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fois pendant que l'aile remonte. L'aile agit alors comme un cerf-volant, le poids du corps remplaçant la tension de la corde. De même qu'un cerfvolant traîné rapidement s'élève dans l'air, de même l'oiseau, présentant ses ailes à l'air sous forme de plans inclinés, transforme sa vitesse acquise en ascension.

Comme confirmation de cette manière de voir, on reconnaît, à l'inspection de la courbe qui représente les variations de vitesse, que l'oiseau gagne de la vitesse pendant la phase de descente de l'aile, et en perd au contraire pendant la remontée, cette perte de vitesse étant alors compensée par l'élévation de l'animal tout entier. C'est donc pendant la descente de l'aile que se crée tout entière la force motrice qui soutient et dirige l'oiseau dans l'espace.

IV

Telle est l'explication du mécanisme] du vol à laquelle M. Marey a été conduit par ses expériences. Elle diffère peu de la théorie donnée par Borelli, il y a déjà deux siècles 1, confirmée depuis par Strauss-Durkheim, et complétée par Liais, qui a signalé le premier la double action de l'aile : d'abord celle qui, dans la phase d'abaissement de cet organe, soulève l'oiseau, en lui imprimant une impulsion en avant; ensuite l'action de l'aile remontante qui s'oriente à la façon d'un cerf-volant et soutient le corps de l'oiseau en attendant le coup d'aile qui va suivre.

« On nous a reproché, dit M. Marey 2, d'aboutir à une théorie dont l'origine remonte à plus de deux siècles; nous préférons de beaucoup une ancienne vérité à la plus neuve des erreurs; aussi nous permettra-t-on de rendre au génie de Borelli la justice qui lui est due, en ne réclamant pour nous que le mérite d'avoir fourni la démonstration expérimentale d'une vérité déjà soupçonnée. »

Quoique cette théorie soit très-simple et rende compte très-clairement des principales circonstances du vol de l'oiseau, elle n'a pas été adoptée par tout le monde. Elle a été attaquée en particulier, d'une façon assez vive, par M. Pettigrew, le savant professeur d'Édimbourg, dont nous avons déjà rappelé les travaux sur la locomotion terrestre et aquatique. La principale objection que M. Pettigrew fait à la théorie de Borelli, StraussDurkheim, Liais, Marey, etc., c'est que, suivant lui, l'aile frappe l'air en ayant toujours, pendant la descente comme pendant la montée, sa face inférieure dirigée vers le bas et vers l'avant, contrairement à ce qui avait été admis par tous les auteurs qui ont écrit sur le vol. M. Pettigrew ne donne

1 Borelli, De motu animalium (Rome 1680), pars prima, propositiones 195 et seq. Marey, 1, op. cit., p. 284.

2

3 Pettigrew, La locomotion chez les animaux, p. 306 et suiv..

pas d'autre preuve de cette assertion que l'affirmation qu'il a constamment observé le fait. Or tout le monde sait combien il est difficile de discerner quelque chose de bien net dans la seule inspection d'un oiseau pendant le vol, tant la rapidité de ses mouvements est grande. Donc, jusqu'à preuve expérimentale du contraire, j'admettrai, avec la plupart des auteurs, que, pendant le coup descendant, l'aile de l'oiseau dirige sa face inférieure plus ou moins vers l'arrière. S'il en était autrement, il serait trèsdifficile d'expliquer comment la résistance de l'air pourrait donner naissance à une composante ayant pour effet de pousser l'oiseau dans le sens de son mouvement.

M. Pettigrew propose, en opposition aux idées généralement admises jusqu'à présent, une nouvelle théorie du mécanisme du vol, qui, à mon avis, donne prise à de plus nombreuses et plus sérieuses objections. D'après le savant anglais, l'aile de l'insecte, de la chauve-souris ou de l'oiseau, de même que l'extrémité du bipède ou du quadrupède et la queue du poisson, doit être considérée comme une vis ou une hélice, par sa structure et par son fonctionnement'. L'aile, fût-elle construite en forme d'hélice, ne pourrait pas fonctionner comme telle; car les muscles ne peuvent lui communiquer qu'un mouvement alternatif, et, en admettant qu'elle pivote plus ou moins sur son axe, cette rotation serait suivie d'une rotation égale en sens inverse, qui détruirait complètement l'effet produit par le mouvement précédent.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, M. Pettigrew affirme, comme fait constant d'observation, que la face inférieure de l'aile de l'oiseau est toujours dirigée vers l'avant. Comment alors se produit la force de propulsion qui fait avancer l'animal? C'est ce qu'il est bien difficile de se figurer par la lecture des rares passages où l'auteur anglais s'explique à ce sujet. Il prétend que l'action propulsive s'exerce aussi bien pendant la descente que pendant la montée de l'aile. S'il en était ainsi, la vitesse de l'oiseau ne devrait pas diminuer pendant la montée, comme l'a constaté M. Marey. D'autre part, M. Pettigrew dit que l'aile agit comme un véritable cerf-volant, à la fois pendant les coups descendant et ascendant; mais alors on peut se demander à quel moment se produit l'accélération du vol, puisque l'action de cerf-volant a pour effet de diminuer la vitesse en la transformant en ascension ou en soutien? Enfin il est très-facile de constater qu'au moment où un oiseau veut s'arrêter dans son vol, pour se poser à terre, par exemple, il porte franchement ses ailes la face inférieure en avant, éteignant ainsi sa vitesse par la résistance de l'air. Comment pourrait-il se faire que le même mouvement lui permît à la fois de suspendre et d'accélérer son Yol?

Pettigrew, op. cit., p. 188.

V

Est-il possible de reproduire artificiellement les mouvements du vol des oiseaux et de construire des appareils pouvant servir à la locomotion aẻrienne? Pendant longtemps le problème a paru sinon impossible, du moins extrêmement difficile à réaliser. Aujourd'hui que la structure et le fonctionnement des organes du vol naturel ont été étudiés d'une manière plus approfondie et vraiment scientifique, des hommes tels que M. Marey et M. Pettigrew, dont on peut dire pour le moins qu'ils sont des savants sẻrieux, n'hésitent pas à affirmer que la construction d'une machine volante est possible, et tous deux, à la suite de leurs études sur le vol des animaux, se sont mis à l'œuvre pour trouver les moyens de la réaliser.

M. Pettigrew s'est borné, jusqu'à présent, à construire des ailes artificielles capables de reproduire les mouvements des ailes naturelles telles qu'il les conçoit. Le caractère distinctif de ces ailes est de posséder dans toutes leurs parties une flexibilité comparable à celle des parties correspondantes d'une aile naturelle. Ainsi, dans l'aile ondulée de Pettigrew, la nervure antérieure est formée par une canne effilée élastique : le long de cette canne sont fixées de petites baguettes de baleine recouvertes d'une mince lame de caoutchouc; en outre, la base de cette aile est mobile autour d'un joint universel, et de plus ses mouvements extrêmes sont limités par des bandes élastiques, dont la tension a pour but d'éviter les points morts au commencement et à la fin de chaque battement. En fixant bout à bout sur un axe vertical mobile deux ailes ondulées artificielles, on obtient une hélice ondulée aérienne « qui, dit M. Pettigrew, possède une puissance de support tout à fait étonnante.»>

:

M. Marey a été plus loin que cela il a cherché à construire un appareil susceptible d'exécuter aussi fidèlement que possible les mouvements qu'il avait reconnu caractériser le mécanisme du vol de l'oiseau.

La première question qui se présente consiste dans la détermination de la surface à donner aux ailes artificielles pour qu'elles soient capables de soulever le poids de l'appareil tout entier. On se guide, pour cette détermination, sur une loi qui semble lier les surfaces alaires aux poids des oiseaux dans les différentes espèces animales. M. de Lucy avait fait remarquer que la grandeur relative de la surface d'ailes diminue très-rapidement à mesure qu'augmente le poids des oiseaux ou insectes considérés ainsi les animaux de grande taille et de grand poids se soutiennent avec une surface d'ailes relativement beaucoup moindre que les petits. Plus tard, Hartings, comparant entre eux des éléments de même ordre, montra que dans toutes les espèces d'oiseaux le rapport entre la racine carrée de la surface des ailes et la racine cubique du poids de l'oiseau est à peu près constant. 1 Pettigrew, op. cit., p. 320 et suiv.

* Ibid., p. 347.

Cette loi permet de calculer la surface à donner aux ailes artificielles, étant connu le poids total de l'appareil 1.

Il faut maintenant déterminer la vitesse avec laquelle elles devront vibrer. C'est ici que se manifeste un fait de la plus haute importance pour l'explication du peu de fatigue que dépense un oiseau pendant le vol. Ce fait, constaté successivement par Liais, le comte d'Esterno, Wenham, et formulé comme la loi générale, sous le nom de Principe des pressions successives et instantanées, par MM. Planavergne, consiste en ce que là résistance que l'air oppose à l'aile est d'autant plus considérable que la vitesse de translation horizontale de l'oiseau est plus grande. Cela tient à ce que, en vertu de son inertie, l'air au repos oppose une plus grande résistance que lorsqu'il a été mis en mouvement par la surface pressante. Par suite de la translation de l'oiseau, l'aile, à chaque instant de sa descente, vient agir sur une nouvelle colonne d'air qu'elle tend à abaisser; mais, à cause de la faible durée de la pression qu'elle reçoit, chacune de ces colonnes d'air n'a pas le temps d'acquérir la vitesse de l'aile: elle se comprime donc et présente la résistance maximum de la pression initiale.

M. Marey a vérifié expérimentalement le principe lui-même et son application au vol naturel et artificiel. Il en résulte que, quand l'oiseau artificiel s'envolera, les mouvements de ses ailes devront être beaucoup plus rapides et plus étendus que lorsque le vol horizontal sera établi.

Des essais de vol artificiel basés sur ces principes sont actuellement en cours d'exécution dans le laboratoire de M. Marey : les expériences consistent à comparer sans cesse les appareils artificiels à l'oiseau véritable, en les soumettant aux procédés d'analyse dont nous avons parlé à propos du vol naturel. Les appareils seront modifiés jusqu'à ce qu'ils imitent fidèlement le vol de l'oiseau.

Cette méthode pourra être lente, mais elle a l'avantage d'être sûre. Déjà un jeune et ingénieux expérimentateur, M. Alph. Pénaud, a obtenu, dans cette direction, des résultats encore incomplets, mais cependant assez encourageants. D'ailleurs, depuis quelques années, de nombreux chercheurs se sont lancés dans cette voie, et l'on doit, en particulier, féliciter la Société française de navigation aérienne de l'esprit véritablement scientifique avec lequel elle poursuit la solution de ce problème si compliqué et si difficile. Si jamais le jour doit venir où il sera complètement résolu, il est impossible de prévoir les conséquences de toute sorte qui pourront en résulter; mais on peut affirmer sans crainte que ce jour-là inaugurera une ère nouvelle dans l'histoire de l'humanité.

P. SAINTE-CLAIRE DEVILLE.

Le docteur Hureau de Villeneuve, s'appuyant sur ces considérations, a cherché à déterminer la surface d'ailes qui pourrait faire voler une chauve-souris dont le poids serait celui d'un homme; il a trouvé que chacune des ailes n'aurait pas 3 mètres de longueur. 2 Les mystères du vol des oiseaux dévoilés. par H. et L. Planavergne, Marseille, 1872. Comptes rendus de l'Académie des sciences. Séance du 12 janvier 1874.

3

10 NOVEMBRE 1874.

42

MÉLANGES

MIRABEAU ET SON PÈRE

A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION

Dans la dernière séance publique des cinq académies, M. de Loménie, de l'Académie française, a fait sur les Mirabeau, dont il a commencé depuis plusieurs années, au Correspondant, l'étonnante histoire, une lecture pleine de révélations nouvelles et piquantes, qui a excité un vif intérêt. Cette communication anticipée au public doit nous revenir bientôt avec des développements que ne comportait pas la circonstance où elle a été faite; mais il nous a semblé qu'en attendant le moment peu éloigné où M. de Loménie doit reprendre ici la suite de son travail, et aborder enfin la vie du célèbre tribun, nos lecteurs aimeraient à connaitre aussi quelquesuns des détails que l'historien des Mirabeau a donnés à l'Académie sur la réconciliation du marquis et de son fils, dont il leur a raconté, dans ces pages mêmes, la retentissante et, semblait-il, l'irréparable rupture.

C'est sur ce fait, assez peu connu et assez inattendu, peut-on ajouter, qu'a en effet porté la lecture de M. de Loménie.

On était à la veille des états généraux. Mirabeau, qui, depuis qu'il était sorti de prison, s'était fait par ses pamphlets un nom puissant et redouté, et s'était placé au premier rang parmi les écrivains politiques, aspirait à l'honneur de représenter la noblesse de Provence à l'assemblée qui allait s'ouvrir. Mais il lui fallait, pour arriver à ce but, rentrer d'abord en grâce auprès de son père; car il ne possédait pas de fief, et ne supposait pas encore qu'il pourrait être l'élu du Tiers. De là, de sa part, des manœuvres dont on l'aurait à peine cru capable, et qu'aida inconsciemment la vanité du père, gagné par la renommée chaque jour plus grande que le fils se faisait par ses écrits.

« Ces écrits, dit M. de Loménie, dont la plupart sont des brochures, ont perdu aujourd'hui l'intérêt qu'ils empruntaient aux circonstances, et n'ont

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