Page images
PDF
EPUB

En dépit de soi-même, avoir à son aspect
Cet imparfait amour où manque le respect!
Ah! figure sacrée ! auguste tête blanche!

Depuis lors, Dieu merci, j'ai bien pris ma revanche.
D'où me vint ce tardif bonheur? De cette nuit
Où, surpris par le feu, le hameau fut détruit.
Vous vous en souvenez vous vîtes de quelle âme
Mon père offrait sa vie et marchait dans la flamme;
Comment, tout rajeuni par les périls bravés,
Il revint embrassant deux orphelins sauvės.
Jamais un souvenir semblable ne s'envole!
L'incendie à son front mettait une auréole;
Il se transfigurait sur le brasier fumant.
Je pouvais donc l'aimer dignement, gravement,
Lui rendre les tributs de ma tendresse entière,
Et le montrer à tous et dire : « J'en suis fière! >>

«< Dès lors, grâces au ciel, mon destin fut changé;
Mon cœur de ses fardeaux se sentit allégé.

<< Où cherchais-tu si loin dévoûment, sacrifice?
« L'occasion, me dis-je, est là toute propice.
« Ton père vénéré touche au déclin des jours,
<< Son âge aura bientôt besoin de tes secours,
« Tu les lui donneras, tu seras son bon ange.
<< Plus ce modeste rôle échappe à la louange,
« Plus il est selon Dieu. Rarement il permet,

<< A nous femmes, d'atteindre un glorieux sommet.

<«< Aimer et secourir, et végéter dans l'ombre,

<< N'est-ce point, ici-bas, le sort du plus grand nombre?

<< Fais comme elles, soumets l'orgueil de ton esprit.

<< La vie est un combat, ainsi qu'il est écrit;

« Et Dieu garde là-haut les véritables joies

◄ A qui marche humblement par les arides voies. >> J'essayai; le Seigneur me prêta son appui,

Et mon cœur, moins troublé, lui rend grâce aujourd'hui. »

Ainsi, baissant les yeux, parlait la noble femme,
Et moi, je murmurais dans le fond de mon âme :
« Qui voudrait, ô vertu, douter encor de toi?
Qui te blasphemerait encor, céleste foi ! »>
Et j'ajoutais tout bas : « O caprice, ironie
Du sort qui, parmi nous, brise toute harmoniel
Jeux du destin qui met dans un cœur ses trésors,
Qui d'un sublime esprit combine les ressorts,
Et qui retient ce cœur aussitôt qu'il s'élance;
Qui dit à cet esprit : « Je te voue au silence! >>
A la perle: «Demeure au fond des vastes flots; >>
Au lis épanoui dans quelque vallon clos:

Éblouissante fleur, vis et meurs inconnue! >>
Et qui dit à l'éclair: « Ne sors pas de la nue! >>

Sans trahir un secret fidèlement couvert,
J'en vins à prononcer le nom de Pierrevert.

Que faisait-il, absent depuis des jours sans nombre?
Ce nom que j'évoquais fit passer comme une ombre
Sur le front de Lucy. D'une errante chaleur
Je crus voir, un instant, s'animer sa pâleur.
Aimait-elle en secret? Pour comble à sa souffrance,
Connut-elle ton mal, amour sans espérance?
Il était tard laissant un baiser sur sa main,
Je sortis lentement et repris mon chemin.

VII

Les jours suivants, l'orage habitait sa demeure.
Plus de recueillement, de paix intérieure.
Le vieillard désormais, pauvre âme sans raison,
Des cris de sa colère affligeait la maison.
Lui, calme jusque-là, s'agitait en délire,
Répondait par l'outrage à la plainte, au sourire,

Au filial amour. De ce déchaînement,
La muette cherchait la cause vainement.
L'enfant octogénaire, armé de sa béquille,
La frappait; il battit un jour sa propre fille.
J'étais là quelquefois, et, morné spectateur,
Je n'espérais qu'en Dieu, le grand libérateur!

VIII

A mon propre foyer, vers la fin de novembre,
Un soir j'étais assis. J'écoutais de ma chambre
Le plaintif sifflement des bises de la nuit.
Un voisin familier tout à coup s'introduit,

Et me dit brusquement : « Savez-vous la nouvelle?
Cherchez, imaginez, creusez votre cervelle !

«Parlez donc!...

[ocr errors][merged small]

-Pierrevert est chez lui de retour.

Qu'annoncez-vous, grand Dieu! depuis quand?

-De ce jour.

Il arrive, dit-on, d'un continent sauvage,
Et s'est d'abord couché, fatigué du voyage.

Et puis ne croyez pas aux revenants, mon cher ! »,

Éternelle pour moi fut cette nuit d'hiver!
L'aube du lendemain n'était pas sous la nue,
Que du château d'Hector j'atteignais l'avenue.
Le temps, je m'en souviens, était froid et neigeux.
Hélas! la destinée a de terribles jeux!

La nouvelle était vraie: après vingt ans d'absence,
Il était revenu, veuf de toute espérance.
Pour apaiser la soif d'avides créanciers,

Il avait tout vendu, manoir, champs nourriciers,
Tombeaux de ses aïeux. Oui, dans cette nuit même,
Il avait fait cela, les yeux secs, le front blême;
Puis, n'écoutant personne, effaré, comme un fou,
Il était reparti, courant, Dieu savait où!

IX

Les jours vinrent bientôt de la saison néfaste,
Odieuse aux jardins, aux champs qu'elle dévaste,
Alors que les heureux, attirés vers Paris,

Abandonnent gaîment leurs châteaux assombris,
Et, suivant le plaisir dans ses métamorphoses,
Disent: « Nous reviendrons l'an prochain, pour les roses! >>
Le cœur amer, le front de tristesse chargé,

De ma chère Lucy j'allai prendre congé.

Je quittais pour longtemps mon rustique héritage.

« Adieu, lui dis-je, adieu, grand cœur, pieux courage! >> Elle serra ma main. J'avais le cœur en deuil; Oppressé, je sortis et m'arrachai du seuil.

Enfin, quand j'eus franchi le vallon, la bruyère,

Je fis sur la hauteur une halte dernière.

Je voulus saluer d'un suprême regret
La maison de Lucy, le toit qui recouvrait
Un vieillard idiot, une sourde-muette,
Et, seule entre les deux, cette âme si parfaite.
Les champs étaient déserts, les bois silencieux.
Une tristesse immense enveloppait les cieux,
Et me serrait le cœur d'une angoisse inconnue.
La neige, à ce moment, descendit de la nue;
Au faible vent du soir, elle tombait sans bruit :
«< Avant peu, murmurai-je, avant qu'il fasse nuit,
Elle ensevelira sous sa nappe étalée

Cette maison perdue et toute la vallée ! »

J. AUTRAN.

REVUE SCIENTIFIQUE

LA MACHINE ANIMALE

Tout le monde sait les progrès rapides que l'emploi de la méthode expérimentale a amenés dans la connaissance des phénomènes naturels. Appliquée à l'étude des phénomènes physiques, aussitôt après qu'elle eut été exposée par Bacon, dans son Novum organum, elle produisit les découvertes auxquelles sont attachés les noms de Pascal, de Descartes, de Mariotte, etc. Plus tard, entre les mains de Lavoisier, elle créa la chimie. Enfin, c'est grâce à l'emploi de l'expérience que, dans ce siècle, ces deux sciences sœurs, la physique et la chimie, ont été amenées au degré d'avancement où nous les voyons aujourd'hui.

Jusqu'à ces derniers temps, la physiologie et la médecine avaient dû leurs progrès à l'emploi pour ainsi dire exclusif de l'observation. Ce sera le grand titre de gloire de M. Claude Bernard d'avoir introduit l'expérience dans l'étude de ces sciences; les belles découvertes de ce savant sont bien certainement dues autant à la perspicacité de son génie qu'à l'excellence de la méthode qui lui sert d'instrument.

En suivant la même voie, M. E.-J. Marey, aujourd'hui professeur au Collège de France, a entrepris d'élucider les principaux faits constituant la mécanique animale. Dans un premier ouvrage intitulé: Du mouvement dans les fonctions de la vie, il s'est occupé de ce que l'on pourrait appeler la mécanique animale intérieure, c'est-à-dire des lois du mouvement dans la circulation du sang, la respiration, etc. Dans ces dernières années, il a porté ses investigations principalement sur la mécanique animale extérieure, c'est-à-dire sur les conditions dans lesquelles s'effectue la locomotion des animaux. Nous voudrions aujourd'hui donner à nos lecteurs une idée des méthodes employées par M. Marey dans ces études sur la locomotion et des principaux résultats qu'il en a conclus.

1 La machine animale, locomotion terrestre et aérienne, par E.-J. Marey, professeur au collège de France, membre de l'Académie de médecine. Paris, Germer-Baillière, 1875.

« PreviousContinue »