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divin» de ces << impérialistes nous dictant d'avance une constitution et arrêtant entre eux, en dehors du pays, je ne sais quelles dévolutions de la couronne ; » selon lui, le programme du prince Napoléon, ce sont « les larges doctrines économiques, libérales et démocratiques qui constituent le vrai patrimoine napoléonien. » Cette lutte a déjà un premier épisode, on le sait. Le prince Napoléon, tout armé qu'il fût de certaines lettres de Napoléon III qui marquent l'emploi de ce personnage dans la comédie de popularité composée par eux, a été évincé du conseil général de la Corse par le prince Charles Bonaparte, muni d'une lettre par laquelle l'écolier de Chislehurst l'investissait impérialement à Ajaccio de la candidature officielle. Voilà donc dans le parti bonapartiste deux factions, conduites chacune par un César et un ministre; voilà, dans la politique napoléonienne, deux systèmes de gouvernement; voilà, au-dessus du champ de bataille de Sedan, les vautours de l'empire disputant à ses aigles les dépouilles de la France! Spectacle édifiant qui nous fait souhaiter la fin de cette enquête si lente et si embarrassée dont le comité central des bonapartistes est l'objet, depuis plusieurs mois les révélations de cette enquête compléteraient, pour l'instruction de l'Assemblée et surtout des électeurs, les renseignements que ces querelles des Bonaparte nous fournissent déjà.

:

A l'étranger, de très-graves questions se posent dans un certain mystère, où il est difficile encore de voir la vérité et de découvrir la solution. Sans parler de l'Espagne, d'où, depuis huit jours, les fausses nouvelles nous arrivent comme par essaims, et où la fortune semble toujours tout tenir en suspens, c'est à Rome l'affaire de l'Orénoque; c'est à Berlin l'arrestation de M. d'Arnim; c'est surtout à Copenhague la dangereuse contestation que le traité de Prague laisse à régler, dans le Sleswig septentrional, au faible Danemark et à la puissante Allemagne. Il y a, dans ces incidents aujourd'hui mal connus et dans ces débats à peine commencés, des raisons d'anxiété et des causes de trouble, non-seulement pour la France, mais pour l'Europe. Il convient, dans la pénible situation où se trouve notre pays, que ses politiques et ses publicistes ne touchent à ces sujets qu'avec une patriotique prudence; et c'est un devoir qui nous oblige à attendre qu'un peu de lumière éclaire ces obscurités, où sont engagés tout ensemble l'intérêt de la France et l'honneur de son gou

vernement.

L'un des gérants: CHARLES DOUNIOL.

AUGUSTE BOUCHER.

PARIS.

IMP. SIMON RAÇON ET COMP., Rue d'Erfurth, î.

M. DE CHATEAUBRIAND

ET LES MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE1

II

SA VIE POLITIQUE

L'Empire avait passé sur M. de Chateaubriand sans lui faire courber la tête. A la chute de Napoléon, l'écrivain, mis en surveillance, se redressa, un pamphlet vengeur à la main, et l'éclat du succès ouvrit naturellement la carrière politique à l'auteur du Génie du Christianisme, en traçant devant l'homme qui avait si fièrement relevé le drapeau de l'antique monarchie, la seule voie où il pût désormais

marcher.

Dominé par une passion longtemps contenue qui débordait en rompant ses digues, M. de Chateaubriand évoqua l'ombre de tous les tyrans qui font l'horreur de l'histoire, pour en former une sorte de cortège à l'homme qu'il dévouait aux dieux infernaux; et peignant à grands traits ce règne de l'égoïsme servi par le génie, il montra Napoléon usant de la France comme d'un marchepied pour monter au sommet des plus folles ambitions. A l'étranger dédaigneux du sang français qui ne coulait pas dans ses veines, et qu'il avait épuisé sans merci, l'auteur de Buonaparte et les Bourbons opposa la race persévérante qui avait créé la France par un travail dix fois séculaire, dont le nom se confondait avec celui du pays qu'elle avait laissé si grand. Se portant fort pour des princes dont il révélait à la génération nouvelle l'existence alors oubliée, il promit que la liberté guérirait toutes les blessures faites par le despotisme, el que la nation, si souvent déçue dans la poursuite de ses généreux des

Voir le Correspondant du 10 octobre 1874.

A. SÉR. T. LXI (XCVII DE LA COLLECT.). 2° LIV. 25 OCTOBRE 1874.

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seins, verrait un vieux roi, élevé à l'école du malheur, accomplir enfin ses plus persistantes espérances.

Héraut de la monarchie légitime, serviteur résolu de la liberté constitutionnelle, tel M. de Chateaubriand se révéla en avril 1814, et c'est son honneur d'avoir maintenu l'intégrité de cette confession politique au milieu des troubles de sa vie et dans la variété presque sans exemple des événements et des idées.

Personne ne l'ignore : la première Restauration ne fut à aucun degré l'œuvre du parti royaliste, qui, dans l'origine du moins, lui demeura parfaitement étranger. Sorti d'une combinaison que M. de Talleyrand avait fait agréer à l'empereur Alexandre, prince peu attiré vers la maison de Bourbon, mais très-désireux de donner à la France le meilleur gouvernement possible, l'établissement politique de 1814 fut élaboré par le Sénat, au sein duquel la vieille opinion monarchique n'était pas représentée. Préoccupé du soin de garantir ses propres intérêts, et plus encore de celui de se défendre contre le régime dont il avait proclamé la déchéance, après en avoir été le plus servile instrument, ce corps ne trouva pas de moyen plus efficace pour se défendre contre l'homme auquel il venait de déclarer une guerre à mort, que la substitution de la plus vieille dynastie de l'Europe à une famille dont l'ombre même semblait alors avoir disparu. Tout fut calculé avec la prévoyance de spéculateurs consommés, les droits politiques dont le Sénat stipula la consécration au profit du pays, n'étant pas moins nécessaires pour motiver son intervention que pour se ménager à lui-même une place dans l'organisme constitutionnel dont il indiquait les bases.

On pouvait d'ailleurs compter sur le retour de la maison de Bourbon pour donner à ces droits reconnus une portée très-sérieuse, ainsi qu'au jeu des institutions politiques, la vérité qui lui avait trop souvent manqué. Ces institutions allaient être, en effet, chaleureusement invoquées à titre de garantie contre des appréhensions qui ne tardèrent point à envahir la bourgeoisie presque tout entière. Celle-ci ne les témoigna point au début de la première Restauration, parce que le bonheur de retrouver enfin la paix avait fait taire un moment d'implacables antipathies; mais, même avant le 20 mars, le germe latent s'en révélait à tout regard attentif, et lorsque après les Cent jours, l'état de guerre eut succédé à l'état de suspicion dans lequel se tenaient les unes devant les autres les diverses classes de la société, il fut trop facile de prévoir combien de crises intestines l'avenir gardait encore à notre malheureux pays. C'est l'étrange fortune de la royauté légitime de rendre à la France le goût de la liberté politique par les inquiétudes mêmes qu'elle y provoque. Les principes consignés dans l'acte du Sénat, et consacrés par le roi

Louis XVIII dans la déclaration de Saint-Ouen, avec des réserves dont la portée ne fut pas tout d'abord aperçue, assurait à la nation l'établissement d'un gouvernement représentatif complet, avec ses ressorts essentiels et l'usage de toutes les libertés qui en sont inséparables.

Ces garanties fondamentales correspondaient pour M. de Chateaubriand à toutes les traditions qu'il avait rapportées d'Angleterre, où il avait étudié le mécanisme d'un grand gouvernement monarchique fonctionnant sous l'impulsion souveraine de l'opinion. Cet ensemble d'institutions n'était pas d'ailleurs, quoiqu'on l'ait beaucoup répété, une importation étrangère. Le gouvernement par l'opinion est l'état nécessaire de toute nation parvenue à la maturité politique, et l'on peut s'en assurer par ce qui se passe aujourd'hui dans la plus grande partie de l'Europe. Louis XVIII avait dégagé la parole de l'auteur de Buonaparte et les Bourbons en donnant la Charte, et lorsque M. de Chateaubriand voyait tous les esprits sensés acclamer le roi pacificateur, et signer en quelque sorte au contrat qui alors paraissait devoir unir étroitement l'antique dynastie et la France nouvelle, il pouvait se montrer justement fier d'avoir en présence de Napoléon, encore en armes à Fontainebleau, publié à Paris l'écrit réputé « plus utile au roi que ne l'aurait été une armée de cent mille hommes. »> L'importance d'un pareil service venant rehausser l'éclat d'une grande renommée littéraire, semblait, à la rentrée des Bourbons, devoir abaisser toutes les barrières devant M. de Chateaubriand. Mais il n'en fut point ainsi. Ministre dirigeant du gouvernement qu'il avait fait, le prince de Talleyrand, près duquel la noble démission de 180 n'était point un titre de recommandation, avait un intérêt égal à se concilier les vieux compagnons d'exil du souverain et les personnages d'une autre origine politique, qu'il entendait rallier à la monarchie nouvelle en ménageant leurs intérêts et leurs vanités. Ce sceptique conseiller du Directoire et de l'Empire, que le grand jour de la publicité allait rejeter dans une pénombre inévitable, ne pouvait avoir aucun goût pour l'auteur du Génie du Christianisme, adversaire naturel de toutes les causes auxquelles l'ancien évêque d'Autun avait consacré, non sa fidélité, mais ses services. Au dedans comme au dehors on avait déjà disposé de toutes les positions importantes. M. de Chateaubriand, aussi froidement accueilli par M. de Blacas, ministre de la maison du roi, que par M. de Talleyrand, ministre des affaires étrangères, était sur le point de se retirer en Suisse, afin d'y vivre à moins de frais, lorsque sur les instantes supplications de madame la duchesse de Duras, qui, justement indignée d'un pareil oubli, se montra très-orageuse, on découvrit enfin à Stockholm une légation encore vacante, poste secondaire que le re

tour de l'empereur au 20 mars empêcha d'ailleurs M. de Chateaubriand d'aller occuper.

Lorsqu'un gouvernement s'appuie sur deux partis dont le concours simultané lui est indispensable, quiconque n'est résolûment porté ni par l'un ni par l'autre court risque d'être laissé à l'écart, jusqu'à ce que la situation, en se modifiant, vienne faire aux grandes personnalités la place qu'on ne saurait leur refuser longtemps sous un régime de publicité. Dès le début de sa carrière publique, M. de Chateaubriand voulut donner à sa fortune naissante l'appui d'un parti, et ses antipathies naturelles contre l'Empire le poussèrent dans les rangs des hommes de l'émigration, auxquels il appartenait lui-même, quoique l'ensemble de ses idées et les allures de son esprit leur répugnassent invinciblement. Ses précédents de gentilhomme proscrit et d'écrivain religieux le rejetèrent donc, pour le plus grand malheur de sa vie, vers l'extrême droite qui, prétendant seule alors au titre de royaliste, aspirait à s'emparer, comme d'un bien propre, du gouvernement de la monarchie, quoiqu'elle fût absente du salon d'où la Restauration de 1814 était sortie. Professant des idées très-différentes, idées qu'il entendait maintenir en prenant place dans les rangs de ce parti, l'illustre écrivain osa se croire assez fort pour les imposer aux royalistes en caressant leurs passions, et en noyant leurs croyances politiques dans des flots d'encens et de poésie. Sans abandonner aucune de ses théories constitutionnelles, en s'armant tout au contraire de celles-ci contre les ministres de la couronne dans la mesure où il croyait avoir à s'en plaindre, il se fit de la royauté une sorte de religion littéraire et de l'histoire de la monarchie le sujet d'une magnifique épopée. Chantre de la légitimité, poëte élégiaque incliné sur les tombes royales, il concourut plus que personne à fonder ce culte de latrie qui fut alors, et demeure encore de nos jours, pour la monarchie héréditaire, bien moins une force qu'un péril.

Dans cette entreprise poursuivie de sang-froid sous les dehors du plus ardent enthousiasme, il empruntait chaque jour à l'histoire ses tableaux les plus colorés, à la chevalerie ses légendes, à l'hagiographie ses figures vénérées, pour faire cortège à ce pouvoir royal, dont il entendait plus résolument que personne soumettre tous les actes au contrôle permanent des assemblées délibérantes, et à l'appréciation quotidienne d'une presse libre ! De 1814 à 1824, M. de Chateaubriand pensa en libéral et vécut en ultra, ses liaisons politiques ayant été presque constamment en désaccord avec ses pensées intimes. Dans cette situation étrange dont nous aurons à suivre le développement, il prodigua dans la presse royaliste toutes les ressources et toutes les souplesses de son talent, sans parvenir, malgré des

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