Page images
PDF
EPUB

que les païens, car la science qui se sépare de Dieu devient négative comme celle de Faust; et plus elle est vaste, plus elle enfante le contraire du vrai, du bien et du beau.

La Grèce et Rome ont péri et leurs littératures ont tari le jour où la foi, source de la vie intellectuelle et morale, a disparu. En sera-til de même des nations modernes? On peut espérer que non, et cela parce qu'elles ont, dans le christianisme, un principe non-seulement de vie, mais de régénération. Il suffirait d'un seul écrivain de génie pour ouvrir des voies nouvelles à la littérature, comme il suffirait d'un seul juste pour conserver le feu sacré du bien et restaurer les mœurs. Nous vivons, sans doute, à une époque de décadence; la confusion, le chaos nous envahissent de toutes parts et menacent de nous submerger; mais peut-on nier que des germes d'une vie nouvelle commencent déjà à se développer? Loin de nous donc l'inaction et le désespoir; Dieu, on l'a dit, a fait les nations guérissables; et si le stoïcisme romain n'a su que se voiler la face et mourir, le christianisme, en dépit des erreurs de la philosophie et du désordre des mœurs, peut encore tout régénérer.

E. CHARVÉRIAT.

NOS DÉPENSES PUBLIQUES

Après le désastre d'léna, la Prusse, réduite à la moitié de son ancien territoire et de son ancienne population, présente un spectacle qui émeut vivement l'Europe. Nous voulons parler de ses héroïques efforts pour cicatriser ses plaies et remonter au rang de grande puissance.

Le roi réduit spontanément sa modeste liste civile; tous les fonctionnaires, grands et petits, acceptent sans regret une diminution de traitement en rapport avec les pertes énormes du pays. Le gouvernement fait un examen sévère de tous les services publics, et supprime tous ceux qui ne sont pas justifiées par d'impérieuses exigences.

Contraint, par un traité impitoyable et par les nécessités d'une situation financière presque désespérée, à n'entretenir sous le drapeau qu'une armée insignifiante, il cherche et finit par trouver une organisation militaire qui lui permettra, sans dépenses notables, de mettre un jour rapidement sur pied, à la surprise générale, de nombreuses légions de soldats exercés.

Mais, en même temps, il ne néglige aucun effort pour raviver le pays, pour lui infuser en quelque sorte un sang nouveau. Et d'abord, il décrète la liberté du travail, en faisant disparaître, par le rachat des dimes et corvées, les derniers vestiges du servage. Plus tard, il supprime les priviléges de la propriété rurale, et la rend accessible à tous. Soucieux de tous les intérêts, il vient en aide, par d'excellentes institutions de crédit foncier, aux grands propriétaires que la guerre a presque ruinés. Malgré des préjugés encore ardents, il proclame l'égalité de tous les cultes devant la loi, confondant ainsi tous les habitants dans le même amour pour le pays, dans le même dévouement pour son représentant, le souverain.

L'entente est d'ailleurs complète entre le chef de l'État et ses sujets de toute condition. Riches et pauvres n'ont qu'une seule vo:

lonté, un seul et immense désir: reconquérir le plus tôt possible, avec ou sans alliés, les provinces perdues. Dans toutes les manifestations écrites ou orales de la pensée nationale: livres, brochures, prose ou vers, leçons des professeurs, pieuses allocutions des ministres des cultes, partout le même sentiment, sentiment de haine. pour le vainqueur, aspiration ardente, irrésistible après la déli

vrance.

Et maintenant tournons nos regards sur la France. Après les désastres de 1870-71, qu'a-t-elle fait pour en prévenir le retour?

Sans doute, par une rare bonne fortune, elle a pu, grâce aux capitaux du monde entier (même de son impitoyable ennemie, l'Allemagne!), acquitter avant le temps sa colossale rançon. Mais, par ce fait, elle a grevé ses budgets dans une proportion énorme, et cela au moment même où, mutilée de deux de ses plus riches, de ses plus industrieuses, de ses plus patriotiques provinces, il lui fallait, en outre, ne demander que le moins possible aux quarante départements que le vainqueur avait dévastés et appauvris.

Dans cette épreuve, la plus douloureuse peut-être qu'elle ait traversée depuis la formation de son unité territoriale, quel était le devoir impérieux des hommes auxquels l'Assemblée venait de confier les nouvelles et fragiles destinées du pays? Devaient-ils, pour faire face à ses nouvelles obligations, l'enlacer dans un étroit réseau de liens fiscaux qui paralyserait ses forces renaissantes? Devaientils ainsi provoquer un renchérissement général, et aggraver, en conséquence, les conditions du travail national? Devaient-ils frapper de lourdes taxes les moyens de transport, les communications de toute nature? Devaient-ils, après dix années d'une expérience concluante sur les bienfaits de la liberté commerciale, revenir à la pratique de doctrines définitivement condamnées par les faits? Nous ne le croyons pas.

Avant d'en arriver à la cruelle extrémité d'aggraver les charges financières d'un pays aux abois, il convenait de rechercher si les services publics, organisés sous l'empire avec un si grand luxe de fonctions et d'agents rétribués, n'étaient pas susceptibles de larges réformes. Il importait d'examiner si le subit et profond appauvrissement de ce pays n'imposait pas l'obligation de faucher dans cette luxuriante végétation d'emplois et d'employés, seul moyen, d'ailleurs, d'enrayer cette course haletante après les fonctions publiques qui est un des signes les moins équivoques de sa dégénérescence. Le moment était solennel et décisif; nul n'aurait eu le droit de se plaindre en présence d'évidentes et inexorables nécessités.

Il n'a rien été fait dans ce sens.

L'Assemblée a manifesté de bonnes intentions; elle a chargé une

commission d'ouvrir une enquête sur l'organisation de nos ministères et des services extérieurs qui en relèvent, et cette commission a fait de loyaux efforts pour connaître la vérité; mais, peu familière avec le mécanisme des institutions qu'elle avait mission d'étudier, et ayant d'ailleurs à lutter contre la regrettable volonté du gouvernement de maintenir ces institutions dans leurs moindres détails, elle n'a pu obtenir que d'insignifiantes économies, laissant intactes les graves questions que soulève l'ensemble de notre constitution administrative, judiciaire, etc., etc.

Certes, nous ne saurions avoir la prétention, non-seulement de résoudre ces questions, mais même d'en faire ici un examen approfondi; les limites obligées de ce travail ne le permettent pas. Nous bornerons donc notre ambition à les soulever, et à signaler à l'attention de tous quelques projets d'économies qui nous ont été inspirés depuis longtemps par une étude attentive des faits. Nous le ferons avec tous les égards, tous les ménagements que comportent les situations acquises.

Notre critique aura tout d'abord pour objet les administrations centrales. C'est la clef de voûte du système. Nous rechercherons ensuite si les services publics placés sous leur direction ne sont pas susceptibles de modifications qui permettraient de donner, dans des conditions moins onéreuses pour l'État, une juste satisfaction aux intérêts qu'ils représentent.

I

En France, nous vivons entre deux gouvernements : l'un, officiel, ostensible, responsable vis-à-vis du pays et portant le fardeau de la lutte contre les partis; l'autre, invisible, irresponsable, se bornant à remplir, auprès du premier, le rôle d'inspirateur et de conseiller, doué d'une vitalité énergique qui lui permet de résister, non-seulement aux vicissitudes ministérielles, mais encore aux révolutions, animé, en un mot, de cette force supérieure qui résulte de la durée (vis durans, comme dit Tacite); — c'est le gouvernement des bureaux.

Que la France change ses institutions politiques, qu'elle passe de la monarchie du droit divin à la monarchie constitutionnelle, de celle-ci à la république, de la république à la monarchie démocratique, peu importe, la main qui la dirige reste la même : c'est celle des administrations centrales.

Ce n'est pas nous qui serons hostiles à cette puissance, un peu occulte peut-être, mais qui rend, en définitive, les plus grands services à l'État. Dans un pays où, par la faute, soit simultanée, soit

-

alternative, des gouvernements et des gouvernés, les crises politiques (compliquées, dans ces derniers temps, de la guerre civile et étrangère) se succèdent sans interruption; dans un pays où les hommes qui escaladent le pouvoir n'ont, le plus souvent, aucune notion des grands intérêts, des intérêts permanents des sociétés dont ils viennent accidentellement prendre la direction, il est bon, il est utile, il est nécessaire qu'il y ait autour, si ce n'est audessus d'eux, des hommes de savoir et d'expérience, gardiens fidèles des traditions qui ont fait la force, la grandeur ou la sécurité de ces sociétés. Aux éléments de dissolution qui se pressent et s'accumulent dans leur sein, ce n'est pas trop de pouvoir opposer ces quatre grandes forces sociales qui les ont sauvées jusqu'à ce jour l'Eglise, l'Armée, la Justice et l'Administration.

Mais pour que l'Administration puisse exercer, avec toute l'efficacité possible, la salutaire influence qui lui appartient, pour qu'elle puisse prendre, sur des ministres improvisés par de sinistres événements, l'ascendant dont le pays a besoin, il importe qu'elle se recrute dans de toutes autres conditions que de nos jours. Que voyons-nous, en effet? Sauf dans deux ministères et dans quelques administrations financières, où fonctionne, depuis peu d'années, la règle de l'examen préalable, mais avec des programmes insuffisants, l'admission et l'avancement ne sont subordonnés à aucune justification d'aptitude.

Pourquoi sommes-nous obligé de dire qu'il en est tout autrement en Prusse, où l'examen, un examen sévère et qui prendrait certainement au dépourvu les meilleurs chefs de nos administrations centrales, précède et l'admission et l'avancement. Aussi, n'est-il que juste de le dire, nulle part en Europe, les affaires ne sont expédiées avec une aussi grande célérité, avec une connaissance aussi approfondie de la matière.

Ajoutons que, du sommet au bas de l'échelle, le sentiment du devoir, le désir de contribuer, pour une part, quelque modeste qu'elle soit, à la grandeur du pays, est profond dans le personnel administratif prussien, dont le patriotisme égale la capacité. Mais aussi le gouvernement lui a accordé le privilége d'une sorte d'inamovibilité, l'employé ne pouvant perdre sa position, sauf à l'âge réglementaire de la retraite, que pour une faute disciplinaire grave, et seulement sur l'avis d'une commission composée de ses pairs, devant laquelle il a le droit et le devoir de venir se défendre.

Que nous sommes loin d'un pareil régime en France1!

1 Deux mesures, accessoires en apparence, très-importantes en réalité, méritent d'être mentionnées dans les administrations prussiennes. La première est celle-ci : es employés d'un même service sont tous installés dans une salle commune, å

« PreviousContinue »