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Le récit de Bonitho concorde très-bien, pour le fond, avec celui de Wibert; l'attitude de Bruno, vis-à-vis du peuple et du clergé romain, est identique dans les deux historiens.

<< Étant venu, dit Bonitho, dans l'Église du prince des apôtres, il (Bruno) s'adressa en ces termes, au clergé et au peuple romains : « O hommes, mes frères ! j'ai connu votre désir et je n'ai pas voulu y <<< mettre obstacle; aussi je suis venu vers vous d'abord pour satisfaire « mes dévotions et ensuite pour obéir à vos ordres. » Les évêques et les cardinaux lui répondirent : « Nous t'avons appelé afin de te choisir « pour notre pontite », et l'archidiacre dit à haute voix : « Saint Pierre << a choisi pour pontife le seigneur Léon.» Le peuple approuva ce choix par ses clameurs réitérées ; et, selon la coutume, les cardinaux et les évêques l'intronisèrent sur la chaire du prince des apôtres1. »

On voit que Bonitho, toujours fidèle à lui-même, fait aussi petite que possible la part qu'Henri III avait eue à la nomination de Léon IX; pour lui, c'est l'ambassade romaine qui a seule décidé du choix: ce n'est guère admissible.

Léon IX était à peine intronisé qu'il se trouva aux prises avec de graves difficultés qui faillirent lui faire quitter brusquement Rome et l'Italie pour revenir dans sa chère Lorraine. « Lorsque Bruno fut arrivé à Rome, dit Wibert, les revenus pontificaux lui firent absolument defaut et tout ce qu'il avait apporté fut rapidement dévoré par les dépenses de sa maison et par les aumônes. Les bourses de ceux qui étaient venus avec lui à Rome étaient aussi complétement épuisées. Comme il n'y avait aucun secours à attendre, le seul parti à prendre était de vendre les habits à un prix réduit; avec cette dernière

Wibert distingue le sacre de l'intronisation et place cette dernière cérémonie au 12 février. Cette distinction permet de concilier ce que dit le moine Anselme dans l'Histoire de la dédicace de l'église de Saint-Rémi, à Reims, avec la donnée de Wibert. Anselme écrit: « Apostolicæ dignitatis infulis insignitus in Ypapanti Domini (fête de la Présentation de Notre-Seigneur, le 2 février) in Cathedra b. Petri inthronizatur. » On peut donc dire avec Anselme que le sacre a eu lieu le 2 février, et avec Wibert que l'intronisation a suivi dix jours après, le 12 février.

Jaffe croit que cette distinction est erronée et que la date donnée par le moine Anselme est fausse; il cite à l'appui de son sentiment (Regesta pontif., p. 367) une bulle du 3 février 1052 qui n'est datée que de la troisième année du pontificat de Léon IX. Si, dit-il, Léon avait été sacré le 2 février, comme l'affirme Anselme, la bulle devrait porter la quatrième année de Léon IX. Mais il est facile de répondre que Léon IX a pu faire dater son règne du jour de l'intronisation, c'est-à-dire du 12 février, jour de la prise de possession, et avoir été néanmoins sacré le 2 février.

C'est probablement ce nom de « Ypapanti Domini » qui a induit en erreur un auteur anonyme d'une Vie de saint Léon IX (Ap. Borgia, Mem. ist. di Benevento, II, 313), et lui a fait écrire que Léon avait été sacré « in epiphania Domini. » Cf. Jaffe, l. c.

1 Bonitho, Ad amic., dans Jaffe, Monum. Gregor., p. 632.

ressource on comptait ramener le très-digne pontife dans sa patrie. Mais l'homme de Dieu ne voulait pas entendre parler de ce projet, et recommandait de se confier au secours divin. Toutefois l'affliction de ceux qui l'entouraient lui causait à lui-même une grande peine. A l'approche du jour qu'avaient fixé pour partir secrètement tous ceux qui étaient venus avec lui, voici qu'arrivent à Rome les députés de la noblesse de la province de Bénévent, apportant au pape des présents dignes de la dignité Apostolique, et demandant humblement la bénédiction et les faveurs du pape. Le digne pontife les reçut de la façon qu'ils méritaient, et leur accorda sa bénédiction; les présents qui lui furent offerts le touchèrent beaucoup moins que l'intention qui les lui avait fait offrir. Se tournant ensuite vers ceux que le souci de l'avenir avait jetés dans l'angoisse, il leur fit d'affectueux reproches, et les engagea à ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu1. >>

On se demande si Wibert ne se trompe pas en faisant donner par la noblesse de la province de Bénévent les présents qui tirèrent Léon IX d'un si grand embarras, car, ainsi que nous l'avons raconté, deux ans auparavant, en février 1047, Bénévent s'était montré fort hostile à l'empereur Henri III et au pape Clément II. Le pape avait dû excommunier la ville, et l'empereur en avait brûlé les faubourgs, l'état de son armée ne lui permettant pas de forcer les portes de la ville et de pousser plus loin sa vengeance. Peut-être les Bénéventins avaient-ils voulu, par leur démarche, faire oublier ce précédent et faire lever la sentence d'excommunication prononcée contre eux? Mais les sympathies bien connues qu'ils avaient à cette époque pour l'empire d'Orient rend cette supposition assez peu acceptable. S'il n'y a pas dans Vibert un nom pour un autre, il faut probablement entendre par ces nobles de la province de Bénévent les Normands qui occupaient en effet une partie du pays. Les chevaliers normands auront voulu gagner les bonnes grâces du nouveau pape; mais nous verrons dans la suite qu'ils n'y réussirent guère.

Les présents des Bénéventins ne purent être qu'un palliatif pour passer un moment difficile, et le devoir de Léon IX était de chercher à se créer des ressources moins précaires et moins aléatoires. Il n'avait pour cela qu'à remettre en vigueur les droits de l'Eglise romaine sur plusieurs domaines importants. Léon IX confia cette délicate mission à Hildebrand, en le nommant économe de l'Église romaine. La fermeté de Hildebrand, son talent pour les affaires, sa connaissance des hommes et des choses de l'Italie, lui avaient sans

1 Wibert, dans Watterich, Vita pontificum, etc., t. I, p. 152 et sq.

• On se souvient du texte de Léon d'Ostie: «Cunctam Beneventanam terram Normannis auctoritate sua confirmans. >

doute valu d'être placé à ce poste périlleux. Léon IX le créa en outre cardinal-sous-diacre1, et, à partir de ce moment, Hildebrand eut, dans l'Église romaine, cette grande autorité et cette grande situation qu'il conserva sous différents papes pendant vingt-quatre ans, jusqu'à ce qu'il montât lui-même sur le saint-siége, en 1073..

L'abbé 0. DElarc.

1 Postquam papalem adeptus est dignitatem, venerabilem Hildebrandum, donatorem tam salubris consilii (le prétendu conseil donné à Besançon de déposer les insignes de la papauté) quem ab abbate multis precibus vix impetraverat (nous avons prouvé qu'il n'y avait pas d'abbé de Cluny à l'époque indiquée par Bonitho), ad subdiaconatus provexit honorem. Quem et economum Sanctæ Romanæ ecclesiæ constituit.

(Bonitho, Ad amic., dans Jaffe, Monum. Gregor., p. 632 et sq.)

Didier, abbé du mont Cassin et successeur de Grégoire VII sur le trône pontifical, parle aussi de l'élévation de Hildebrand au sous-diaconat par Léon IX.

« Gregorii (Grégoire VII) itaque pontificis, qui ab eo (Léon IX) educatus ac subdiaconus ordinatus. >>

(Miracula S. Benedicti, L. III, ap. Mabillon, Acta SS. ord. Benedict., IV, 2, p. 453.)

REVUE SCIENTIFIQUE

LE VOL NATUREL ET LE VOL ARTIFICIEL

I

Nous avons montré, dans un précédent article1, en vertu de quels principes sont disposées les surfaces motrices des animaux terrestres et aquatiques, et comment leur adaptation aux différents milieux est combinée pour la meilleure utilisation de la force musculaire. Cet art merveilleux se retrouve à un degré encore plus élevé dans la structure et le fonctionnement des organes de locomotion aérienne. N'est-ce pas un spectacle admirable que de voir l'aisance avec laquelle l'oiseau se meut dans son domaine: capable à volonté d'atteindre les vitesses les plus considérables, ou de suivre avec précision les chemins les plus tortueux, ou de s'élever aux plus grandes hauteurs, il semble avoir sous sa domination cet air si léger auquel il nous semble si difficile d'emprunter un appui. Et cependant il n'y a absolument rien de mystérieux dans la construction de l'insecte ou de l'oiseau : c'est par le jeu naturel de ses ailes, mises en mouvement par les mêmes moyens que les pattes ou les nageoires des animaux terrestres ou aquatiques, que l'animal volant se déplace dans le milieu dans lequel il doit vivre.

Les travaux scientifiques modernes ont successivement détruit les hypothèses fausses par lesquelles on cherchait autrefois à expliquer des phénomènes très-simples, mais qui semblaient devoir être très-compliqués à cause surtout de l'impossibilité où l'on était de les reproduire artificiellement.

Par exemple, pour expliquer la rapide ascension ou la longue durée du vol de certains oiseaux, on admettait que leurs muscles possèdent une force extraordinaire, de beaucoup supérieure à celle des autres animaux. 1 Voir le Correspondant du 10 octobre 1874.

Ainsi, Borelli avait cru pouvoir conclure du volume considérable des muscles pectoraux, que la force employée par l'oiseau pour voler est égale à 10,000 fois son poids; d'autre part, Navier démontrait, par des calculs reposant sur de pures hypothèses, que le travail dépensé pendant le vol par 17 hirondelles équivaut à celui d'une machine d'un cheval-vapeur.

La théorie mécanique de la chaleur nous montre immédiatement l'impossibilité de pareils faits : il est, au contraire, certain que le travail développé par les oiseaux pendant le vol n'est pas considérable. En effet, tout travail mécanique a pour origine une production de chaleur résultant d'une combustion, soit de houille, sous une chaudière à vapeur, soit de substance animale dans le tissu musculaire : si l'acte de voler exigeait une grande dépense de travail, on devrait constater une notable diminution du poids d'un oiseau qui vient d'accomplir un long voyage. Or, il n'en est pas ainsi un pigeon voyageur qui a traversé, d'un seul vol, sans prendre de nourriture, un espace d'une cinquantaine de lieues, pèse à peine quelques grammes de moins qu'au départ.

D'ailleurs, la force musculaire de l'oiseau, mesurée directement par M. Marey sur la buse et sur le pigeon', n'a pas été trouvée sensiblement supérieure à celle des mammifères : tandis que la force spécifique des muscles de l'homme est de 1,100 grammes environ par centimètre carré de section musculaire, l'expérience a donné 1,300 grammes pour la buse et 1,400 grammes pour le pigeon.

D'autres auteurs ont voulu expliquer la facilité avec laquelle les oiseaux exercent le vol, par la présence, dans certaines parties de leur corps, de cellules à air, dont l'effet serait de diminuer considérablement le poids de l'animal on a même été jusqu'à prétendre que ces cellules à air, ainsi que les os creux de certains oiseaux, contenant dans leur intérieur de l'air chaud et, par conséquent, plus léger que l'air ambiant, transformaient le corps de l'animal en une véritable montgolfière, diminuant ainsi beaucoup le travail de sustentation qui doit être produit par le mouvement des ailes. Or il est aujourd'hui bien démontré que les poches à air et les os creux ne jouent aucun rôle dans l'exercice mécanique du vol: les insectes et les oiseaux sont aussi lourds à volume égal que la plupart des autres créatures vivantes, et le vol peut être parfaitement accompli par des animaux qui n'ont ni poches à air ni os creux. En ce qui concerne les cellules à air, il semble probable, d'après les travaux de M. Drosier, de Cambridge2, qu'elles constituent de simples accessoires des poumons, contribuant, dans une certaine mesure, à l'aération du sang, surtout dans les moments où la vitesse de l'oiseau est très-considérable, et, par suite, la circulation de l'air par les narines très-difficile.

1 Marey. La machine animale, page 222.

Sur les fonctions des cellules à air dans le mécanisme de la respiration des oiseaux, par M. W. H. Drosier, 1866.

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