Page images
PDF
EPUB

tirer autre chose. Au bout de quelques jours, la fille disparut, sans que jamais parents ní amis en pussent avoir de nouvelles. On en demanda de tous côtés et long-temps inutilement; on finit par n'y plus penser. Voilà la première partie de l'histoire du curé Maingrat.

[ocr errors]

La seconde est connue par les papiers publics où vous aurez pu voir comment, à cause des bruits qui couraient, on le transféra de Saint-Opre à la cure de Saint-Quentin. C'est la discipline. Quand un prêtre a donné quelque part du scandale, on l'envoie ailleurs. Dans les cas graves seulement, il est suspendu à sacris privé pour un temps de dire messe, et si la justice s'en mêle, le clergé proteste aussitôt, car on ne peut juger les oints. Le curé de Pezai en Poitou, l'abbé Gelée, ex-capucin, ayant commis là une grosse et visible faute contre son vœu de chasteté, la justice se tut malgré toutes les plaintes; on le transféra où il est et ne semble pas corrigé, comme ne le fut point l'abbé Maingrat, qui dans sa nouvelle paroisse, doublant de sévérité, fit la guerre plus que jamais à la danse et aux manches de chemise. Gertaine dévote, bientôt, femme d'un tourneur, jeune et belle, le prit pour confesseur, et le voyait chez elle souvent, sans qu'on en causât néamoins; car elle passait pour très

re

sage. Un soir qu'elle était venue sur le tard⭑ à confesse, il la retint long-temps, puis l'envoie voir sa tante, qui demeurait chez lui, mais qu'il savait absente, ne devoir point revenir ce jour là, et, partant par un autre chemin, arrive avant cette femme, entre, quand elle vint, la fit entrer. Ce qui se passa là-dedans, on l'ignore. Il l'emporta morte dans une grotte près du village, où, avec un couteau de poche, l'ayant dépecée par morceau, un à un, il les allá jeter dans la rivière; c'est l'Isère. Ces lambeaux quelque temps après furent trouvés flottants sur l'eau, et réunis et reconnus, comme le couteau plein de sang oublié par lui dans la grotte. Alors on se souvint de la fille de Saint-Opre.

Vous savez aussi comme il s'est soustraitaux poursuites, qui n'eussent pas eu lieu sans le maire. Par le maire seul tous les faits furent constatés, publiés malgré les dévots et le clergé qui ne voulaient pas qu'on en parlât. Telle est leur maxime de tout temps. S'il arrive, dit Fénélon, que le prêtre fasse une faute, on doit modestement baisser les yeux et se taire. Mais le bruit d'un acte si atroce s'étant promptement répandu, on essaya d'en jeter le soupçon sur quel que autre. Même un grand vicaire à Grenoble, l'abbé Bochard, prêcha un sermon

tout exprès sur les jugements téméraires disant : « Mes frères, prenez garde; tek peut vous paraître coupable, qui, par son devoir, est tenu, lui en dût-il coûter et l'honneur et la vie, de céler le crime d'autrui; et la malice d'autre part est si grande en ce siècle-ci, que, pour se laver, on ne feint point de calomnier et noircir les plus gens de bien. » C'était le mari de cette femme qu'on indiquait par là comme son meurtrier, et le vrai curé comme un martyr du secret de la confession. Cette pieuse invention, soutenue de toute la cabale dévote, aurait peut-être réussi et donné le change au public, sans le maire de SaintQuentin, qui n'étant dévot ni dévoué, mais honnête homme seulement, par une information qu'il fit, força la justice d'agir. Lecuré ne fut pas arrêté, parce que le Sei-t gneur a dit Gardez de toucher à mes oints. Condamné comme contumace, il s'est retiré en Savoie, où maintenant il passe pour un saint et fait des miracles. On vient à lui de la vallée, de la montagne, en pèlerinage; ou accourt, les femmes surtout, le voir, lui demander sa bénédiction. Cette main les bénit: il leur tend cette main qu'elles baisent, femmes et filles, sans penser, sans frémir, sachant ce qu'il a fait; car d'un lieu

:

si voisin, personne ne l'ignore. Mais on lui pardonne beaucoup parce qu'il a beaucoup aimé; ou peut-être il se repent, et dès-lor's il vaut mieux que quatre-vingt-dix-neuf justes. Qu'il en confesse encore quelqu'une jeune, jolie, et qu'elle lui résiste, il en fera comme des autres, sans perdre pour cela paradis. Saint-Bon avait tué père et mère. Saint Maingrat ne tue que ses maîtresses et ensuite fait pénitence.

Vous l'appelez hypocrite; moi je le crois dévot sincère et de bonne foi. La dévotion s'allie à tout. Lorsqu'on fait en Italie assassiner son ennemi, cela coûte vingt ou six ducats, selon qu'on veut le damner ou qu'on ne le veut pas. Pour ne le point damner, on lui dit avant de le tuer : Recommande ton âme à Dieu; pardonne-moi, et fais un acte de contrition. Il dit son in manus, pardonne, et on l'égorge; il ya en paradis. Mais voulant le damner, on s'y prend autrement. Il faut tâcher de le trouver en péché mortel; et, pour le plus sûr on lui dit, le poignard levé: Renie Dieu, ou je te tue. If renie, on le tue, et il va en enfer. Ces choses se font tous les jours, là où personne ne voudrait, pour rien au monde, avoir goûté d'un potage gras le vendredi. Voilà la dévotion vraie, naïve,

non feinte, non suspecte d'hypocrisie. La morale, dit-on, est fondée là-dessus.

9

Ces gens sont dévots sans nul doute, et Maingrat l'est aussi; amoureux de plus c'est-à-dire, sujet à l'amour, qui, chez les hommes de sa robe, se tourne souvent en fureur. Un grand médecin l'a remarqué: cette maladie, sorte de rage qu'il appelle érotomanie, semble particulière aux prêtres. Les exemples qu'on en a vus, assez nombreux, sont tous de prêtres catholiques, tels que celui qui massacra, comme raconte Henri Etienne, tous les habitants d'une maison, hors la prsonne qu'il aimait, et l'autre dont parle Buffon. Celui-là, parce qu'on sut à temps le lier et le traiter, guérit; sans quoi il eût commis de semblables violences. Il a lui-même écrit au long, dans une lettre qui depuis est devenue publique, l'histoire de sa frénésie, dont il explique les causes aisées à concevoir. Dévot et amoureux, jeune confessant les filles, il voulut être chaste.

[ocr errors]

Quelle vie en effet, quelle condition que celle de nos prêtres! on leur défend l'amour, et le mariage surtout; on leur livre les femIls n'en peuvent avoir une, et vivent toutes familièrement c'est peu mais dans la confidence, l'intimité, le secret

mes.

avec

[ocr errors]
« PreviousContinue »