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peu près horizontalement dans le fond des mers ou des grands amas d'eau. Les époques de formation de ces terrains de sédiment horizontaux se font reconnaître par leurs rapports de position, quelquefois par la nature de leurs roches, mais plus souvent et beaucoup plus sûrement par les espèces de corps organisés dont ils renferment les débris. Les géologues sont d'accord sur ce mode de détermination et sur ses conséquences.

«Or, dans un système de montagnes présentant des couches trèsinclinées et des couches horizontales, les couches de sédiment inclinées ont nécessairement été formées avant la révolution qui a soulevé la chaîne de montagnes, tandis que les couches horizontales n'ont pu être déposées dans les vallons ou sur les pentes de cette chaîne qu'après cette révolution. Par conséquent, on pourra établir que l'apparition de cette chaîne de montagnes par soulèvement a eu lieu dans l'intervalle de temps qui a séparé le dépôt des premières couches de celui des secondes. >>

En second lieu, Élie de Beaumont montrait que les chaînes de montagnes soulevées à une même époque sont parallèles à une direction constante, en sorte que, par la seule détermination de cette direction, il a pu établir, avec une très-grande probabilité, les époques de soulèvement de chaînes de montagnes qu'il n'avait pas visitées.

En partant de ces principes, il déterminait, dans ce premier Mémoire, l'âge relatif de quatre grandes révolutions du globe : la première en date, parmi celles qu'il signale, mais qui avait été précédée de beaucoup d'autres, est celle qui a formé les chaines peu élevées de l'Erzgebirge, en Saxe, de la Côte-d'Or et du Forez, en France. Il montre ensuite que les Pyrénées et les Apennins ont été soulevés ensemble, mais à une époque postérieure, puis, plus tard encore, la chaîne des Alpes occidentales, comprenant le Mont-Blanc, et qu'enfin les Alpes du Saint-Gothard sont plus jeunes que le MontBlanc.

Ces révélations du jeune géologue produisirent, dans le monde savant, une émotion profonde dont nous retrouvons la trace dans le rapport d'Al. Brongniart. « Le Mémoire de M. de Beaumont, dit-il en effet, expose certainement l'une des théories les plus nouvelles, les plus hardies et les plus ingénieuses qui aient été proposées depuis longtemps; elle semble même détruire des théories qui ont pour elles l'honorable prévention d'un nom illustre et d'un assentiment général, et qui ont été adoptées, professées par plusieurs des membres de cette Académie. » Le rapporteur concluait en de

1 Le célèbre géologue Jean Werner.

mandant à l'Académie de sanctionner le travail remarquable de M. de Beaumont, et de l'encourager par sa plus haute approbation.

Un pareil accueil n'était pas fait pour l'arrêter dans la voie qu'il venait d'ouvrir l'étude de quatre grandes chaînes de l'Europe occidentale l'avait conduit à sa théorie de la formation des systèmes de montagnes un an après, en 1830, il la confirmait par la détermination de l'âge relatif de cinq nouveaux systèmes. En 1847, vingt et un systèmes étaient reconnus et classés dans la série des révolutions successives de la surface du globe; de plus, l'orientation de chacun d'eux était déterminée exactement. Élie de Beaumont se demanda alors si leurs directions n'étaient pas liées les unes aux autres par une loi dont il y aurait lieu de rechercher la formule. Pour cela, il calcula les deux cent dix angles que formaient entre elles ces vingt et une directions, et en les réunissant autour d'un centre, il reconnut que, par une sorte de caprice apparent, ils se groupaient autour de certains points du quadrant, laissant les autres presque vides.

Ce résultat ne pouvait être dû au hasard : il pensa donc que les axes des chaînes de montagnes devaient faire partie d'un réseau assujetti à un certain principe de symétrie. Or on ne peut placer sur une sphère que deux genres essentiellement différents de réseaux dont les mailles soient formées par des polygones réguliers: un réseau à mailles quadrilatérales et un réseau à mailles pentagonales. Ayant comparé la figure formée par les deux cent dix angles des systèmes de montagnes avec les figures analogues construites pour les côtés de chacun de ces deux réseaux, il reconnut que les angles correspondant au réseau pentagonal seul, coïncidaient remarquablement avec ceux qu'il avait déduits de ses observations. Il en conclut qu'il y avait toute probabilité pour que les systèmes de montagnes fussent répartis sur la surface du globe suivant un semblable réseau le secret du caprice apparent, qui donnait un aspect particulier à la figure formée par les deux cent dix angles, était dès lors dévoilé à ses yeux. Et, en effet, ayant placé sur un globe terrestre un réseau pentagonal en fil de soie, il trouva, après quelques tâtonnements, une position à laquelle correspondait un parallélisme parfait entre les mailles du réseau et les grandes lignes de fracture de la surface terrestre, représentées par les directions des chaînes de montagnes.

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Élie de Beaumont reconstituait ainsi, par une synthèse hardie, la loi de distribution de tous les accidents géologiques qui ont successivement bouleversé l'écorce terrestre mais, par cela même," la théorie par laquelle il coordonne tous ces faits a seulement pour elle une immense probabilité : elle ne sera complétement mise

hors de doute que lorsque la méthode analytique aura pu s'y appliquer et, qu'en un mot, « le Kepler de la géologie aura trouvé son Newton1. >>

Jusqu'à la fin de sa vie, il s'est toujours occupé d'ajouter de nouvelles pierres à l'édifice qu'il avait fondé par ses premiers travaux. Mais si, de temps en temps, il s'éloignait de cet objet, c'était pour éclairer d'une vive lumière la question nouvelle qu'il abordait. C'est ainsi que, dans une Note sur les émanations volcaniques et métallifères, en établissant un lien entre trois ordres de phénomènes en apparence assez éloignés : les volcans, les filons métalliques et les eaux minérales, il formulait, sur ces manifestations singulières des forces naturelles, les conceptions les plus larges et les plus hardies.

Sa méthode d'enseignement se faisait remarquer par les mêmes qualités que ses travaux originaux, ainsi que le prouvent ses Leçons de Géologie pratique. « Assurément, dit l'un de ses élèves', quelques-uns ont pu trouver exagérée cette minutieuse préparation de chiffres, de données numériques dont il faisait précéder sa démonstration finale; mais quelle récompense attendait celui qui l'avait suivi pas à pas dans ce labyrinthe, en apparence inextricable, lorsqu'un rayon éclatant de lumière venait subitement en éclairer jusqu'aux moindres replis et donnait en même temps l'explication et la justification de tous les efforts que le professeur avait demandés à son anditoire! »

Les œuvres d'Élie de Beaumont présentent un caractère de précision et d'exactitude qui donne la preuve du soin avec lequel il observait sur le terrain. Pour lui, la partie principale du travail du géologue devait consister à aller recueillir sur les lieux mêmes les faits sur lesquels il devait ensuite raisonner.

Tout, dans sa manière de voyager, était combiné pour que, dans cette chasse aux faits, comme il appelle lui-même les voyages géologiques3, son attention fût aussi peu distraite que possible de l'objet de ses recherches. Ainsi, sa démarche, la forme de son bagage, la couleur de ses vêtements, étaient choisies de manière à ne jamais exciter la curiosité des habitants des pays qu'il visitait. A son retour, il s'efforçait de décrire, avec la plus grande exactitude, tout ce qu'il avait observé: il avait horreur du vague et de l'à peu près. Cette constatation précise et scientifique des faits pouvait alors ser

1 Ch. Sainte-Claire Deville. Discours prononcé aux funérailles de M. Élie de

Beaumont.

2 Ch. Sainte-Claire Deville. Discours prononcé aux funérailles de M. Élie de

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vir de base solide aux déductions que lui suggérait l'étude de leurs rapports.

C'est dans cette coordination intelligente des observations et dans l'art de saisir leurs liaisons et leurs analogies, qu'Élie de Beaumont a surtout fait preuve d'une intelligence supérieure. Tandis que d'autres, comme Buffon, par exemple, ont cherché plutôt dans leur imagination des théories quelquefois heureuses, mais souvent hasardées, il trouvait, dans le groupement raisonné de faits incontestables, le développement des vues les plus générales et les plus élevées.

Ainsi, d'un côté, recherche extrême de la vérité et de la précision dans les faits, de l'autre, comparaison sérieuse de ces faits, rapprochements les plus ingénieux et souvent les plus inattendus, toujours justifiés et confirmés; enfin, comme déduction naturelle de tous ces rapports, conceptions systématiques, à la fois les plus logiques et les plus grandioses: tel est le double caractère qu'il serait, il semble, injuste de refuser aux travaux de l'illustre maître, et qui leur donne une portée tout à fait exceptionnelle.

Chrétien convaincu, Élie de Beaumont n'admettait pas que l'on pût opposer aux récits bibliques convenablement interprétés les prétendues découvertes de la science moderne. Il ne manquait aucune occasion de flageller d'arguments aussi probants que sarcastiques ceux qui prétendent démontrer la fausseté des textes sacrés en faisant remonter l'apparition de l'homme sur la terre à des époques dont la Bible ne nous aurait pas transmis la tradition. Il aimait au contraire à signaler les concordances que de saines observations ont souvent fait reconnaître, et c'est avec joie et en même temps avec fierté qu'il cite, dans un de ses Mémoires, ces paroles du Psaume cx où il retrouvait une expression aussi juste que poétique de la pensée qui lui avait été inspirée par la science seule «Devant la face du Seigneur, la terre s'est émue; la mer le vit et s'enfuit; les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux. »

P. SAINTE-CLAire Deville.

POÉSIE

ADIEUX AUX ALPES

I

Alpes! forêts, glaciers ruisselants de lumière, Sources des grandes eaux où j'ai bu si souvent, Sommets! libres autels où, dans ma foi première, J'ai respiré, senti, touché le dieu vivant;

Où la terre a, pour moi, dénoué sa ceinture,
Où, dans ses bois obscurs, j'ai rencontré le jour ;
Où mon cœur s'enivrait, aux bras de la nature,
D'un mélange sacré de terreur et d'amour!

C'est à vous que je dois le secret de mon être,
Mes élans vers l'azur et vers la liberté.

Alpes ! désert chéri, vous fûtes mon seul maître;
Mon vrai poëme à moi, vous me l'avez dicté.

Trente ans déjà passés, jeune, ardent, fier, austère,
Chercheur enthousiaste altéré d'inconnu,
Et pressentant l'amour au fond du grand mystère,
Alpes! mes blanches sœurs, chez vous je suis venu.

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