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tration compléte? Au christianisme, au contraire, s'applique merveilleusement une parole qui m'a souvent frappée et qui se trouve dans l'épître de la messe de mon bien-aimé patron : « Joseph va toujours croissant en vertu et en beauté. » Le christianisme n'est pas seulement la plus belle des theories, c'est aussi la religion qui inspire les actes les plus mèritoires; ce n'est pas seulement un élan et une aspiration vers le beau, c'est surtout une marche ascendante vers le bien. Qui donc a organisé la vie d'une manière plus sage et plus vigoureuse que ne l'a fait le christianisme? »

Le roman contemporain s'est plu à dépeindre de purs et gracieux types de jeunes filles ou de jeunes femmes. Par la grâce de Dieu, ses imaginations et ses rêves sont restés au-dessous des réalités que le christianisme a fait naître, qu'il a dotées d'une grâce suprême et d'une beauté incomparable. Je ne veux pas déprécier les créations d'un art qui aspire à l'idéal ; mais quel homme de sens et de goût ne leur préférerait madame de la Ferronnays, Eugénie de Guérin, ou la douce, intelligente et courageuse Joséphine de Limagne?

LE R. P. DE PONLEVOY

En apprenant la mort du R. P. de Ponlevoy, plus d'une âme chrétienne a pu croire que la France et l'Église perdaient une seconde fois le P. de Raviguan. Nul, mieux que le P. de Ponlevoy, ne continuait la tradition, je dirai même la personnalité de ce religieux illustre ; il était comme l'Élisée d'un autre Élie. Entré dès l'âge de vingt-deux ans-en octobre 1834-dans la Compagnie de Jésus, le jeune Armand de Ponlevoy avait été de bonne heure distingué par le P. de Ravignan. L'apôtre déjà célèbre initia le débutant aux vertus où celui-ci allait bientôt exceller; sans le savoir, il se préparait à lui-même l'ami de toute sa vie et le consolateur de ses derniers jours. C'est muni par le P. de Ponlevoy des suprêmes secours de la religion, que le P. de Ravignan, chargé de mérites et de gloire, alla chercher sa récompense.

Rien de plus simple, de plus uniforme même que l'existence du P. de Ponlevoy. Elle s'écoula tour à tour à Saint-Acheul, à Brugelette, à Paris qui, durant de longues années, fut le principal théâtre de son activité bienfaisante. Dans ces diverses résidences, le P. de Ponlevoy déploya cette rare intelligence, ce jugement exquis, ces fortes et suaves vertus qui lui assurèrent une si haute influence et un si universel respect. Sa parole était goûtée des meilleurs juges; une facilité élégante règne dans ses écrits, et un jour il composa un chef-d'œuvre cette Vie du P. de Ravignan, que nous avons tous lue avec une émotion et un charme qui seront partagés,

je l'espère à leur honneur, par les générations futures; cependant, c'est surtout dans l'art de la direction spirituelle que le P. de Ponlevoy était un maître, et c'est à ce titre qu'il lèguera à l'histoire religieuse un nom durable. Bien des âmes conduites par lui à la vérité, ou guidées par sa main ferme et habile dans le sentier de la perfection chrétienne, lui durent cette sérénité, cette béatitude commencée qu'il semblait communiquer à tout ce qui l'approchait. Berryer fut, on le sait, du nombre de ces âmes que le P. de Ponlevoy ramena à la pratique du christianisme, et dont il assista l'agonie.

L'épreuve affligea ses dernières années, mais, comme la mort, l'épreuve révèle le secret des cœurs; elle permit de mieux connaître, de mieux apprécier le cœur du P. de Ponlevoy. Supérieur de la province de Paris, dont le gouvernement lui avait été confié en 1864, il accueillit avec une fraternelle charité les jésuites que l'on chassait de l'Italie, de l'Espagne, du Tyrol; les coups qui frappaient la Compagnie le rendaient plus respectueux et plus tendre encore pour ceux qui en étaient les victimes. A l'époque néfaste de la Commune, il vit saisir et immoler cinq de ses confrères; il eût voulu s'offrir à leur place: il demeura pour raconter leur captivité et leur mort, et pour ajouter ainsi une page de plus à ce livre des Actes des Martyrs qui reste toujours ouvert dans l'Église.

Les fatigues et les angoisses avaient épuisé la santé du P. de Ponlevoy; c'est avec bonheur qu'il se vit relever, en 1873, de ses fonctions de provincial. Il n'aspirait pourtant pas au repos, et on le destinait encore au travail; il fut envoyé à Angers, avec la mission de s'y occuper du noviciat de la Compagnie. Cette charge nouvelle dépassait ses forces; il revint à Paris, souffrant d'une inflammation de poitrine. On espérait qu'un séjour de six mois dans le Midi arrêterait le mal; lui-même s'apprêtait à quitter sa chère maison de la rue de Sèvres; l'avant-veille du jour fixé pour le départ, il fut atteint d'une fluxion de poitrine, qui amena une pneumonie menaçante. Désormais le P. de Ponlevoy devait se préparer à un autre voyage. Il s'y prépara, non point avec résignation les saints se résignent à vivre et non à mourir - mais avec joie; le religieux qui, aux derniers instants de sa vie terrestre, disait: Je déborde de Jésus-Christ, ne pouvait redouter le Juge qu'il avait si tendrement aimé et si vaillamment servi. Le P. de Ponlevoy expira, presque sans agonie, le vendredi 27 novembre, à six heures et demie du soir, laissant à ses frères des regrets adoucis par de radieuses espérances, et des exemples qu'ils pourront éternellement opposer, comme ceux des Bourdaloue et des Ravignan, à toutes les calomnies de leurs détracteurs.

AUGUSTIN LARGENT,

Prêtre de l'Oratoire.

QUINZAINE POLITIQUE

9 décembre 1874.

S'il était vrai que les leçons qui, en 1870 et 1871, furent écrites au cœur de la France avec le sang de la guerre étrangère et de la guerre civile n'aient pu lui suffire; s'il était vrai qu'après toutes ces sinistres lumières, qui devaient alors éclairer la route obscure de ses hésitantes destinées, elle ait encore besoin d'avertissements, il faudrait dire que l'histoire de ces derniers jours nous est singulièrement utile: elle nous montre le danger, tel qu'il est, où il est; elle nous indique les nécessités du présent; elle nous avise des alliances qui nous importent le plus pour sauver notre société et préserver notre patrie. Car ce sont bien ces enseignements qu'elle nous donne dans les résultats de nos élections municipales, dans le Message et dans les premiers débats de l'Assemblée.

Qu'a été, au juste, « la grande et mémorable journée du 22 novembre, » comme l'appelle, en usant du banal lyrisme des révolutionnaires, le journal attitré de M. Gambetta? On en a beaucoup disputé, avec cette habitude de notre esprit français, dont l'impatiente et agile logique n'aime pas les considérations complexes, et qui se plaît tant à mettre dans ses jugements ces marques de l'absolu, la simplicité et l'unité. Sans tenir compte du nombre considérable des communes, sans avoir égard à l'infinie diversité des motifs qui interviennent dans une élection municipale, et même sans bien vérifier les premières informations de nos trop prompts nouvellistes, on a permis aux radicaux d'abuser des chiffres qu'ils avaient recueillis d'abord dans leurs plus populeuses cités; et, avec la facilité de la peur, on a laissé s'accréditer ce mot du Rappel : « C'est le pays tout entier qui est pour la République! » Depuis, on a vu ces exagérations se réduire à des proportions qui ont l'exactitude de la vérité on a constaté que de tous ces conseils municipaux où le radicalisme se vantait de régner déjà, un quart à peine lui apparte

naient. Certes, c'est assez; c'est beaucoup; c'est trop. Et qu'on nous accorde le droit de le dire sans vouloir morigéner nos amis : il a été fâcheux que l'épouvante des conservateurs amplifiât ces nombres: on ajoutait ainsi aux forces des radicaux ces ailes bruyantes de la fortune qui, dans leur vol, emportent toujours les volontés de tant d'indécis et de timides; on disposait en faveur des radicaux cette puissance de l'imagination populaire qu'en politique, et chez notre nation surtout, il est si imprudent de ranger du côté de ses adversaires.

De ce nuage d'erreurs ou de mensonges qu'au lendemain du 22 novembre, la håte, la crédulité, la jactance des uns ou l'effroi des autres accumulaient autour des scrutins, que reste-t-il, si on en dégage les faits réels, les résultats incontestables? Trois ou quatre enseignements certains. Outre cette indifférence de l'abstention qui était plus que scandaleuse dans des élections où le sens personnel a une si grande part et où il y a une telle proximité des affaires et des intérêts; outre l'ordinaire inertie des conservateurs, inertie qui, en plus d'un endroit, annulait jusqu'à la supériorité de leur nombre; outre ces caprices mystérieux du suffrage universel, qui, sur tant de points, a trompé l'effort des partis, il a été facile de remarquer que la loi de l'électorat municipal n'a point exercé au profit des conservateurs cet empire salutaire que quelques-uns s'ingéniaient à espérer. Qui d'eux pourrait encore, après une telle expérience, se leurrer de cette illusion? Disons plus. N'est-il pas de jour en jour manifeste que l'influence du temps, le souffle des idées, le mouvement des instincts, la nature du régime qui gouverne sont les maîtres presque irrésistibles du suffrage universel, et qu'il n'y a pas de demi-loi capable de dominer une force et si vaste et si mobile? Il faut constater aussi qu'on a pu aisément changer en plébiscites ces élections qui devaient être municipales seulement. A Melun, les électeurs lisaient dans une proclamation de leur propre maire ces mots dont on a justement puni la hardiesse : « En vain on vous dit: Pas de politique dans le scrutin communal. — Nous répondons au contraire: on ne vous convoque pas pour nommer une nouvelle Assemblée nationale; eh bien! faites comme aux dernières élections pour le conseil général, saisissez l'occasion de manifester votre opinion. » Et ce langage a pu, jusque dans de paisibles villages, éveiller les passions des partis. Pourquoi? La faute en est sans doute à ces excitations des républicains et des radicaux, à qui le populaire cède si vite, quand ils le provoquent à des actes où il y a quelque parade de sa souveraineté. La faute en est encore à ce tempérament de notre nation, qui la rendit toujours plus studieuse de ses doctrines' que soucieuse de ses intérêts. Mais la faute principale n'en est-elle pas à

cet état vague, à cette condition transitoire, à ce titre équivoque du gouvernement indéfini et passager qui nous régit? Enfin, une des observations les plus sûres que ces élections nous aient donné de faire, c'est la déroute des républicains conservateurs dans presque tous les comices où les radicaux leur ont livré bataille à Troyes, tel a été le sort des amis de M. Casimir Périer, bien qu'ils eussent pour s'en couvrir l'ombre de son nom; à Marseille, M. Labadié lui-même, suspect d'on ne sait quel modérantisme, se voit proscrit par les radicaux; et dès lors, réduit à se plaindre que « les exagérés aient le dessus,» forcé de mépriser à son tour « les ambitieux vulgaires qui s'agenouillent devant la popularité, » voilà que M. Labadié devient une sorte de conservateur radical, et qu'il abdique l'honneur de représenter au conseil général Marseille, la république et la démocratie. A Lyon, à Bordeaux, à Saint-Étienne, les radicaux triomphent également des républicains. Il y a vingt grandes villes où M. Thiers aurait pu dire, après le 22 novembre, ce qu'à Marseille même il a dit des fous et des furieux du radicalisme, vainqueurs de la république conservatrice: « Est-ce que ces gens-là ne comprennent pas qu'ils tuent la république? »

A Paris, la république radicale se sera ceinte de plus de lauriers encore. Elle a chassé du conseil municipal des hommes capables, des travailleurs et d'honnêtes gens. Elle leur a fait préférer les utopistes et les violents qui promettent aux badauds qu'embauche leur ambition, toutes les félicités d'une société fabuleuse ou d'une Salente municipale. Elle a orgueilleusement voulu que Paris choisît les plus obscurs ouvriers de la démocratie, les nouveaux venus de la république, les muets esclaves du mandat impératif, les solliciteurs du salariat municipal, les zélateurs de M. Loiseau-Pinson et de M. Cantagrel, les théoriciens de l'impôt progressif et les doctrinaires de l'athéisme. Salut donc aux radicaux qui viennent préparer, ou sciemment ou à leur insu, le règne d'une nouvelle Commune ! Plus d'un peut se targuer d'avoir expulsé de l'lôtel de Ville un de ces candidats de la république modérée dont M. Duportal, à Toulouse, disait en comptant ses adversaires : « Les plus dangereux sont ceux qui, sous le manteau de la république et le masque de la modération, font les affaires du royalisme (dont ils ne sont d'ailleurs qu'une variété), en attaquant jésuitiquement les véritables serviteurs de notre cause, les vétérans de l'idée que nous servons. » Plus d'un des radicaux, à qui Paris confie sa fortune, peut répéter ce mot glorieux de M. Duportal: « Je fus et je suis toujours l'ami de Delescluse ! »

Cette victoire, qui amène une cinquantaine de Barodets dans le conseil municipal de Paris, un déclamateur de la République fran

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