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détrônât la mère. » — « Si vous ou votre maitresse, lui répliqua Lethington d'un ton audacieux, vous pressez cette compagnie de rendre à la reine sa liberté, si vous demandez à la voir, ou si vous menacez, loin de rien apaiser, vous ne ferez que mettre sa vie en plus grand danger. Il n'y a plus d'autre moyen de la servir que de céder à la nécessité et d'user de ménagements 1.

Ayant échoué sur tous les points de sa mission, Trockmorton, pour ne pas paraitre complice de ces forfaits, qu'il approuvait pourtant du fond de l'âme, demanda son rappel. Mais Élisabeth ne jugea pas qu'il fût de sa dignité de céder sitôt le terrain. Elle lui intima l'ordre de rester, afin de négocier avec insistance la liberté de Marie et d'obtenir d'elle, s'il parvenait à la visiter, un accord amiable avec ses sujets et conforme à son honneur. Elle laissait déborder contre les rebelles tout son mécontentement : « Leur réponse, écrivaitelle à son envoyé, ne contient que de méchantes excuses pour colorer leur conduite. Quant à leur refus de laisser visiter la captive, vous leur direz en notre nom qu'une telle conduite ne peut que nous inspirer des soupçons sur leurs propres actes. S'ils disaient la vérité, pourquoi ces refus, puisque vous leur avez affirmé que notre intention était de concourir au châtiment des meurtriers et à la conservation du prince royal, et que c'est là, suivant eux, le double but de leur entreprise? >>

Le sentiment de l'inviolabilité royale l'emportant en ce moment sur l'envie et la haine que lui inspirait sa bonne sœur, et aussi pour se donner le beau rôle, Élisabeth menaçait les lords rebelles s'ils persistaient à vouloir déposer leur reine, de tirer d'eux une éclatante vengeance. « Dieu m'assistera, poursuivait-elle avec force, car leur cause est détestable. Quelle loi les autorise à emprisonner et à diffamer leur souveraine? De quel droit se font-ils juges et vengeurs de sa conduite? Saint Paul n'a-t-il pas ordonné, dans son épître aux Romains, d'obéir aux puissances armées de l'autorité et du glaive? Est-il une monarchie chrétienne où l'on trouve une loi écrite qui permette aux sujets d'arrêter leur prince, de le mettre en captivité, de le traduire en jugement?... Signifiez-leur que s'ils portent la moindre atteinte aux droits royaux de leur dame et souveraine, nous sommes résolue, de concert avec les princes de la chrétienté, à nous déclarer ouvertement contre eux et à venger leur maîtresse pour laisser un exemple à la postérité. » Enfin, elle en

1 Trockmorton à Élisabeth, 26 juillet 1567, Stevenson et J. Gauthier, t. I, p. 119.

• Élisabeth à Trockmorton, 27 juillet, dans Keith, t. II; J. Gauthier, t. II, p. 120; Hosack, t. Ier, p. 553. « Un peu d'or, dit M. Hosack, eût sans doute ouvert à Trockmorton les portes de Lochleven, mais Élisabeth n'était pas d'humeur à

joignait à son ambassadeur de ne point assister au couronnement du prince royal.

Tout autres étaient le langage et la conduite des ministres anglais. Cecil, révolutionnaire dans l'âme et sans scrupules sur les moyens, qui poursuivait son but avec une inflexible persévérance et une impitoyable logique, Cecil « blâmait sa maîtresse de son peu de goût pour les rebelles1. » Ce n'était pas sans motif qu'il était soupçonné, ainsi que ses collègues, « de diriger mystérieusement toute cette persécution contre la reine d'Écosse2. >>

Élisabeth, au fond, tenait fort peu sans doute à la délivrance de Marie Stuart, comme elle en donna plus tard suffisamment la preuve en la gardant prisonnière pendant dix-huit ans. Mais jalouse, du moins, de sauvegarder, ne fût-ce qu'en apparence, le principe de l'inviolabilité des couronnes, elle comprit qu'elle ne pouvait laisser se produire sans protestation, aux portes de l'Angleterre, l'exemple dangereux d'une reine déposée par ses propres sujets. Il y allait de sa dignité comme de sa sûreté à jouer l'indignation. Le 10 août, elle envoya chercher Cecil et lui deman la, du ton impérieux qui lui était habituel, pourquoi rien n'avait été encore fait pour délivrer la reine d'Écosse et pour déclarer immédiatement la guerre aux lords rebelles. Le secrétaire fit tous ses efforts pour l'en dissuader, mais,

dépenser son argent pour ces rebelles. (T. I, p. 563.) Jalouse de défendre les prérogatives d'une autre reine, sinon d'une ennemie, contre ses sujets, elle faisait rappeler à Lethington, pour tâcher de l'émouvoir, la dette de reconnaissance qu'il avait contractée envers sa maitresse : « Où est la reconnaissance de milord «de Lethington envers celle qui l'a comblé de tant de largesses! Honte à l'in« gratitude!» (Leicester à Trockmorton, 6 août; Record office; Hosack, t. ier, p. 565.)

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1 Cecil à Norris; J. Gauthier, t. II, p. 120

Memorias; J. Gauthier, ibidem. « Élisabeth doit être d'autant plus louée, dit M. Hosack, d'avoir exprimé d'aussi généreux sentiments, que tous ses conseillers, y compris Trockmorton, étaient opposés à une intervention active dans les affaires d'Écosse. Si elle eût été. libre, elle eût essayé de rendre sa sœur à la liberté même par la force. Mais Cecil ne se montra pas plus désireux alors d'envoyer une armée en Écosse, que sous la régence de Marie de Lorraine, et en ces deux circonstances il réussit également à faire prévaloir son opinion.» (Hosack, t. I, pp. 363, 364.) Nous sommes loin de croire, comme M. Hosack, aux sentiments généreux d'Élisabeth. Avant tout, elle ne songeait qu'à sa propre dignité et à sa sûreté en protestant contre la conduite des lords envers leur reine; en blamant une révolution consommée aux portes de l'Angleterre et qui ne pouvait être pour elle qu'un précédent dangereux. Comme ses actes furent loin de répondre à ses paroles, on doit en conclure qu'au fond elle était fort peu soucieuse de la délivrance de Marie, et qu'elle ne tenait qu'à sauver les apparences. Si elle avait eu dans le cœur les sentiments généreux qu'on lui prête, que ne les montra-t-elle lorsque Marie fut sa captive? Tout n'était donc de sa part que comédie et hypocrisie dans son attitude à l'égard des lords.

25 DÉCEMBRE 1874.

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à tous ses arguments, elle fit la sourde oreille jusqu'à ce qu'il en eût trouvé un qui la força de se taire : « Enfin, dit Cecil, car c'est de lui-même que nous apprenons les détails de cet entretien, je dis que peut-être, en déclarant la guerre, la reine d'Écosse pourrait tomber dans un grand danger, car ce serait pousser les lords à des résolutions désespérées, que le pire pourrait s'ensuivre et qu'alors Sa Majesté en serait bien fâchée, et que ses ennemis, dans leur malice, ne manqueraient pas de prétendre qu'elle n'aurait usé d'une telle sévérité envers les lords que pour les pousser à se débarrasser de leur reine1. » Soit que ce fût une comédie concertée d'avance entre Cecil et sa maîtresse, soit que le rusé ministre eût réellement ainsi paralysé les résolutions d'Élisabeth, toujours est-il que ce fut sa politique qui triompha, et qu'il fut enfin conclu que l'infortunée Marie serait abandonnée à la merci des révoltés.

Ces derniers, sachant à quoi s'en tenir sur le peu d'effet qui suivrait les menaces d'Élisabeth, et délivrés de toute crainte d'intervention de sa part comme de celle du roi de France, résolurent de mener à fin leur entreprise.

En conséquence, les actes de l'abdication et de l'institution d'une nouvelle régence furent proclamés dans Édimbourg. Il ne manquait plus, pour consommer l'usurpation, que de couronner un enfant à la mamelle. Les lords, s'étant emparés de tous les insignes de la royauté, se rendirent à Stirling pour y organiser cette dérisoire cérémonie, et députèrent James Melvil auprès des Hamilton pour les engager à y assister. L'archevêque de Saint-André, homme sans caractère et sans portée d'esprit, fut sur le point de faiblir. Il n'en fut pas de même des autres Hamilton. Avant de promettre de se rendre à la cérémonie, ils demandèrent à visiter la reine afin de s'assurer par eux-mêmes si elle avait librement ou non abdiqué et institué un conseil de régence, et comme on n'eut garde d'autoriser cette vérifica tion, pas un d'entre eux ne parut à Stirling 2. Ils se contentèrent d'y envoyer un héraut d'armes qui protesta en leur nom contre tout ce qui pourrait porter atteinte à leurs droits éventuels3.

Le 21 juillet eut lieu la cérémonie. Les usurpateurs essayèrent en vain de cacher le vide qui s'était fait autour d'eux par la pompe du spectacle : « Il n'y avait là, dit un chroniqueur du temps, que les comtes de Morton, d'Athol, de Marr et de Glencairn, les lords Hume, Lindsay, Ruthven, Sanquhar et quelques petits barons. C'était bien

1 Cecil à Trockmorton; Record office; Hosack, t. I, p. 364.

2 Trockmorton à Elisabeth, 2 août 1567, dans Stevenson; Melvil et J. Gauthier, t. II, p. 121.

Mem. de Melvil; Trockmorton à Élisabeth, 51 juillet 1567; Tytler, Keith; J. Gauthier, t. II.

peu par rapport à toute la noblesse du royaume1. » Trockmorton était resté à Édimbourg et avait pris le deuil pour protester, au nom de sa maîtresse, contre une telle usurpation.

On lut l'acte d'abdication, et Lindsay et Ruthven jurèrent sur la Bible que la reine avait abdiqué volontairement en faveur de son fils, sans subir aucune pression. Knox fit un sermon et prit pour texte le couronnement de Joas; Adam Bothwell, l'évêque réformé d'Orkney, donna l'onction royale au front de l'enfant de la même main qui avait béni le mariage du meurtrier de son père'; et le comte de Morton, au nom du monarque qui dormait d'un profond sommeil entre les bras du comte de Marr, prêta serment sur les Évangiles « de maintenir la vraie religion et d'extirper l'hérésie. » <<< Athol portait la couronne, Morton le sceptre et Glencairn l'épée. » Lorsque les quatre comtes présents à la cérémonie eurent été proclamés corégents en l'absence de Moray et jusqu'à son retour, le roi, qui continuait à dormir, fut reconduit en procession « auprès de ses nourrices. » L'artillerie du château salua par des salves l'avènement du nouveau souverain dont l'autorité fut proclamée le lendemain à Édimbourg, et de là dans tout le royaume. « Jusque-là les lords avaient gouverné au nom de la reine; à partir de ce moment, ils gouverneront au nom du roi 3. >>

CHANTELAUZE.

Diurnal of occurrents, p. 119; cité par J. Gauthier, t. II, p. 121. « Les nobles d'Écosse, dit M. Hosack, ne furent qu'à peine représentés dans cette cérémonie. Les chefs des grandes familles, les Hamilton, les Gordon, les Campbell, ayant refusé d'y assister, les confédérés ne purent réunir que cinq comtes et six lords, et aucun des représentants des puissances étrangères ne s'y rendit. »

2 « La cérémonie du sacre fut présidée par Adam Bothwell, l'évêque protestant des Orcades, à la grande horreur de Knox qui regardait ce sacre comme une superstition papiste. Après qu'on eut replacé le nouveau roi dans son berceau, le réformateur prêcha un sermon dans lequel il dénonça la reine comme une meurtrière avec cette puissance d'invectives à laquelle il dut une partie de son influence et de sa célébrité. » (Hosack, t. I, p. 366.)

5 Jules Gauthier, t. II, p. 122. Trockmorton à Élisabeth, 31 juillet 1567, dans Stevenson, Anderson, Keith, Calderwood et Jules Gauthier, t. II, p. 122.

LE LIVRE DES BELLES-MÈRES

VII

MINE ET CONTRE-MINE

Madame de Nelles avait voulu aller au fond des choses, et elle y avait été, mais non sans recevoir plus d'une atteinte sensible à son amour-propre. C'est toujours un tort de trop approfondir en ces sortes d'affaires; si l'on veut conserver quelques illusions, il faut s'arrêter à mi-chemin, détourner la tête à propos, reculer au lieu d'avancer, et fermer les yeux devant l'évidence. Après tout, cependant, sa dignité de femme n'avait été nullement compromise. Elle se reprochait bien un peu d'avoir eté trop crédule, d'avoir attaché trop d'importance à un penchant qui n'existait pas; mais les apparences avaient été complices; M. Marsault, par son attitude maladroite, par l'attention toute particulière dont il l'avait honorée, lui avait donné lieu de supposer qu'il ne la voyait pas d'un œil indifférent. Une bonne lettre qu'elle reçut le lendemain de sa fille, lettre plus tendre, plus expansive qu'à l'ordinaire, acheva de la remettre et répandit son baume salutaire sur une blessure qui, d'ailleurs, n'était pas profonde.

Elle renonça même à l'idée qu'elle avait eue d'abord de se brouiller avec madame Le Noë. C'était inutile et ce pouvait être dangereux. Il valait mieux lui glisser en douceur qu'elle s'était trompée dans ses suppositions, la remercier même des louables intentions qu'elle avait eues, et se tenir désormais avec elle sur le pied d'une prudente défensive. Mais ce à quoi madame de Nelles se garda bien de renoncer, ce fut à entretenir Victor dans l'idée que mademoiselle Norbert était réellement orpheline. Il n'y avait pas de mal à s'amuser un peu aux dépens de ce monsieur, qui faisait si bon marché des liens les

1 Voir le Correspondant du 10 décembre 1874.

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