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LES VOLONTAIRES D'UN AN

D'APRÈS LA LOI DU 27 JUILLET 1872

Les volontaires d'un an, par C. PHILEBERT, colonel au 36° de ligne.

Bulletin de

la réunion des officiers, n° 40. Journal d'un volontaire d'un an au 10° de ligne, par M. VALLERY-RADOT. 1 vol. in-12, Hetzel, édit.

Deux contingents de volontaires d'un an sont maintenant rentrés dans leurs foyers, et ils ont fait partager à leurs familles et à leurs amis les impressions qu'ils ont éprouvées et les appréciations qui leur ont été suggérées par la vie militaire qu'ils ont menée. De ce côté, l'opinion qui commence à se former n'est pas entièrement favorable à la nouvelle institution, et l'on se plaint que l'armée ne sache pas tirer un parti meilleur des hommes qu'on lui envoie, surtout quand ce sont des jeunes gens d'élite, remarquables par leur instruction et leur capacité. De l'autre côté, la question, traitée au point de vue de l'armée, a soulevé aussi des objections très-graves de la part de militaires qui se sont appuyés sur des faits qu'ils avaient eux-mêmes constatés. Cette situation nous porte à examiner ici sous ses différents aspects cette grave innovation, qui doit devenir un élément de la force nationale, mais qui regarde aussi un intérêt social d'un ordre élevé, puisqu'elle touche à ce qu'il y a de plus délicat et de plus vif dans les sentiments de la famille.

Disons tout d'abord que l'épreuve de ces deux années a montré les volontaires d'un an animés, plus encore que les autres soldats, de l'esprit d'obéissance envers leurs chefs et de zèle à remplir tous leurs devoirs.

Les familles n'ont point reculé devant les obligations que les malheurs du pays leur impose. Ici, comme pendant la période de la défense nationale, on a pu voir que les plus distinguées par leur passé, X. SÉR. T. LXI (XCVII DE LA COLLECT.). 4° LIV. 25 NOVEMBRE 1874.

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par la naissance et par leur position sociale, étaient celles qui accomplissaient le plus résolument le sacrifice qui leur était demandé. Les mères ont vu partir leurs fils pour aller apprendre le métier de simple soldat, non-seulement sans gémir, mais en les encourageant à se rendre capables de concourir au plus vite à la défense de la patrie. Elles ont été récompensées dans leurs cœurs, quand elles les ont vus revenir, un an après la séparation, avec une transformation des plus heureuses. Le plus souvent, en effet, une santé éprouvée, un corps robuste, une expression de fermeté, avaient remplacé un teint påle, un corps délicat, un aspect tout juvénile. Le caractère s'était développé comme le physique; l'adolescent était devenu un homme, et mieux qu'un homme, un soldat. La critique ne peut donc avoir à s'exercer que sur les mesures de législation ou d'administration qui concernent cette partie si intéressante de notre armée. La loi du 27 juillet 1872, voulant relever la puissance nationale, a établi cette règle:

<< Tout Français doit le service militaire personnel. »

Puis elle a ajouté, pour délimiter ce service:

<< Tout citoyen peut être appelé, depuis l'âge de vingt ans jusqu'à celui de quarante ans, à faire partie soit de l'armée active, soit des réserves :

« De l'armée active pendant cinq ans;

« De la réserve de l'armée active pendant quatre ans;

« De l'armée territoriale pendant cinq ans;

« De la réserve de l'armée territoriale pendant six ans. »

La même loi ayant voulu faire passer sous les drapeaux la totalité des hommes valides du contingent, et ne pouvant pas les maintenir tous sous les armes pendant cinq ans, a décidé qu'à la fin de la première année le ministre de la guerre fixerait le nombre de ceux qui seraient renvoyés dans leurs foyers.

Une portion des hommes du contingent annuel devant être astreinte à passer une année seulement sous les drapeaux : c'est ainsi qu'il a paru convenable au législateur de déterminer une classe particulière de citoyens qui seraient admis à ne servir qu'un an, moyennant qu'ils rempliraient des conditions spéciales. On les a dénommés les volontaires d'un an.

Le rapporteur de la loi, M. de Chasseloup-Laubat, avait appuyé l'utilité de cette institution sur l'expérience acquise dans un pays voisin, où l'on en obtient des résultats importants, et sur les considérations que voici :

D'abord, le jeune homme qui possède une véritable instruction

apprendra plus vite que tout autre le service militaire; ensuite, il est préférable, dans l'intérêt de la société et de l'armée elle-même, qu'étant destiné à une carrière civile, il interrompe le moins longtemps possible ses études spéciales, et qu'il soit préparé à rendre, en cas de guerre, des services en rapport avec l'aptitude que ses connaissances lui donnent.

Telle est l'idée dont on est parti, alors qu'il ne s'agissait que du volontaire ayant une véritable instruction. Mais, en réalité, la porte fut, comme nous allons voir, toute grande ouverte aux abus. Nous dirons vite pourquoi et comment. L'honorable M. Thiers, d'abord chef du pouvoir exécutif, ensuite président de la république, pendant que la question était à l'étude, exerça sur le parti qui fut pris une influence prépondérante. Il avait eu beaucoup à lutter, à diverses périodes de sa longue carrière politique, contre la proposition, souvent renouvelée, de supprimer la faculté du remplacement. Mais, ne pouvant plus en 1872 ramener les esprits au système pur et simple de la loi de 1832, il employa toute son autorité, qui était grande, pour que du moins le volontariat d'un an fût accessible à tous ceux qui, sous la loi de 1832, se seraient fait remplacer. En fait donc, la loi a placé dans cette catégorie, d'abord les jeunes gens qui ont obtenu des diplômes de bachelier ès lettres, de bachelier ès sciences, des diplômes de fin d'études ou des brevets de capacité; ceux qui font partie de l'École centrale des arts et manufactures, des écoles nationales d'arts et métiers, des écoles nationales des beaux-arts, du Conservatoire dé musique, des écoles nationales vétérinaires et des écoles nationales d'agriculture; les élèves externes de l'école des mines, de l'école des ponts et chaussées, de l'école du génie maritime, et les élèves de l'école des mineurs de Saint-Étienne.

Après cela, une seconde catégorie de volontaires d'un an fut formée de jeunes gens qui auraient satisfait à des examens déterminés par des programmes approuvés par décrets rendus dans la forme des règlements d'administration publique. Le ministre de la guerre fut autorisé à en limiter le nombre.

L'engagé volontaire d'un an est tenu de s'habiller, de se monter, s'équiper et s'entretenir à ses frais. Il est soumis à toutes les obligations de service imposées aux hommes présents sous les drapeaux. Il est astreint à des examens déterminés par le ministre de la guerre. Faute d'y satisfaire ou de tenir une bonne conduite, il est déchu de sa condition pour rentrer dans le droit commun.

Un décret du 31 octobre 1872 régla les conditions d'exécution de la loi du 27 juillet de la même année en ce qui concerne les engagements conditionnels d'un an.

Les postulants durent subir deux épreuves successives devant

des examinateurs nommés par le ministre de la guerre et choisis parmi les agriculteurs, les industriels et les commerçants ou parmi des citoyens ayant exercé l'une de ces professions.

Un membre du conseil général dut être joint aux membres des commissions d'examen réunis pour arrêter, sous la présidence du général commandant le département, la liste des candidats admissibles.

La première épreuve dut consister dans une dictée écrite en français. La seconde épreuve en un examen oral et public dont le programme fut fixé d'une manière assez générale et assez vague pour que tous les candidats pussent arriver facilement à y répondre. On peut d'ailleurs remarquer que les commissions d'examen furent composées de membres représentant en majorité bien plus l'intérêt de la famille que celui de l'État.

D'après le programme annexé au décret, chaque candidat dut être interrogé sommairement, selon sa profession et sa spécialité, d'après les indications générales qui suivent :

AGRICULTURE.

Nature diverse des terrains au point de vue de la culture. Engrais et amendements. Climats, saisons, leurs rapports avec la culture. Moyens d'utiliser les eaux ou de s'en préserver. Instruments et machines agricoles. - Méthodes et procédés de culture. Conservation des récoltes. Bestiaux et animaux domestiques.

COMMERCE.

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Formules

Marchandises qui font l'objet de la spécialité du candidat, leur provenance, leur emploi et leur prix de revient. Comptabilité et tenue des livres. Dénomination des livres de commerce. Principales opérations de commerce ou de banque. usuelles du billet à ordre, de la lettre de change, du mandat, du chèque, etc. Signification des principaux termes de commerce ou de banque.

INDUSTRIE.

Caractères et propriétés des matières premières ou matériaux. -Leur extraction, leur préparation, leurs transformations ou leur emploi. -Moteurs, machines, instruments et outils dont le candidat fait habituellement usage. Procédés au moyen desquels il

obtient les produits de son industrie spéciale. produits.

Nature de ces

On ne connaîtrait pas l'intention manifestée par le pouvoir exécutif de cette époque et très-résolûment exprimée par l'honorable M. Thiers, que l'on ne pourrait pas douter, d'après ces programmes, qu'il n'ait eu l'intention arrêtée de rendre l'accès du volontariat d'un an à peu près aussi facile que l'avait été celui du remplacement sous la loi de recrutement du 21 mars 1832.

Un règlement du 7 février 1873 a fixé, conformément aux prescriptions de la loi, la situation des engagés conditionnels d'un an entrés dans les corps de troupes :

Ils sont soumis à toutes les obligations de service imposées aux hommes présents sous les drapeaux.

Ils sont classés dans les compagnies, escadrons ou batteries, vivent à l'ordinaire et logent à la caserne.

Les règlements sur la discipline leur sont applicables sans aucune modification.

Une circulaire ministérielle du 25 octobre 1873 a constaté les résultats satisfaisants obtenus, à la fin de la première année, au point de vue de la bonne conduite des volontaires d'un an. Partout où ils avaient été incorporés, ils s'étaient montrés, par leur discipline, par leur bonne volonté, par les progrès de leur instruction pratique, dignes de servir de modèle aux recrues de leur contingent. La circulaire ne signalait pas tout ce qui leur aurait fait défaut pour devenir capables de remplir les fonctions de sous-lieutenant dans une compagnie, dans un escadron ou dans une batterie; c'était d'abord l'instruction première, pour le plus grand nombre, et pour les autres un enseignement militaire plus habile ou mieux dirigé. Comment s'expliquer cette lacune, et comment s'y prendre pour la combler?

Nous touchons ici à une autre question, car l'armée, considérée au point de vue de son organisation, est une machine dont tous les rouages se meuvent à la fois par une action exercée de l'un sur l'autre. Mais nous ne ferons qu'indiquer chez nous l'absence d'une institution dont l'armée prussienne a tiré un grand parti et qui en est devenue comme le principal moteur, nous voulons parler de l'École supérieure de la guerre, qui, nous en avons l'espérance, ne nous manquera plus très-longtemps.

Dans la première année, les chefs de corps avaient tous consciencieusement examiné quelle était, dans la latitude qui leur était laissée, la conduite à tenir vis-à-vis des volontaires d'un an ; mais ils avaient différé de manière de voir. C'est ainsi que ces volontaires, dans certains régiments, avaient été appelés à former tous ensemble

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