faire, avant notre départ pour l'intérieur, le court voyage dont j'ai précédemment expliqué la nécessité. Il nous fallait sept à huit jours (en descendant le fleuve) pour gagner l'établissement français: au 15 octobre nous serions de retour chez le roi-Soleil, et, un mois ou cinq semaines plus tard, nous atteindrions les pays inconnus des Okandas. Tels étaient du moins nos calculs, selon toute prévision, très-raisonnables. Mais l'homme propose et Dieu dispose de longues tribulations nous attendaient encore avant que nous pussions mettre le pied sur cette terre promise des Okandas.

Marquis DE COMPIÈGNE.

La suite prochainement.

MARIE STUART

ET LES CAUSES DE SA CHUTE

D'APRÈS LES DERNIERS TRAVAUX PUBLIÉS EN ANGLETERRE

EN ÉCOSSE ET EN FRANCE 1

VIII

A l'issue de la cérémonie nuptiale, Marie Stuart manda du Croc auprès d'elle, et il fut témoin de sa désolation : « Ce mariage, écrivaitil à Catherine de Médicis trois jours après, est très-malheureux, et déjà l'on n'est pas à s'en repentir. Jeudi (le 15 mai), Sa Majesté m'envoya querir, où je m'aperçus d'une étrange façon entre elle et son mari; ce qu'elle me voulut excuser, disant que si je la voyais triste, c'était parce qu'elle ne voulait se réjouir, comme elle dit ne le faire jamais, ne désirant que la mort. Hier, étant enfermés tous deux dedans un cabinet avec le comte de Bothwell, elle cria tout haut qu'on lui baillât un couteau pour se tuer. Ceux qui étaient dedans la chambre l'entendirent; ils pensent que si Dieu ne lui aide qu'elle se désespérera. Je l'ai conseillée et confortée du mieux que j'ai pu, ces trois fois que je l'ai vue. Son mari ne la fera pas longue, car il est trop haï en ce royaume, et puis l'on ne cessera jamais que la mort du roi ne soit sue. Il n'y a ici pas un seul seigneur de nom que ledit comte de Bothwell et le comte de Crawford; les autres sont mandés et ne veulent point venir2. >>

Ainsi cette princesse qu'on nous a montrée comme follement amoureuse de Bothwell, était le jour même de son mariage, la plus

Voir le Correspondant des 10 juin, 25 juillet, 25 août, 25 septembre 10 novembre 1874.

2 Du Croc à Catherine de Médicis, 18 mai 1567; Labanoff, t. VII, p. Hosack, t. I, p. 328, 329.

110 et 111.

malheureuse des femmes 1. Le vide commençait à se faire autour de Marie et de l'assassin de Darnley. Bothwell, qui n'avait cessé, jusqu'au jour de son mariage, d'entourer la princesse de témoignages de respect et d'amour, avait jeté le masque dès qu'elle fut devenue irrévocablement sa proie. Il laissa éclater, sans la moindre dissimulation et dans toute leur violence, ses passions sauvages, ses instincts féroces. « Ce misérable, dit Melvil, traitait la reine avec tant de dédain, l'accablait de tant de reproches..., il était avec elle si brutal et si soupçonneux, qu'il ne lui laissait pas passer un jour en paix, et sans lui faire verser en abondance des larmes amères. »

Le meurtrier du père avait déjà soif du sang de l'enfant; il avait hâte de détruire d'un seul coup l'héritier légitime et le vengeur. Il osa démasquer son affreux projet et tenta d'arracher à la mère l'ordre de lui livrer l'enfant. De là, des luttes horribles entre elle et le monstre déchaîné*. Marie sut lui résister avec le courage d'une mère. Elle envoya secrètement à Stirling l'évêque de Ross pour enjoindre derechef au comte de Marr de ne remettre son fils, sous aucun prétexte, à d'autres qu'à elle-même. La santé de la reine fut si profondément altérée en peu de jours par ces affreuses scènes, que Drury, dans la semaine qui suivit son mariage, écrivait à Cecil : << Que l'on n'avait jamais vu femme changée à ce point, en si peu de temps, hors le cas d'une grave maladie. »

« Comment accorder ce désespoir avec sa prétendue passion pour Bothwell? dit M. Hosack. La mère d'Hamlet avait commis les crimes. reprochés à Marie Stuart, elle avait été complice du meurtre de son mari, elle avait épousé le meurtrier. Qu'aurait-on pensé si Shakespeare l'eût représentée le cœur brisé, le jour de son mariage? Mais

↑ « Un tel état, dit M. Hosack, ne s'accorde guère avec un attachement réel, mais il s'accorde avec le récit de Marie, à savoir, qu'elle fut forcée par des circonstances terribles de consentir à ce fatal mariage.» (T. I, p. 322.)

2 Mémoires de Melvil, p. 81; llosack, t. Ier, p. 528.

Bothwell, dans sa confession, avoua que, « le mariage cotisommé, il cherchait tout moyen à faire mourir le petit prince et toute la noblesse qui n'y voulait entendre. » (Teulet, Supplément, p. 242.)

4 Mémoires de Melvil, p. 179; J. Gauthier.

5 Drury à Cecil; State papers Office; miss Strickland, t. V, p. 295; J. Gauthier, t. II, p. 60.

6 Drury à Cecil, 20 mai 1567; State papers office; J. Gauthier, t. II, p. 60. «Pendant trois semaines après son mariage, la reine resta à Holyrood plutôt la prisonnière que la femme de Bothwell. Elle était toujours entourée de gardes, et la description de sa vie donnée par Melvil s'accorde parfaitement avec la relation de du Croc. Elle ne passait pas un jour sans verser des larmes, et il ajoute que, même les partisans de Bothwell croyaient qu'elle aurait bien désiré en être débarrassée (p. 82). Ce soupçon est amplement confirmé par les événements qui suivirent.» Hosack, t. I, p. 333.

le grand interprète des sentiments humains n'a pas laissé une peinture qui eût révolté à ce point le sens commun. Gertrude de Danemark, esclave d'une passion coupable, ne trahit aucun symptôme de malaise au milieu des scènes les plus émouvantes; sa conscience endormie n'est réveillée que par les cruels reproches de son fils. Si ces peintures immortelles sont fidèles à la nature, comment concilier la conduite de Marie Stuart qui, suivant ses ennemis, avait atteint le but de ses désirs et de tous ses crimes, avec l'ardente passion qui respire dans les prétendues lettres de Stirling? Ces questions n'admettent qu'une réponse. La conduite de la reine d'Écosse, à cette époque de son histoire, ne peut s'expliquer que par une profonde aversion pour un mariage auquel elle avait été contrainte par l'ambition forcenée de Bothwell et par la perfidie sans égale des nobles1. >>

Il restait à notifier ce déplorable mariage aux princes étrangers. Marie envoya en France l'évêque de Dunblane porteur de ses instructions; elle expliquait comment, victime d'une inexorable nécessité, elle avait été condamnée à courber la tête, et, soit par contrainte, soit par un sentiment de dignité, elle cherchait à justifier Bothwell en énumérant toutes ses qualités et les services qu'il avait rendu jusqu'alors à sa cause. Elle déplorait la faute qu'elle avait commise en se laissant imposer un mariage protestant et réclamait à la fin, en faveur de Bothwell, toute l'indulgence du roi de France, de la reine mère et du cardinal de Lorraine. « L'événement est étrange, écrivait-elle d'un autre côté à l'archevêque de Glasgow, son ambassadeur, qu'elle avait chargé aussi de faire agréer ses explications à la cour de France; il est bien différent, j'en suis persuadée, de ce que vous auriez désiré ; mais puisque c'est un fait accompli, nous devons le prendre le mieux possible, et tous ceux qui nous aiment doivent faire de même par égard pour nous. » Tandis que Marie cherchait des excuses à son mariage, Bothwell s'en glorifiait avec la plus aveugle forfanterie : « Je suis convaincu, écrivait-il à ce même archevêque de Glasgow, qu'il avait chargé de notifier cet événement au roi de France et à la reine mère, qu'aucun gentilhomme, se trouvant dans le même cas que moi, n'aurait rien négligé de ce que j'ai tenté 3. >>

Marie Stuart envoya Robert Melvil, auprès d'Élisabeth, dans le même but. Le traître « ne devait profiter de sa mission que pour

Hosack, Mary queen of Scots and her accusers, t. I, p. 329 et 330. Marie à l'archevêque de Glasgow, 27 mai 1567; Labanoff, t. II, p. 54. 3 Stevenson's Illustrating..., p. 178; J. Gauthier, t. II.

▲ Il était frère de James Melvil, l'auteur des Mémoires. (Hosack, t. Ior.)

trahir la confiance de sa maîtresse, transmettre le message jurės, solliciter pour eux les secours de l'Angleterre, et avertir Moray des progrès de la conjuration'. » Melvil était porteur d'une lettre de Bothwell, pour Elisabeth, dans laquelle il lui assurait qu'il ne négligerait rien pour maintenir l'alliance anglaise et pour lui prouver son zèle et son dévouement".

Bien qu'il fût aussi inaccessible à la crainte qu'aux remords, Bothwell ne négligeait pas les conseils de la prudence. Sentant que la haine du peuple s'accumulait de jour en jour contre lui, il tenta, mais vainement, de la dissiper en donnant des jeux publics, auxquels la reine et lui assistèrent dans toute la pompe de la royauté. II l'avait contrainte à quitter ses vêtements de deuil, et il affichait à son égard toutes les marques extérieures du respect; mais il ne pouvait échapper à personne que c'en était fait de la liberté de sa victime. Nul n'osait approcher la reine sans la permission de l'ombrageux tyran qui l'étreignait de son gant de fer. Essayait-elle de faire un pas, elle était aussitôt suivie d'une troupe d'arquebusiers qui la gardaient à vue3.

Les tentatives de Bothwell pour caresser le fanatisme des ministres presbytériens ne furent pas plus heureuses. Ce fut en vain qu'au sein de la congrégation il déclara publiquement qu'il se repentait des fautes de sa vie passée, et qu'il promit avec humilité de s'amender et d'obéir aux préceptes de la nouvelle Église*. Ce fut en vain qu'il assista plus régulièrement aux prêches et que, pour donner aux ministres « un gage plus certain de sa conversion et de son dévouement à la réforme, » il révoqua un récent décret de la reine en faveur de la liberté de conscience et rétablit les pénalités contre ceux qui ne se conformeraient pas au culte protestants.

Rien ne pouvait effacer les soupçons et le mépris, rien ne pouvait calmer la haine et l'horreur qu'inspirait le meurtrier. Pour le plus grand nombre, le mariage de la reine semblait une preuve accablante de sa complicité, et ses ennemis, par des lettres semées à profusion, ne négligeaient rien pour fortifier l'accusation. Peu de personnes savaient à quelles fatales nécessités Marie Stuart s'était crue obligée d'obéir. Les apparences et la rumeur publique étaient contre

Jules Gauthier, t. II, p. 61, d'après les Lettres de Lethington à Cecil, 21, 28 juin et 1er juillet; de Morton et des lords, 26 juin; de Robert Melvil, 28 juin, 1er et 8 juillet; Thorpe, t. I, p. 249, 250 et 251; Hosack, t. Ier.

2 Bothwell à Elisabeth, 5 juin 1567; State papers office; Tytler, J. Gauthier.

3

Drury à Cecil, 20 mai 1567; State papers office; Tytler, miss Strickland, Jules Gauthier.

Drury à Cecil, 20 mai 1567; State papers office; J. Gauthier, t. II, p. 62. 5 Drury à Cecil, 20 mai 1567; State papers office; J. Gauthier, ibid. Camden, édition de 1625, p. 113.

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