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lon de la société, remontez au plus haut, jusque sur les marches du trône, vous trouverez la belle-mère fidèle à elle-même, et n'ayant qu'un souci : délier ce qu'elle a lié. Vous me parliez de M. de Noirlieu. Il vient de sortir de mon cabinet, c'est la personne qui vous a précédé. Savez-vous ce qu'il m'a appris? Sa femme qui lui avait été rendue, rendue par deux jugements successifs, sa belle-mère la lui a reprise et l'a dérobée à l'action de la justice française. Madame de Noirlieu est en Autriche, en Turquie, en Chine, au Japon, que sais-je? Croyez-vous qu'elle en aurait trouvé le chemin toute seule? Non, l'expérience de la mère est venue au secours de la fille.

- Mais enfin, cher maître, on ne peut pas toujours épouser une orpheline.

Tant pis! Les orphelines sont la fleur du panier. Heureux le mortel qui peut mettre la main sur ce fruit rare et délicieux! En avez-vous une à m'indiquer?

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Non. Mais songeriez-vous, par hasard, à vous marier?

Il me semble que j'en ai le droit. Je ne suis plus un adolescent.

-

Donc vous y songez.

Vaguement, très-vaguement.

Eh bien! puisque votre choix n'est pas encore fait, laissez-moi vous donner un bon conseil. Je ne vous recommande pas d'étudier le caractère de votre future, c'est inutile; si vous vous mariez à votre goût, vous ouvrirez les yeux sur le physique, vous les fermerez sur le moral. Règle générale, d'ailleurs, on ne connaît bien une femme que lorsqu'on l'a épousée. Et encore!... Ce que je vous recommande, ce qui est facile, car, de ce côté, vous restez en pleine possession de vous-même, c'est d'observer, c'est d'étudier le caractère des beaux parents. Assurez-vous si des rapports intimes avec eux sont possibles, quelle action ils exercent sur leur fille, si vous avez quelque chance de les supplanter un jour dans son cœur. A aucun prix, surtout, ne consentez à vivre avec eux en famille : la cohabitation est impossible.

- Vous croyez? En certaines circonstances cependant, lorsqu'on épouse, par exemple, une jeune fille unique qui n'a plus que sa mère, on ne peut guère faire autrement que d'admettre cette mère dans son intimité.

- C'est le comble de l'imprudence et de la folie. J'aimerais mieux, en ce cas, faire un sacrifice, me résigner à toucher une moindre dot, laisser largement à la mère de quoi vivre à son particulier, comme elles disent si bien ! Mais si vous m'en croyez, n'épousez pas une fille unique qui n'ait plus que sa mère. Mieux vaut encore avoir beau père et belle-mère réunis qu'une belle-mère toute seule.

Mais, mon cher, vous rendez ainsi le choix bien difficile.

Que voulez-vous? Je préfère en ceci le nombre à l'unité, j'aime mieux que les affections d'une jeune fille se trouvent réparties entre un père, une mère, des frères, des sœurs...

-Oh! merci. Moi, je crains les complications. Si un beau-père et une belle-mère m'effrayent, un beau-père surtout, je ne veux ni beaux-frères, ni belles-sœurs, ni...

Alors, je le répète, tâchez de découvrir quelque intéressante jeune personne abandonnée du ciel et des femmes... Mais puisque le hasard nous a fait traiter à fond ce grave et important sujet, permettez-moi, cher ami, de vous adresser une supplique.

En prononçant ces derniers mots, l'avocat se leva, prit une clef, ouvrit une bibliothèque à glaces, qui semblait ne renfermer que des livres précieux, tandis que les livres ordinaires étaient rangés tout bonnement sur des rayons, et ayant choisi dans cette bibliothèque un beau volume fort bien relié en chagrin vert, couleur d'espérance, et doré sur tranches, il le remit à Victor, qui ne put s'empêcher de sourire en en lisant tout haut le titre : Éloge des belles-mères. Il l'ouvrit avec un certain empressement. Mais quelle fut sa surprise! Ce livre n'existait pas, ou plutôt ce n'était qu'une espèce d'album dont toutes les pages étaient blanches!

-Ce livre, dont le texte vous étonne, est pourtant un ouvrage fort connu, reprit gravement maître Robertin. J'ai été en rapport dans ma vie avec des milliers d'hommes de tout rang et de tout pays. Eh bien ! je leur ai vainement demandé à tous, qu'ils fussent mariés ou qu'ils fussent célibataires, je leur ai vainement demandé d'écrire quelques lignes sur cet album. Pas un n'a osé tracer le premier mot. Promettez-moi donc que, lorsque vous serez marié, non pas tout de suite, mais six mois ou un an après la noce, vous remplirez la première page de ce livre, si vous avez toutefois quelque chose de favorable à y mettre. C'est un éloge que je veux, rien qu'un éloge. Mais je suis bien tranquille, ce livre restera blanc jusqu'à ma mort, on en écrira l'histoire, et il sera un jour vendu, à l'hôtel Drouot, à un prix fort élevé.

Victor crut devoir rire de plus belle; mais un observateur attentif se fût aisément aperçu qu'il riait jaune. Ils causèrent encore de diverses choses et surtout de politique. avec moins d'entrain toutefois et en ayant l'air d'y prendre beaucoup moins d'intérêt. Le journaliste s'était déjà levé plusieurs fois pour se retirer, mais l'avocat le retenait toujours, et au moment où ils allaient enfin se séparer, il lui dit en revenant sur le sujet qu'ils avaient discuté et approfondi

- A propos, je vous annonce qu'un des hommes les plus spiri

tuels de Paris, mais qui désire garder l'anonyme, doit faire, dimanche prochain, à la salle des Capucines, une conférence à laquelle nous ne pouvons nous dispenser d'assister. Le sujet est des plus alléchants, et tout à fait de circonstance: De la belle-mère depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Il m'a consulté; je lui ai fourni quelques détails. Voulez-vous y venir avec moi? j'irai vous prendre.

- Très-volontiers, répondit Victor.

La conférence fut remarquable, et obtint un si grand succès, que l'auteur fut obligé de la recommencer le dimanche suivant. Il y avait naturellement beaucoup de dames; mais les vérités avaient été dites avec tant de finesse et d'esprit que le beau sexe lui-même avait applaudi, un peu à contre-cœur néanmoins. Victor, que la gaieté de l'auditoire avait attristé, saisit en sortant quelques lambeaux de conversation, entre autres celui-ci :

- C'est un véritable massacre! disait une jeune dame.

Le massacre des innocentes? lui demanda son cavalier avec une nuance d'ironie.

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Le massacre des innocentes... et des coupables, répliqua sérieusement une dame qui les suivait, et qui pouvait être elle-même une belle-mère.

Notre journaliste parut pendant quelques jours complétement absorbé par la politique.

La suite au prochain numéro.

ERNEST SERRET.

JOURNAL DE LA BRUYÈRE

DANS LA MAISON DE CONDÉ1

1685

FÉVRIER, MARS, AVRIL, MAI, JUIN

HISTOIRE DU CONTRAT DE MARIAGE DU DUC DE BOURBON

I

LE CARÊME.

Un peu après la mi-février, le roi, entrant à la messe, avait dit à M. le Grand (c'est ainsi qu'on appelait le grand-écuyer qui était alors Louis de Lorraine, duc d'Armagnac) : « N'avez-vous point entendu dire aussi bien que les autres que je fais faire une livrée et que c'est une marque certaine que je me remarie? » Le roi se moquait ainsi de ceux qui prétendaient pénétrer au fond de son cœur et deviner son secret, mais cela fit faire des réflexions. Ce discours, tenu en public, parut affecté. On remarqua que plusieurs fois le roi avait mis la même finesse en usage pour faire croire qu'il ne pensait pas à des choses qu'il avait déjà résolues. Les courtisans éclairés en conclurent que ce ne n'était point une exclusion du mariage du roi : ils se persuadèrent, les uns que Sa Majesté avait réellement envie de se remarier, les autres, qu'elle l'avait déjà fait. Au commencement de mars parut un indice plus grave: madame de Maintenon eut quelques accès de fièvre, « lesquels n'eurent pas de suite fâcheuse, dit le marquis de Sourches; ils servirent seulement à faire connaître l'affection

Voir le Correspondant du 10 août, du 10 septembre, du 25 octobre et du 25 novembre 1874.

du roi, qui allait trois ou quatre fois par jour chez madame de Maintenon. » Le marquis de Sourches avait compris, si bien compris qu'il n'ajoute pas un mot de plus. Prévôt de l'hôtel du roi et grand-prévôt de France, il devait tout connaître et n'en rien dire sans ordre de Sa Majesté. Mais les autres courtisans, moins éclairés, avaient l'esprit à la torture pour deviner le secret du roi. Sa Majesté se moquait d'eux, leur défendait de se battre en duel et de manger de la viande le vendredi. Ces indications n'étaient pas claires pour tout le monde. Pourquoi ne pas dire franchement ce qu'il était indispensable de savoir sous peine de courir les plus grands périls? N'était-ce pas proposer une énigme aussi redoutable que celle du sphinx? Si on ne trouvait pas le mot, on était dévoré. « Il semble, dit la Bruyère, qu'il entre dans les plaisirs des princes un peu de celui d'incommoder les autres. Mais non; les princes ressemblent aux hommes ils songent à eux-mêmes, suivent leur goût, leurs passions, leur commodité; cela est naturel. >>

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La Bruyère prenait fort sagement son parti d'ignorer ce qu'on ne voulait pas lui dire. Cependant il y avait des choses qu'il souffrait de ne pouvoir comprendre. « Je ne sors pas d'admiration et d'étonnement à la vue de certains personnages que je ne nomme point; j'ouvre de fort grands yeux sur eux, je les contemple : ils parlen!, je prête l'oreille; je m'informe, on me dit des faits, je les recueille et je ne comprends pas comment des gens en qui je crois voir des choses diametralement opposées au bon esprit, au sens droit, à l'expérience des affaires du monde, à la connaissance de l'homme, à la science de la religion et des mœurs, présument que Dieu doive renouveler en nos jours la merveille de l'Apostolat, et faire un miracle en leurs personnes, en les rendant capables, tout simples et petits esprits qu'ils sont, du ministère des âmes, celui de tous le plus délicat et le plus sublime; et si, au contraire, ils se croient nés pour un emploi si relevé, si difficile, et accordé à si peu de personnes, et qu'ils se persuadent ne faire en cela qu'exercer leurs talents naturels et suivre une vocation ordinaire, je le comprends encore moins. » La Bruyère ne laissa échapper ce cri d'alarme contre les directeurs que plus tard et après avoir longtemps différé de dire sa pensée: on comprend ce long et pénible silence; il le rompit dans l'espoir que sa franchise serait utile aux femmes qui, n'ayant pas assez d'un confesseur pour leur conduite, n'usaient d'aucun discernement dans le choix de leurs directeurs. Mais dès le 23 février 1685, il observait en secret ceux qui avaient la manie de la direction : ce jour-là avait eu lieu en place de Grève une exécution célèbre qui produisit sur tous les esprits une profonde impression. L'abbé de Belmont, qui avait trompé, volé et assassiné une riche banquière dont il était di

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