Page images
PDF
EPUB

Un écrivain célèbre en Angleterre, auteur d'un des meilleurs ouvrages que l'on ait jamais faits, l'auteur de Robinson, Daniel de Foe, publia un écrit tendant à insinuer que les dépenses de la cour étaient considérables. Aussitôt les ministres le livrent à leurs juges; on le mit en prison; il écrivit encore, on le mit au carcan. Ses amis le blâmaient ; mais il leur répondit: il ne dépend pas de moi de parler ou de me taire ; et lorsque l'esprit souffle, il faut lui obéir. C'était le langage du temps. On tirait tout de l'Écriture, comme à présent de Jean-Jacques. On parlait la Bible, aujourd'hui on parle Rousseau. Un abbé met en pièces Émile, pour prêcher aux indifférents en matière de religion.

Quant à moi, ce n'est pas l'esprit, c'est la sottise qui me fait aller en prison. J'ai cru bonnement à la Charte; j'ai donné dans la Charte en plein; je le confesse, à ma très grande honte, et pourtant de plus fins y ont été pris comme moi. De ma vie, sans la Charte, je n'eusse imaginé de parler au public de ce qui l'intéresse. Robespierre, Barras et le grand Napoléon, depuis plus de vingt ans, m'avaient appris à me taire. Bonaparte, surtout, ce héros ne trompait pas. Il ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse ni d'au

[ocr errors]

cune liberté. Un peu Ture dans sa manière, il mettait au bagne ce bon peuple, mais sans l'abuser le moins du monde, et ne nous cacha point sa royale pensée, qui fut toujours. d'avoir en propre nos corps et nos biens seulement. Des âmes, il en faisait peu de cas.. Ce n'est que depuis lui qu'on a compté les. âmes. Voulant parler tout seul, il imposa silence à nous premièrement, puis à l'Europe entière; et le monde se tut: personne ne souffla, homme ne s'en plaignit; ayant cela de commode, qu'avec lui on savait du moins à quoi s'en tenir. J'aime cette façon, et j'ai tâté de l'autre. La Charte vint, on me dit: parlez, vous êtes libre, écrivez, imprimez; la liberté de la presse et toutes libertés vous sont garanties. Que craignez-vous? si les puissants se fâchent, vous avez le jury et la publicité, le droit de pétition; vos députés à vous, élus, nommés par vous. Ils ne souffriront pas que l'on vous fasse tort. Parlez. un peu pour voir; dites-nous quelque chose. Moi, pauvre, qui ne connaissais pas le gouvernement provocateur, pensant que c'était tout de bon, j'ouvre la bouche et dis je. voudrais, s'il vous plaisait, ne pas payer Chambord. Sur ce mot, on me prend; on me met en prison. Sorti, je ne pus croire, tant j'étais de mon pays, qu'il n'y eût à cela quel

que malentendu. Ils m'auront mal compris, ne disais-je, assurément. Un peu de sang commun (chose rare!) eût suffi pour me tirer d'erreur : mais imbu de ma Charte et de mes garanties; persuadé qu'on m'écouterait sans mauvaise humeur, cette fois je hasarde une autre requête. Si c'était, dis-je, tenant mon chapeau à deux mains, si c'était votre bon plaisir de nous laisser danser devant notre logis le dimanche.... Gendarmes, qu'on le mène en prison; maximum de la peine, amende, etc. Du jury, point de nouvelles; droit de pétition, chansons; mes députés, ils sont à moi comme mon préfet à peu près. La publicité des jugements; savez-vous , Monsieur, ce que c'est ? mes ennemis pourront, s'ils le jugent à propos, imprimer ma défense dans des feuilles à eux, me faire dire cent sottises; à eux il est permis de déduire mes raisons comme ils veulent au public; à moi, à mes amis, défendu d'en dire mot, de réfuter, démentir en aucune façon les réponses absurdes et les impertinences qu'il leur aura plu m'attribuer. Voilà ce que je gagne à la publicité des débats judiciaires. Heureux, cent fois heureux, ceux que Laubardemont faisait condamner à huis clos par ordre de son éminence! ils étaient opprimés, mais, non déshonorés.

Ce langage est monarchique. De tels sentiments ne sont point du tout républicains, et si je me contente en pareille matière, des formes usitées sous ce grand cardinal, je ne suis pas si Romain que vous l'imaginez. Sur quel fondement? je ne sais, et ne devine pas davantage ce qui vous a pu faire croire que je n'aimais ni le duc d'Orléans, ni aucun prince. Assurément rien n'est plus loin de la vérité. J'aime, au contraire, tous les princes, et tout le monde en général; et le duc d'Orléans particulièrement (voyez comme vous vous trompiez), parce qu'étant né prince il daigne être honnête homme. Du moins n'entends-je point dire qu'il attrape les gens. Nous n'avons, il est vrai, aucune affaire ensemble, ni pacte ni contrat. Il ne m'a rien promis, rien juré devant Dieu; mais le cas avenant, je me fierais à lui, quoiqu'il m'en ait mal pris avec d'autres déjà. Si faut-il néanmoins se fier à quelqu'un. Lui et moi nons n'aurions, m'est avis, nulle peine à nous accommoder, et l'accord fait, je pense qu'il le tiendrait sans fraude, sans chicane, sans noise, sans en délibérer avec de vieux voisins, gentilshommes et autres, qui ne me veulent point de bien, ni en consulter les jésuites. Voici ce qui me donne de lui cette opinion. Il est de notre temps; de ce siècle-ci, non de l'autre, ayant peu vu je

[ocr errors]

crois, ce qu'on nomme ancien régime. Il a fait la guerre avec nous; d'où vient, dit-on, qu'il n'a pas peur des sous-officiers: et depuis, émigré, malgré lui, jamais ne la fit contre nous, sachant trop ce qu'il devait à la terre natale, et qu'on ne peut avoir raison contre son pays. Il sait cela, et d'autres choses qui ne s'apprennent guère dans le rang où il est. Son bonheur a voulu qu'il en ait pu descendre, et jeune, vivre comme nous. De prince, il s'est fait homme. En France, il combattit nos communs ennemis; hors de France, les : sciences occupaient son loisir. De lui n'a pu se dire le mot, rien oublié, ni rien appris. Les étrangers l'ont yu s'instruire, et non men dier. Il n'a point prié Pitt, ni supplié Cobourg de ravager nos champs, de brûler nos villages, pour venger les châteaux; de re

tour, n'a point fondé des messes, des séminaires, ni doté des couvents à nos dépens; mais sage dans sa vie, dans ses mœurs, donne un exemple qui prêche mieux que les missionnaires. Bref, c'est un homme de bien. Je voudrais, quant à moi, que tous les princes lui ressemblassent; aucun d'eux n'y perdrait, et nous y gagnerions: ou je voudrais qu'il fût maire de la commune; j'entends, s'il se pouvait (hypothèse toute pure), sans déplacer personne; je hais les destitutions.

« PreviousContinue »