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Ce court exposé suffit pour réfuter la conclusion que la commission a exprimée en ces termes :

« Un pareil partage de responsabilité ne peut être admis à la guerre; il pourrait, à un moment donné, présenter les plus graves dangers. »

L'organisation actuelle, avec sa répartition d'attributions, dure depuis plus d'un siècle; elle a traversé nos plus grandes guerres sans présenter les inconvénients qu'on veut y trouver aujourd'hui. S'il en eût été autrement, l'empereur Napoléon Ier l'aurait-il conservée, ayant la certitude de compromettre par là ses succès?

Continuons néanmoins l'examen de tout ce que le rapport produit en faveur de sa conclusion, et, par exemple, ce passage : « Il y bien longtemps que l'attribution des voies de communication à un service unique est réclamée chez nous. Elle était déjà réclamée sous le premier empire, et on lit ce qui suit dans une note écrite en 1814, c'est-à-dire au lendemain de nos grandes guerres, par le général Chasseloup, un des hommes qui ont le plus honoré l'armée. »

Le rapport omet de signaler que le général Chasseloup appartenait au corps du génie, qu'il en était le chef, et que dès lors il était avocat, et non pas juge, dans la question. Ajoutons que jeter un pont de bateaux pour passer une rivière au delà de laquelle est l'ennemi, ce n'est point seulement établir une voie de communication, mais bien exécuter une des opérations les plus périlleuses, les plus difficiles et les plus délicates de la guerre. Notre corps du génie, dont les attributions pendant la paix sont très-éloignées de tout ce qui regarde l'art de combattre en rase campagne, n'est nullement préparé à ces opérations. Il y faut absolument le concours d'une nombreuse artillerie placée avantageusement, c'est-à-dire habilement, sur la rive dont on part, pour éloigner l'ennemi de la rive opposée. Quand le point de passage n'est pas choisi à ce point de vue, le succès de l'opération est compromis. Toutes les considérations qui entrent en ligne de compte sortent entièrement de toutes les instructions de notre corps du génie, car elles demandent d'abord des connaissances toutes spéciales sur l'action du tir des bouches à feu. Si, dans quelques autres armées, le corps du génie est chargé des ponts de bateaux, c'est qu'il y est préparé par une instruction militaire très-différente, en pratique, de ce qu'elle est chez nous.

Le rapport, qui cite un mémoire dans lequel le général Chasseloup demandait l'annexion des pontonniers au corps du génie, aurait dû mentionner aussi les réponses victorieuses qui ont été faites maintes

fois à cette prétention par le corps de l'artillerie. On n'aurait eu qu'à ouvrir pour cela l'Aide-mémoire de Gassendi. Le célèbre passage de la Bérésina, où ce qui restait de la grande armée en retraite fut sauvé par le dévouement des pontonniers et par la prévoyance du général Éblé, a toujours été cité depuis comme une des meilleures preuves à donner en faveur des avantages qui s'attachent à ce que les pontonniers soient réunis à l'artillerie. Nous nous contentons d'emprunter à un récent numéro du Bulletin de la réunion des officiers l'extrait très-court d'une relation rédigée par le général Chapelle, avec le concours de tous les officiers de pontonniers qui avaient coopéré à cette glorieuse opération. Voici ce récit, décisif pour la question controversée :

« Le général comte Chasseloup a rendu, à cet égard, toute la jus<«<tice due au général Éblé, en disant au chef d'état-major, au mo<«<ment où l'on commençait à construire les ponts:

« Je reconnais que c'est l'artillerie qui doit être chargée des ponts à la guerre, parce qu'elle a, par son personnel, ses chevaux et son << matériel, de si grandes ressources qu'il lui en reste encore quand <«< celles des autres services sont épuisées. Le génie et le bataillon du << Danube (ouvriers militaires de la marine) sont entrés en cam<< pagne avec un parc considérable d'outils de toute espèce; cepen<< dant, nous sommes arrivés ici sans une seule forge, sans un clou, << sans un marteau. Si l'opération réussit, ce sera au général Éblé « qu'on en aura l'obligation, puisque lui seul avait les moyens de « l'entreprendre. Je le lui ai dit et je vous le dis aussi (c'était au << chef d'état-major du général Éblé qu'il adressait ces paroles), afin << que vous le lui répétiez, quelque chose qui arrive. »

La commission de l'Assemblée nationale croit avoir établi l'égalité des ressources entre les deux corps en matériel et en attelages parce qu'elle propose de confier à un corps unique, sous l'action directe du commandement, tous les moyens de transport des grands parcs et des équipages de pont, mais elle tombe ici dans une grande illusion. Le général en chef d'une armée a toujours eu le droit d'employer ses moyens d'attelage aux services les plus urgents, et l'organisation proposée d'un corps des transports n'améliorera pas ce droit préexistant. Mais le chef de chaque service peut seul exercer la vigilance qui en prévoit l'usage. C'est ainsi que le directeur d'un parc d'artillerie, quel que soit le corps chargé des transports ou plutôt du service des attelages, pourra toujours faire atteler des haquets à bateau au lieu de caissons à munitions, quand il croira que les uns sont devenus plus

nécessaires aux opérations que les autres. C'est là pour le bien de l'armée qu'est l'avantage.

Le rapport de la commission, si remarquable dans la plupart de ses parties, a traité la question des pontonniers avec une incompétence si singulière, que le nom de ponts d'avant-garde est appliqué à tous les équipages de ponts de bateaux, tandis qu'il a toujours désigné un équipage plus léger que celui dont on fait usage pour le gros des troupes d'un corps d'armée.

Un dernier mot encore: Le rapport de la commission sait combien les pontonniers sont attachés à l'arme où ils ont toujours servi, et il ne recule pas devant la crainte de voir tous les officiers des pontonniers abandonner leur service spécial pour ne pas quitter leur arme! Le patriotisme, qui doit dominer les sentiments comme les intérêts de tous, ne peut pas perdre de vue que le régiment des pontonniers s'est acquis une grande gloire. L'intérêt public exige donc que ses sentiments soient respectés, que ses traditions ne soient pas interrompues. N'oublions pas que le passé d'un corps de troupes est une richesse accumulée par le temps; ne la détruisons pas à plaisir.

Nous allions oublier un dernier argument: l'empereur Napoléon ler a deux fois réuni, sous un même commandement, tous les moyens de pontage de l'artillerie et du génie, en 1812 et en 1813. Oui, mais c'était pour des opérations de retraite, alors qu'il n'était plus question de jeter des ponts et de passer les rivières en présence et sous le feu de l'ennemi, mais seulement de faire écouler les troupes par le plus grand nombre possible de ponts établis d'avance, afin que les arrière-gardes fussent moins compromises. Ceci rappelle le souvenir du pont de Leipsick et le désastre causé par la mine qui fit sauter le pont beaucoup trop tôt.

Le développement donné aux deux questions que nous avons abordées les premières ne nous permet plus de traiter en ce moment les sujets qui restent à controverser; nous nous bornerons donc à dire que le projet de la commission de l'Assemblée nationale porte le devis de la dépense annuelle du département de la guerre à 514 millions. Il était, en 1870, avant la guerre, de 373 millions; l'accroissement est de 140 millions, c'est-à-dire d'un tiers en plus,

L'armée allemande dépense 540 millions par an, c'est-à-dire 174 millions de moins que ce qui est demandé pour l'arméé française.

On n'a pas fait le compte de la dépense qu'amènerait l'adoption du projet de loi des cadres présenté par le ministre de la guerre,

mais elle serait beaucoup plus considérable encore que celle du budget de la commission, car tous les comités consultés par le ministre ont obéi à la préoccupation de ne rien omettre de ce qui peut concourir aux services à rendre par leur corps.

Nous laissons aux hommes que préoccupe la situation de nos finances le soin d'examiner si, dans l'état de notre dette nationale, avec les augmentations de charges qui se produiront encore, quand on aura consacré aux dépenses extraordinaires les dix-huit cents millions demandés par la commission des marchés pour les fortifications, le matériel d'artillerie, les magasins, les casernes, etc., le budget pourra encore fournir plus de cinq cents millions aux dépenses normales du département de la guerre. Nous ne ferons, à ce sujet, qu'une seule remarque si les Assemblées qui se succéderont en venaient à n'accorder annuellement qu'une somme beaucoup moindre, l'édifice de notre réorganisation militaire serait exposé à s'écrouler tout entier.

La discussion qui aura lieu bientôt à l'Assemblée nationale nous donnera l'occasion de compléter ce que nous pourrions avoir à dire encore sur le sujet immense qui vient de nous occuper, et que nous n'avons pas la prétention de pouvoir épuiser.

Général FAVÉ.

MARIE STUART

ET LES CAUSES DE SA CHUTE

D'APRÈS LES DERNIERS TRAVAUX PUBLIÉS EN ANGLETERRE
EN ÉCOSSE ET EN FRANCE 1

Le jour qui avait précédé la translation de la reine à Lochleven, les lords confédérés avaient signé un bond par lequel ils déclaraient effrontément qu'ils avaient pris les armes pour la délivrer « de l'oppression et de l'esclavage. » Ils avaient agi ainsi, disaient-ils, « par loyale obéissance pour leur souveraine, » comme si la reine avait donné elle-même des ordres pour son emprisonnement. Ils y affirmaient, de plus, que Bothwell était le meurtrier du roi, et que c'était par son influence que le procès « avait été remis, » alors que personne n'ignorait que c'était Lennox, et non Bothwell, qui avait demandé un ajournement. Mais le point essentiel de cet étrange document, c'est l'accusation portée par eux contre Bothwell, d'avoir << barré le chemin à la reine, d'avoir saisi et enlevé sa très-noble personne et de l'avoir conduite avec lui au château de Dunbar, en la retenant captive. » S'il en était ainsi, que devenait la prétendue complicité de la reine dans les desseins de Bothwell? Mais lorsque l'on se rappelle que les deux principaux chefs du nouveau complot, Morton et Lethington, avaient trempé dans le meurtre du roi et dans l'intrigue du mariage de la reine, on ne saurait être surpris des difficultés qu'ils trouvaient à donner une explication nette et plausible de leur conduite.

1 Voir le Correspondant des 10 juin, 25 juillet, 25 août, 25 septembre, 10 et 25 novembre 1874.

* Keith, t. II; Hosack, t. I, p. 344.

3 Hosack, ibidem.

25 DÉCEMBRE 1871.

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